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CHAPITRE VII.

Effets des passions sur l'organisme. — Réaction de l'organisme dans les passions. Leurs effets sur le corps social et sur les croyances religieuses.

Les orages qui bouleversent les facultés morales détruisent les forces physiques, et toute passion vile est un poison brûlant.

J. DROZ, Essai sur l'Art d'être heureux.

En général, les passions modifient l'organisme de trois manières différentes, selon qu'elles l'affectent agréablement, péniblement, ou bien qu'après lui avoir fait éprouver de la douleur, elles le laissent réagir contre la cause de sa souffrance. Dans le premier cas, elles poussent à l'extérieur du corps toutes les forces vitales; dans le second, elles les refoulent vers les viscères; dans le troisième, elles les ramènent violemment de l'intérieur à la périphérie. Les passions gaies sont donc éminemment excentriques; elles dilatent, elles épanouissent les traits du visage, qu'elles colorent par l'afflux de la chaleur et du sang. Les passions tristes, au contraire, sont concentriques; elles contractent la figure, rendent les traits grippés, et diminuent sensiblement la chaleur de la peau, à laquelle elles impriment un ton pâle, jaune ou plombé. Les passions mixtes participent de ces deux effets, c'est-à-dire que, d'abord concentriques, elles deviennent d'autant plus excentriques que les

individus sont doués d'une plus grande puissance de réaction telle est la colère chez les personnes robustes et bilieuses.

Du reste, plus les passions sont mises en jeu, plus elles abrégent, par leur excessive consommation vitale, l'existence des individus, aussi bien que celle des peuples.

Seuls conducteurs dont l'âme se serve pour recevoir et transmettre ses impressions, les nerfs sont ordinairement d'autant plus développés que les affections morales ont été plus vives, plus fréquentes, et la pensée plus active. Aussi, toutes choses égales d'ailleurs, trouve-t-on le grand sympathique beaucoup plus fort chez la femme que chez l'homme, tandis que l'arbre cérébro-spinal prédomine chez celui-ci.

L'ébranlement imprimé à tout le système nerveux par nos diverses passions va-t-il indifféremment retentir sur telle ou telle partie du corps, ou bien faitil ressentir son contre-coup à un organe plutôt qu'à un autre? C'est une question dont la solution m'a longtemps occupé, et qu'un grand nombre de faits pathologiques m'ont permis de résoudre de la manière suivante :

1° Lorsqu'il y a dans l'économie un organe malade, c'est toujours sur lui que la passion va retentir. 2o Existe-t-il harmonie complète entre toutes les fonctions, les passions gaies ébranlent de préférence les organes thoraciques; les passions tristes. les viscères abdominaux (1); et les passions mixtes, ces derniers d'abord, les premiers ensuite.

(1) Il est plus que probable que le sang éprouve aussi, par l'effet des passions, des altérations dont la chimie parviendra peut

3o Enfin, chez les individus dont le tempérament ou plutôt la constitution est fortement dessinée, les effets morbides varient selon les diverses prédominances organiques, prédominances que j'ai montré être une véritable prédisposition à des maladies en quelque sorte déterminées. Que trois jeunes gens, par exemple, l'un sanguin, l'autre nerveux, et le dernier bilieux, se livrent, dans les mêmes conditions, à un violent accès de colère, le premier aura trèsprobablement une congestion ou une hémorrhagie; le second, un spasme accompagné de mouvements convulsifs; et le troisième, un ictère ou un flux bilieux, précédé de coliques plus ou moins aiguës.

Telles sont les lois suivant lesquelles se communique l'ébranlement des passions, lois que le simple bon sens eût pu établir a priori, et qui m'ont coûté plusieurs années d'études morales et de recherches pathologiques.

Les anciens ont sans doute parfaitement constaté l'influence du moral sur le physique; mais ils se montrent beaucoup trop exclusifs, et prennent souvent l'effet pour la cause, quand ils prétendent que la joie provient de la rate; la colère, de la vésicule biliaire; l'amour, du foie; la jactance, des poumons; la sagesse, du cœur, etc. (1). A cette théorie, erro

être à constater la nature. Quant à présent, je crois pouvoir avancer que les passions gaies ou excentriques communiquent à ce liquide les caractères physiques qu'il présente dans la plupart des inflammations suraiguës, tandis que les passions tristes ou concentriques lui donnent plutôt l'aspect qu'il offre dans les maladies asthéniques, notamment dans le scorbut.

(1) «Homines splene rident, felle irascuntur, jecore amant, pulmone jactant, corde sapiunt, » etc.

née sous plus d'un rapport, je crois pouvoir substituer des observations consciencieuses et multipliées qui m'ont démontré, jusqu'à la dernière évidence, que chacun de ces viscères peut devenir malade sous l'influence de différentes passions; qu'il peut, à son tour, déterminer des passions diverses, et qu'enfin, dans les mêmes circonstances, les mêmes passions produisent constamment les mêmes maladies. Les trois lois établies précédemment, jointes à celles-ci, qui n'en sont que la conséquence, m'ont souvent fait porter un diagnostic exact dans des cas de médecine pratique aussi curieux que difficiles.

Cette étude, féconde en résultats, et jusqu'ici beaucoup trop négligée, de l'influence des passions sur les maladies, et des maladies sur les passions (1), peut facilement conduire à la solution des deux blèmes suivants :

pro

« 1° Un individu bien portant et d'une constitution connue étant donné, s'il s'abandonne à telle ou telle passion, quel genre de maladie éprouverat-il? Quels seront les organes affectés de préférence?

« 2° Un individu d'un caractère connu étant donné, indiquer, d'après les altérations survenues dans sa santé, quelle est la passion qui le domine actuelle

ment. »>

Il m'est aussi arrivé, surtout dans les passions et les maladies passées à l'état chronique, de porter un pronostic dont le temps venait presque toujours confirmer la justesse.

(1) Voir, p. 8 et suiv., l'article consacré à cette dernière influence.

Les maladies produites par les passions sont, à elles seules, incomparablement plus fréquentes que celles qui proviennent de tous les autres modificateurs de l'économie. La moitié des phthisies, tant ac quises qu'héréditaires, reconnaissent, en effet, pour cause l'amour ou le libertinage. La goutte et les phlegmasies aiguës du tube intestinal ne sont, la plupart du temps, que les tristes fruits de l'intempérance, de la gourmandise surtout. Les maladies chroniques de l'estomac, des intestins, du foie, du pancréas et de la rate, sont plutôt dues à l'ambition, à la jalousie, à l'envie, ou à de longs et profonds chagrins. Sur 100 tumeurs cancéreuses, 90 au moins doivent leur principe à des affections morales tristes. On a vu aussi ces mêmes affections produire subitement les dartres les plus rebelles, entre autres le lichen agrius. L'épilepsie, la danse de Saint-Guy, les tremblements nerveux, les convulsions, proviennent souvent d'une vive frayeur ou d'un violent accès de colère. Lorsque la fièvre lente nerveuse et le marasme, auxquels succombent un si grand nombre d'enfants et d'adolescents, ne sont pas déterminés par la funeste habitude de l'onanisme, nous devons reporter nos soupçons sur la jalousie. La passion de l'étude, surexcitant sans cesse le cerveau, au détriment des autres organes, n'amène-t-elle pas encore, chez les personnes qui s'y abandonnent, la dyspepsie, la gastralgie, l'insomnie, le flux hémorrhoïdal, et cette susceptibilité nerveuse qui les rend si malheureuses, en même temps qu'elle fait le tourment des êtres qui les entourent ?

D'un autre côté, les trois quarts des morts subites

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