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La goître se présente 13 fois en général pour toute la France, mais, lorsqu'on étudie par département, on constate que c'est une des infirmités les plus localisées. Il n'y a guère, en effet, qu'une trentaine de départements où l'on rencontre des goîtreux en certaine quantité, et, parmi eux, les départements montagneux, Alpins, Vosgiens, Pyrénéens, sont les plus frappés. Dans la Haute-Savoie on ne rencontre pas moins de 113 0/00, dans les Hautes-Alpes 149 et dans la Savoie 183. C'est ici, messieurs, qu'il est intéressant de rapprocher de notre méthode d'exécution celle de nos devanciers. M. le docteur Baillarger, qui a si bien étudié cette infirmité, n'estime qu'à 133 le nombre des goîtreux sur 1,000 habitants des deux sexes et de tous âges dans le département de la Haute-Savoie, alors que nous en trouvons 183, seulement pour les garçons de 20 ans. C'est à un vice de méthode dans l'enquête statistique qu'est due cette erreur si considérable. Je ne m'arrêterai pas, messieurs, sur les autres infirmités qui exemptent du service militaire. Il me suffisait de vous indiquer la portée et le but de mes travaux.

Quant à la statistique des infirmités par canton, je me bornerai à vous dire qu'elle est extrêmement intéressante et fertile en aperçus nouveaux, mais il m'est difficile de vous dire, même en quelques mots, quels ils sont. Ceux d'entre vous, messieurs, que ce sujet intéresse, le trouveront entièrement développé, avec chiffres à l'appui, dans les Annales de Démographie internationale.

DISCUSSION

M. TOPINARD fait remarquer que toutes les infirmités signalées dans le travail de M. Chervin ne semblent pas correspondre aux divers groupes ethniques de la France. C'est ainsi que la scrofule se rencontre à la fois dans un noyau du département du Nord où prédomine la grande race blonde, la race Kymri, et dans un noyau de département du centre, peuplé par les Celtes bruns et de taille moyenne; ce sont là des phénomènes que l'on ne peut expliquer que par l'influence du milieu. Toutefois, il est de ces infirmités qui paraissent propres à certaines races, les dartres par exemple qui abondent dans les populations blondes du Nord dont la peau très-sensible est sujette à l'herpétisme. L'orateur insiste sur l'utilité de l'étude des populations, canton par canton, et émet le vœu que les procès-verbaux des conseils de révision et autres documents analogues que possède le ministère de la guerre soient mis à la disposition des savants.

GUSTAVE LAGNEAU. Je suis loin de prétendre que la repartition des infirmités motivant l'exemption du service militaire soit toujours en rapport avec la répartition géographique des divers éléments ethniques ayant concouru à la formation de notre population; cependant dans mes Remarques ethnologiques sur la répartition géographique de certaines infirmités en France (1), j'ai cher

(1) Mém. lu en 1868 et publié dans les Mém. de l'Acad. de méd. t. XXIX. 1871.

ché à montrer que certains groupes de départements ethnologiquement distincts présentaient des différences très-notables dans la proportion des exemptés soit pour infirmités en général, soit pour myopie, mauvaise denture, hernies, varices, varicocèles. Dans le rapport que M. Broca fit à l'Académie sur ce mémoire, il montra, en particulier, que la fréquence relative des varices est en relation avec la taille élevée, nos jeunes gens plus grands dans le nord-est y étant plus sujets que ceux du centre et de l'ouest de moindre stature (1).

D'ailleurs en général dans toute la région celtique de notre pays, principalement en Bretagne et dans nos départements du centre, région où l'on compte beaucoup d'exemptés pour défaut de taille, il y a peu d'exemptés pour infirmités; tandis qu'au contraire dans toute la région nord-est en partie peuplée d'immigrants d'outre-Rhin ou d'outre-mer, il y a peu d'exemptés pour défaut de taille, mais on trouve une assez forte proportion d'exemptés pour infirmités. Ces différences dans les proportions des exemptés pour défaut de taille et pour infirmités se font surtout remarquer, quand on compare nos départements de Bretagne, peuplés principalement par la race celtique, à nos départements voisins de Normandie en partie peuplés d'immigrés de pays du Nord.

Relativement au département des Landes, j'ai également remarqué qu'au point de vue des documents statistiques relatifs à la taille, aux infirmités, etc., il se comporte souvent très-différemment des départements voisins. Cela tientil à la présence d'un élément ethnique particulier? Dans la région sud-ouest de notre pays anciennement occupée par des Aquitains que Strabon dit être de race ibérienne (2), une portion au moins des Landes, déjà plantées en pins, était habitée par les Boies Résiniers Boü Picei ou Boates, mentionnés par saint Paulin et par l'itinéraire d'Antonin (3). Ces Boies paraissent avoir été les frères des Boies que Tacite nous dit avoir laissé leur nom à la Bohême, Boioemum, demeure des Boies (4).

M. Hipp. Larrey et M. J. Bergeron ont déjà insisté pour que les documents statistiques relatifs aux exemptés pour défaut de taille, pour infirmités fussent publiés, non par départements, mais par cantons (5). Cette publication par cantons serait utile non-seulement, comme l'a très-bien dit M. Topinard, pour apprécier des influences topographiques souvent très-circonscrites, mais aussi pour déterminer la répartition de certains éléments ethniques limités parfois à des localités très-restreintes, à une vallée, une commune, un hameau.

M. BORDIER insiste sur la divergence qui existe entre les cartes des cas d'exemption du service militaire et la carte ethnologique de la France. Il est cependant difficile de croire que les infirmités ne soient pas dues en grande partie à la race et à ses dispositions pathologiques propres. Toutefois, l'in

(1) Bull. de l'Acad. 1869 et Revue des cours scientifiques. 3 avril 1869, p. 283.

(2) Strabon: 1. IV, c. 1, § 1, p. 146 et c. II, § 1, p. 157, texte et trad. de Muller et Dubner, coll. Didot.

(3) Sanctus Paulinus Opera omnia p. 477, epist. IV Auson. 1622 anteverpice. Antoniu. August. itinerarium CXX' ab Asturia Burdigalam: Rec. des itinéraires anciens de M. Fortia d'Urban et Cel Lapie p. 136, 1843.

(4) Tacite De Morilus Germanorum XXVIII.

5) Bergeron et Larrey Bull. de l'Acad. de med. t. XXXII, 9 et 30 avril 1867, p. 620 et suiv. et p. 659.

fluence du milieu ne peut être niée et il serait intéressant, par exemple, de comparer la carte de l'extension de la scrofule avec celle de l'ignorance. D'autre part, dans ces cantons que l'on trouve affectés à un haut degré pa. certaines infirmités, ne pourrait-on pas expliquer cette perpétuité morbide par l'hérédité, car on sait que souvent les habitants d'un même canton ou de cantons très-voisins ne se marient qu'entre eux et finissent par être avec le temps tous de la même famille.

M. ALBESPY a étudié son département, l'Aveyron, avec un grand soin et il a relevé, au point de vue en question, les procès-verbaux des conseils de révision d'une péric de de dix-huit ans; il a dressé même des tableaux pour l'arrondissement de Rodez, commune par commune, et il est arrivé à cette conclusion que la nature géologique du terrain exerce une action puissante sur la santé et la conformation de l'homme; sur les terrains calcaires, les hommes sont de taille élevée, et ils sont petits sur les terrains siliceux, où la scrofule et la carie dentaire sont fréquentes, ainsi que sur les terrains talqueux. Chez les animaux, on remarque les mêmes phénomènes : ainsi les bestiaux élevés sur les terrains calcaires ont l'ossature plus forte que les bestiaux originaires des autres régions.

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M. MAGITOT. Parmi les difformités ou maladies que M. Chervin vient de passer en revue au point de vue démographique, il n'en est pas, selon moi, dont la répartition générale soit plus franchement ni plus certainement ethnique que la carie dentaire.

En effet, si l'on considère la carte que j'ai tracée naguère de la répartition géographique de cette maladie en France (1), carte que M. Chervin paraît avoir adoptée dans ses recherches, on reste frappé du caractère tranché des teintes qui la composent et des concordances qu'affectent ces teintes avec le groupement des deux éléments ethniques principaux qui se retrouvent sur notre sol. Cette carte présente, comme on a pu voir, une grande bande noire qui se dirige du nord-est au sud-ouest de la France et qui représente les populations les plus affectées, tandis qu'une autre bande blanche représentant la population la moins frappée de la maladie part du sud est et s'élève au nord-ouest pour aboutir aux départements bretons. Telles sont les dispositions fondamentales de cette carte dans laquelle nous négligerons les nuances interinédiaires.

Or il s'agit d'expliquer le sens de cette disposition et c'est ici que je suis en désaccord complet avec MM. Topinard et Albespy qui invoquent le rôle des milieux.

Il est de toute évidence, au premier abord, que la teinte noire de cette carte correspond aux régions où prédomine l'élément kimrique, c'est-à-dire les individus à grande taille, blonds et dolichocéphales, tandis que les régions blanches répondent aux populations plus franchement celtiques, celles à individus de petite taille, bruns et brachycéphales. C'est sous ces derniers rapports, ainsi que sous d'autres encore, que la carte de la carie dentaire est en concordance avec les documents divers que nous devons à MM. Broca, Lagneau, Boudin, etc., sur les tables du recrutement.

(1) Bulletin de la Soc. d'Anthropologie, 1867, p. 80.

Si d'autre part on cherche à expliquer la répartition de la carie dentaire au moyen des hypothèses diverses si souvent présentées, on arrive à une impuissance absolue.

Que n'a-t-on pas invoqué, en effet, à cet égard? Le voisinage de la mer, le cours des fleuves, les altitudes, la nature des eaux potables, les conditions de pauvreté ou de richesse, les boissons, les bassins géologiques, etc. Aucune de ces suppositions ne saurait s'appuyer sur les dispositions de notre carte.

Il ne faut pas oublier, d'ailleurs, qu'il s'agit ici, non d'une difformité proprement dite, mais d'une maladie, d'une maladie bien spéciale dans sa marche et ses caractères. Je ne puis ici entrer dans les détails de ce sujet. Ce n'est pas le lieu de faire de la pathogénie; mais ce que je puis dire, ce qui est absolument établi, c'est que le mécanisme de production de cette lésion repose sur un ensemble de prédispositions que nous avons longuement étudiées sous le nom de conditions anatomiques prédisposantes.

Ce sont ces conditions qui relèvent de l'hérédité dans la famille et dans la race. Ce sont encore ces conditions qu'a importées chez nous l'élément blond ou kymrique au milieu des populations brunes ou celtiques qui ne connaissaient point une maladie à laquelle elles restent jusqu'aujourd'hui encore manifestement réfractaires.

D'ailleurs, messieurs, la question de la répartition ethnographique de la carie dentaire a déjà fait, depuis un certain temps, quelques progrès. Il est aujourd'hui acquis que certaines races sont étrangères à cette maladie, que d'autres y sont tout particulièrement exposées et que certains groupes ethniques restent intermédiaires.

Il y a même certaines régions où cette maladie est restée longtemps à peu près inconnue, exemple l'Islande. On sait à l'égard de ce dernier pays, que lors du voyage du prince Napoléon, en 1857, on constata la rareté extrême de la phthisie et de la carie dentaire (1). Mais voilà que dans un voyage plus récent, un médecin de la marine. M. le docteur Kermorvant, s'étant livré à une nouvelle enquête, remarqua que depuis trente années les deux maladies s'étaient observées avec une très-notable fréquence (2). Or on sait qu'un mouvement considérable de population s'est produit de ce côté, et nul doute qu'il ait apporté aux premiers habitants de l'île, non-seulement des éléments ethniques nouveaux, mais les dispositions morbides qu'il entraînait avec lui.

Dans une des dernières séances de la Société d'anthropologie (3), un autre médecin de la marine, notre collègue, le docteur Maurel, qui croit lui aussi très-fermement à l'influence ethnique, a soulevé à son tour, au point de vue des populations de la Guyane, le problème de la fréquence relative de la carie dentaire, et il a prouvé que les métissages présentaient précisément le degré intermédiaire de fréquence entre les deux facteurs.

Je sais bien qu'on a déjà invoqué l'influence possible du sol, au point de vue de sa constitution zoologique et le docteur Duché a fait faire dans le

(1) Archives générales de médecine, 1857, p. 240.

(2) Archives de medecine navale, 1877.

(3) Bulletin de la Soc. d'Anthrop., 1878, p. 266.

département de l'Yonne qu'il habite, une étude de la répartition de la carie dentaire par canton (1), et il est arrivé à penser que les variations étaient dues à l'influence des terrains.

C'est l'idée que vient d'émettre de nouveau M. Albespy. Mais je le répète, cette hypothèse tombe devant la physionomie et le mécanisme de la maladie dont il s'agit, tandis que l'explication tirée de la différence des races est, selon nous, complétement satisfaisante.

M. Topinard s'attache à tort, selon moi, aux détails de la carte de la carie dentaire. Qu'il veuille bien en prendre les points extrêmes et il verra par exemple ceci que le département de la Seine-Inférieure, en pleine Normandie, qui est franchement kymrique, donne, sur un certain nombre de conscrits un nombre d'exemptions pour carie dentaire, qui n'est pas moindre de 3,000; le département du Puy-de-Dôme, essentiellement celtique, n'en fournit pour le même nombre que 96. Comment expliquer autrement que par une influence ethnique un si prodigieux écart, alors surtout qu'aucune autre interprétation n'est d'ailleurs admissible.

M. TOPINARD objecte que les cartes de M. Chervin démontrent que la carie dentaire se présente avec une égale intensité non-seulement dans les départe.. ments du Nord de population kymrique, mais chez les Celtes Auvergnats et chez les habitants de nos départements du sud-ouest. Il faut d'ailleurs tenir compte à la fois de l'influence ethnique et de l'influence du milieu dans l'étude de ces faits.

M. DELAUNAY ajoute que la nutrition est pour beaucoup dans ces différences. Sur un sol stérile, l'homme est pauvre, se nourrit mal et est sujet à bien des affections; c'est le contraire dans des contrées fertiles. M. Chervin a montré qu'en Normandie les cantons riverains de la mer possédaient une population très-saine; cela tient évidemment à la nature de la nourriture et à l'air revivifiant.

Le vœu de M. TOPINARD ainsi formulé:

La section d'anthropologie exprime le vœu que l'administration du ministère de la guerre veuille bien publier in extenso la statistique par canton des causes d'exemption du service militaire.

Est mis aux voix et adopté.

M. BERTILLON, revenant sur la communication de M. CHERVIN, fait observer que l'on confond souvent la scrofule avec certains phénomènes pathologiques qui ne sont souvent chez les enfants que le résultat de la malpropreté et du préjugé. C'est ainsi que dans beaucoup de pays, et notamment en Auvergne, où l'on signale une extension exceptionnelle de la scrofule chez une population de race celtique, on s'imagine qu'il est bon pour la santé de ne pas soigner la gourme des enfants. Cette négligence finit toujours par amener des désordres dont les signes rappellent les stigmates de la scrofule.

M. BORDIER, contrairement à l'opinion de M. BERTILLON, estime que la gourme est une manifestation de la scrofule.

(1) Bulletin de la Sor. d'Anthrop., 1869, p. 010.

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