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ne sont-elles pas occasionnées par l'ivrognerie, la gourmandise, le libertinage ou la colère?

Le suicide, ce fléau que l'on voit régner épidémiquement aux époques de corruption et de perturbation sociales, n'est-il pas presque toujours la conséquence de quelque passion fougueuse, ou d'un chagrin secret?

Enfin, sur 8,272 aliénés admis à Bicêtre et à la Salpêtrière dans le cours de neuf années, on trouve, d'après le Compte rendu de l'administration des hôpitaux, que la majeure partie de ces infortunés avaient aussi perdu la raison par suite de violentes passions ou de chagrins trop vivement sentis (1).

C'est encore une loi de l'économie, que tout organe souffrant s'efforce de diminuer l'irritation ou la congestion qu'il éprouve, en la renvoyant vers les parties avec lesquelles il sympathise davantage. Dans les passions portées au plus haut degré, la réaction des viscères thoraciques et abdominaux a lieu surtout sur l'encéphale, qui, à son tour ébranlé par ce reflux morbide, trouble notablement la raison, et la rend le jouet des hallucinations les plus bizarres. Voyez cet enfant peureux, obligé de traverser de nuit une allée de son jardin a-t-il entendu un léger bruit, c'est un voleur ou un assassin prêt à fondre sur lui. Déjà il l'aperçoit qui vient de son côté; en un instant il en voit deux, il en

(1) Les causes morales du suicide se présentent dans l'ordre suivant de fréquence : abus des liqueurs alcooliques, chagrins domestiques, inconduite et libertinage, revers de fortune, ambition, frayeur,

amour contrarié.

voit quatre. Alors une sueur froide baigne son corps; ses genoux se dérobent sous lui; il veut crier, sa voix expire sur ses lèvres. Ces prétendus voleurs n'étaient cependant que des arbres agités par le vent, et auxquels l'imagination malade de l'enfant avait donné une forme mensongère. Voyez encore ce jeune homme en proie à un amour violent, et prêt à tout sacrifier pour la femme qu'il adore: quelque circonstance vient-elle éteindre l'ardeur insensée qui le dévorait, semblable à quelqu'un qui sort d'un songe, il est tout étonné d'apercevoir mille défauts saillants chez celle qui, un instant auparavant, lui paraissait le type de toutes les perfections. Ainsi, soit que les passions réagissent sur le cerveau, soit qu'elles l'affectent primitivement, toujours est-il qu'elles amènent l'imagination et les sens à fausser momentanément la raison: aussi peut-on dire, en thèse générale, qu'elles ne diffèrent guère de la folie que par la durée.

Il est un dernier phénomène de réaction, digne de fixer toute l'attention du médecin : je veux parler de l'excrétion critique, qui a surtout lieu dans les passions provenant des besoins animaux. Ainsi, l'émission du fluide prostatique et de la liqueur séminale débarrassent l'organisme du spasme ou de l'agitation déterminée par de violents désirs érotiques. Les individus en proie à une vive frayeur succomberaient infailliblement, si le hérissement des cheveux, une sueur générale ou des excrétions alvines ne venaient opérer chez eux une détente salutaire. De même, le paresseux ne se débarrasse guère de son engourdissement et de son ennui qu'à l'aide

de longs bâillements, accompagnés de larmoiement et de pandiculations. Dans une grande douleur encore, celui qui peut verser des larmes en abondance finit par se sentir moins souffrant et moins malheureux. Enfin, si l'homme du monde exhale son ressentiment par une épigramme, une médisance ou une perfidie, l'homme du peuple n'exhale-t-il pas sa colère par des crachats, des jurements, des cris, des injures, des coups? Chez ces deux individus, le résultat physiologique est le même seulement, celui-ci a suivi l'impulsion de la nature, celui-là, l'usage de la société.

Du reste, on a vu les humeurs excrétées pendant la crise de certaines passions acquérir tout à coup des qualités anormales et même délétères : c'est ainsi que la peur a fait quelquefois blanchir subitement les cheveux, et que la salive d'individus en fureur a suffi plus d'une fois pour communiquer la rage.

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Considérées chez les masses populaires, les passions se montrent encore plus délirantes et plus terribles. C'est surtout alors qu'éminemment contagieuses, elles gagnent de proche en proche jusqu'aux simples spectateurs, et les entraînent souvent à des actes dont ils déplorent les suites quand ils sont revenus de leur funeste aveuglement.

Les tableaux suivants, résumés exacts de documents officiels, feront connaître les motifs apparents des crimes d'empoisonnement, de meurtre, d'assassinat et d'incendie, classés par fréquence; ils montreront en outre l'action perturbatrice des passions sur la société.

Sur 1,000 crimes de cette nature:

Haine et vengeance en ont produit..
Dissensions domestiques, haine entre parents..

264

143

Querelles au jeu ou dans les lieux publics....

113

Vol (pour l'exécuter ou en assurer l'impunité).
Querelles et rencontres fortuites.....
Discussions d'intérêts ou de voisinage...

102

94

80

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Désir de toucher une prime d'assurance sur la
vie ou les propriétés...

Amour dédaigné ou contrarié, refus de mariage.
Jalousie....

26

25

20

16

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Pour l'année 1839, sur 772 crimes d'empoisonnement, d'incendie, d'assassinat, de meurtre, et de coups et blessures suivis de mort, bien que portés sans intention de la donner, on trouve que :

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chacune des années 1840 et 1841, on trouve que :

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8,014 individus accusés de crimes ont comparu, en 1838, devant nos cours d'assises. Sur ce nombre, 2,189 (27 sur 100) étaient poursuivis pour des crimes contre les personnes, et 5,825 (73 sur 100) pour des crimes contre les propriétés. Les tribunaux de police correctionnelle ont statué, cette même année, sur le sort de 192,254 prévenus. Enfin, les tribunaux de simple police ont rendu 154,088 jugements contre 202,814 inculpés. Ainsi, pour une seule année, on compte en France:

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Pour compléter cet effrayant résumé des effets

sociaux produits par les passions, il faut ajouter

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