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Actuellement la population indigène de l'Algérie se compose de quatre types, savoir :

1o Les Berbères, Kbaïlls ou Kabyles, race autochthone d'Algérie; 2o Race sémite composée de deux types: Arabes et Juifs;

3o Kourour❜lis, métis des Turcs et des Arabes qui sont peu nombreux;

4o Les Maures, métis des Arabes et des Kabyles.

Les Aryens prenaient difficilement racine en Algérie au commencement de la conquête française, excepté les Espagnols et les Maltais, que, du reste, on peut considérer comme métis des Berbères et des Sémites. On a trop appuyé sur cette difficulté d'acclimatement sans assez tenir compte des causes, et il suffit de rappeler ici les travaux de M. Boudin qui, avec l'autorité de son nom, a découragé les tentatives d'acclimatation en Algérie par ses appréciations pessimistes, et malheureusement, les statistiques officielles, pas trop exactes, jusqu'en 1855, ne faisaient que confirmer les idées de M. Boudin.

Ce n'est que depuis 1855 que M. Bertillon nous donne une statistique où la natalité dépasse la mortalité pour l'Européen. Il en résulte que, grâce aux travaux d'assainissement qui ont supprimé la cause principale de la mortalité des Européens, l'influence palustre, grâce à l'augmentation du bien-être et à l'observation de. mesures hygiéniques, la mortalité a sensiblement diminué. Ce résultat, si consolant déjà, qui démontre qu'on peut aujourd'hui garantir le séjour des Européens sous le climat algérien, nous permet de déduire que les races transportées d'Europe en Afrique pourront former dans l'avenir une population indigène en progressant rapidement.

Tout en constatant ce fait si favorable pour l'avenir de notre belle colonie et tout en étant sous l'inspiration des travaux de MM. Broca, de Quatrefages et Bertillon, sur l'acclimatement des races humaines, il me paraît que la colonisation, qui n'est qu'une acclimatation en grand, doit être secondée ici par le petit acclimatement, autrement dit. par l'extension et le métissage.

L'extension peut se faire ici par les races voisines de l'Afrique, tels que les Espagnols du sud, les Basques, les Maltais et les Italiens. Il est démontré que ces populations se trouvent mieux en Afrique même que dans leur pays natal, vu que la natalité chez ces races est de beaucoup supérieure à la mortalité en Afrique que dans leur patrie. Leur fécondité augmente et leur activité et leur vigueur ne souffrent aucunement.

Pour les Français, les conditions ne sont pas tout à fait les mêmes. Leur fécondité diminue et les enfants ne présentent pas des types aussi vigoureux pouvant faire présager un rapide accroissement de la race.

Donc, si on veut avoir une population française indigène, il me sem

ble indispensable d'appliquer ici la loi parfaitement définie et constatée dans toutes les migrations et évolutions des races humaines, admirablement résumée par M. Bertillon dans les propositions suivantes :

Que tout mouvement migratoire en marche séculaire, résultant plutôt de l'extension des populations de proche en proche, aboutit certainement à l'acclimatement, quelque loin qu'il s'étende (migration indoeuropéenne).

Que les croisements avec les races aborigènes, s'ils sont eugénésiques, favorisent et accélèrent sans doute l'acclimatement, tandis que la sélection séculaire qui les suit le consolide.

En un mot, comme précepte d'acclimatation, les innombrables expériences de nos ancêtres concluent à s'en tenir au petit acclimatement et à l'assurer encore par le croisement avec les aborigènes.

C'est sur ce dernier point surtout qu'il me paraît indispensable d'insister. La nécessité du croisement avec les indigènes est innée depuis un temps immémorial chez tous les peuples en voie d'extension et possédant les éléments de vitalité supérieure. Voici un exemple frappant d'une race qui se développe partout depuis l'extrême nord jusqu'en l'Inde, depuis les vallées de Cachemire jusqu'en Amérique, se multipliant partout et progressant par sa fécondité. Je veux parler des Juifs qui se trouvent en Afrique et en Algérie en grand nombre et qui y sont parfaitement acclimatés. Eh bien, cette race, qu'on se plaît encore à regarder comme une race pure, est cependant le résultat de métissages permanents, surtout dans les premières phases de leur existence historique. Ils faisaient l'acclimatement par extension et surtout par croisements incessants. Ainsi l'Exode nous apprend que l'Eternel ordonna aux Juifs d'exterminer toujours les mâles du peuple qu'ils avaient conquis, n'épargnant ni les enfants ni les vieillards du sexe masculin, ni même les femme mariées, mais en même temps l'Eternel ordonnait de prendre toutes les filles vierges pour concubines et esclaves. Il en résultait une génération de métis parfaitement aptes à subir l'influence du milieu, qui recommençaient, dans le cours de leurs migrations toujours progressives, le même procédé barbare posé comme un dogme religieux émanant de Dieu.

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Je crois utile de prendre en sérieuse considération ce croisement permanent des Israélites pendant plus de dix-sept siécles de leur existence en Palestine tout en tenant compte des observations de M. Bertillon qui attribue aussi la facilité de leur acclimatement à la variabilité du climat de la Palestine qui représente dans un périmètre relativement restreint, tous les degrés de température. Les dernières recherches de M. Kopernicki sur les Juifs de la Galicie, au point de vue craniométrique démontrant qu'ils sont là-bas pour la plupart brachycéphales et qu'il y

en a beaucoup de blonds, ne font que me confirmer dans l'opinion que c'est dans le mélange des sangs qu'il faut avant tout chercher la cause de leur grande facilité d'acclimatement. Il s'agit donc pour l'Afrique et pour 'Algérie en particulier, au point de vue de son repeuplement, de suivre les indications établies par la science dont la base principale est le croisement. Il va sans dire que le procédé dont se servait Israël, quoique émanant du Ciel, n'est plus applicable aujourd'hui. Loin de moi aussi toute pensée de persécutions systématiques des populations indigènes, sous prétexte de civilisation ou de religion, qui malheureusement est encore à l'ordre du jour chez beaucoup de gouvernements vainqueurs de l'Europe pour se substituer à la place du peuple vaincu. Mais, ce que nous posons comme but, c'est l'assimilation, et comme moyen, le croisement. Cette nécessité du croisement une fois établie, il faut chercher les voies et les moyens pour y arriver. Au point de vue anthropologique, l'eugénisme existant entre les races habitant l'Algérie et celles de l'Europe, les seuls obstacles de croisement entre Français, Arabes et Kabyles consistent: 1° dans la différence de religion; 2o la différence de la langue; 3o la différence de mœurs.

L'obstacle premier, le fanatisme religieux est ici, comme partout d'ailleurs, le principal et le plus difficile à surmonter. Les tentatives de prosélytisme qui ont échoué jusqu'à présent, échoueront toujours, vu que toutes les populations indigènes étant monodéistes par excellence, sont convaincues de la supériorité de leurs principes sur tous ceux qu'on voudrait leur substituer, qu'ils considèrent comme de l'idolâtrie à cause du culte des images, des statues, etc., etc.

Le seul moyen pour arriver au but, serait de donner une impulsion sérieuse à l'éducation des enfants indigènes qu'on ferait élever en France. L'établissement d'un grand nombre d'écoles sur les côtes françaises de la Méditerranée formerait une génération, qui arrachée à l'influence du milieu fanatisant, ennoblie par l'instruction, sachant apprécier les bienfaits de la civilisation, deviendrait le premier élément indigène facile à manier. D'un autre côté, la quantité d'enfants trouvés en France et, généralement abandonnés dès l'âge de douze ans, envoyés en Algérie et répartis dans les écoles pour y recevoir l'instruction répondant à leurs facultés individuelles, avec la connaissance de la langue arabe, formeraient la future souche européenne. Une fois possédant ces deux générations de races différentes il serait facile, en dotant les filles, d'établir des ménages dont l'acclimatement aurait été fait d'avance et qui donneraient des métis qui formeraient le commencement d'une race indigène éminemment française.

Je ne sais pas jusqu'à quel point cette idée mérite votre attention, messieurs, mais m'occupant beaucoup de l'Algérie, j'ai toujours été

frappé de la séparation tranchée entre la population indigène et les colons. Il n'y a pas de haine, mais il n'y a pas de rapprochement intime. Cependant ces populations sont beaucoup plus heureuses sous la domination française que lorsqu'elles étaient sous la tyrannie barbare des Turcs et des deys.

La France a fait beaucoup pour les Algériens en les dotant d'une administration juste, honnête et généreuse. Elle a fait plus encore en assainissant le pays et l'enrichissant par la culture et l'industrie. Mais pour pouvoir en profiter il faut une population compacte, durable et véritablement française, et le seul moyen d'y arriver est dans le croisement des races.

DISCUSSION.

M. TOPINARD demande qu'on tienne compte dans l'établissement des colons de l'altitude, afin d'essayer d'obtenir ainsi une plus grande similitude entre le milieu nouveau et le milieu précédent des émigrants. Il insiste sur l'analogie qui existe entre les Berbères et la race de Cro-Magnon, et fait ressortir l'utilité qu'il y aurait à favoriser l'immigration en Algérie des Basques qui représentent souvent cette race préhistorique et qui s'en vont en grand nombre dans l'Amérique du Sud.

M. BORDIER répond que l'émigration des Basques est due surtout à leur aversion pour le service militaire. Ce peuple, très-brave cependant, a horreur de la vie de caserne et surtout de l'éloignement des siens; il préfère donc émigrer là où il rencontre d'autres Basques et où il n'est pas astreint à la discipline. Il y a donc là un obstacle sérieux à son immigration en Algérie. L'orateur fait remarquer l'erreur que coinmet sans cesse. le gouvernement français dans ce pays, en confondant les Arabes inassimilables et de race sémitique avec les Kabyles que leurs institutions et surtout leurs caractères anthropologiques rapprochent de nous.

M. DE QUATREFAGES rappelle qu'il a toujours soutenu que l'acclimatement des Européens en Algérie était possible. Il s'appuyait sur l'acclimatement si difficile, et cependant si complet à la fin, des espèces animales d'Europe en Amérique. On a constaté au début de notre occupation de l'Algérie une mortalité terrible chez les enfants, et cependant elle ne fut jamais aussi considérable que la perte d'œufs et de poulets qu'on fit sur le plateau de Bogota quand on y introduisit la poule qui y prospère actuellement. Il est certain cependant que les races du nord sont moins aptes à l'acclimatement que les races du midi; mais nous avons dans notre pays même des régions, en Provence, par exemple, où l'homme du nord de la France périt aussi misérablement qu'en Algérie et où cependant existe une population vivace. La question de l'acclimatement est très-complexe et souvent mal étudiée. Quand des explorateurs arrivent dans un pays lointain, ils se préoccupent souvent peu des conditions hygiéniques de leur établissement, ils ne pénètrent souvent pas dans l'intérieur, ils s'établissent à l'embouchure des fleuves, situation généralement très-malsaine. Quant aux Basques, il faut attendre pour se prononcer.

On ignore quelle était la chevelure des gens de l'époque de Cro-Magnon; toutefois, M. Verneau, en ce moment aux Canaries, a écrit récemment qu'il pencherait à croire, d'après des données qu'il produira à son retour, que cette ancienne race aurait été blonde.

M. CHIL Y NARANJO dit qu'à Cuba, trois races européennes réussissent seulement, les Catalans qui demeurent négociants, les Basques et les Canariens qui sont parfaitement acclimatés et se livrent sans danger à l'agriculture sous le climat terrible des Antilles. Il en est de même dans l'Amérique du Sud, où les Canariens ont particulièrement prospéré, car ils résistent victorieusement aux épidémies. M. Chil cite un certain nombre d'individus d'origine canarienne qui ont joué un grand rôle politique dans les républiques hispano-américaines.

M. TOPINARD tient à faire ses réserves à l'endroit de l'opinion attribuée à M. Verneau sur la chevelure de la race de Cro-Magnon.

M. BERTILLON est moins optimiste que les précédents orateurs à l'endroit de l'acclimatement des Européens en Algérie. Toutefois, la statistique algérienne est si défectueuse qu'il est encore impossible d'en tirer des arguments pour ou contre l'acclimatement. M. Ricoux (de Philippeville), qui a fait des travaux sérieux sur sa ville natale, a constaté cependant que les Français s'y acclimataient, mais que les Italiens, les Maltais et les Espagnols y prospéraient.

M. G. LAGNEAU. Outre les intéressantes recherches statistiques relatives à Philippeville de M. Ricoux, citées par M. Bertillon, les recherches statistiques de M. Vallin, relatives à l'ensemble de l'Algérie, bien que reposant sur des documents officiels, qui, ainsi que l'observait notre Président, sont loin d'être parfaits, montrent que les Européens s'y acclimatent de mieux en mieux. Pour la plupart, la natalité excède la mortalité. Les familles de descendants d'Européens, nés en Algérie, sont surtout très-prospères. Les Maltais, les Espagnols et les Français du littoral méditerranéen y vivent et s'y perpétuent parfaitement. Toutefois, les Allemands, les Européens de race germanique septentrionale sembleraient encore éprouver de grandes difficultés à s'y créer des familles, à moins qu'ils ne s'unissent à des femmes espagnoles, ou à des femmes du midi de l'Europe.

Il y a longtemps, quelques années après l'occupation française de l'Algérie, tout en étant frappé, ainsi que Boudin de la difficulté qu'alors les Européens avaient à s'acclimater dans le nord-ouest de l'Afrique, M. N.-J. Périer, avait remarqué que nos compatriotes des départements méridionaux résistaient mieux que les autres aux mauvaises conditions telluriques et climatériques de l'Algérie; aussi demandait-il qu'on n'y envoyât que des troupes entièrement recrutées dans ces départements (2). En effet, le recrutement de nos régiments

(1) RENÉ RICOUx: Contribution à l'étude de l'acclimatement en l'Algérie, 1874. - E. Vallin : Mouvement de la population européeune en Algérie Annales d'hygiène et de méd. lég., mai 1876, 2e série, t. XLV, p. 409-446.

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(2) PERIER: De l'acclimatement en Algérie Annales d'hygiène et de méd. leg., 1845, t. XXXIII, 334, et tirage à part, p. 36. De l'Hygiène en Algérie, t. I, ch. 1, art. 1, § 5, p. 98 et art. 2, p. 118 dans Exploration scientifique de l'Algérie pendant les année 1840-1842, Paris, 1847.

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