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doivent plus être considérés que comme des passions: le besoin, séparé du devoir, conduit toujours au mal. D'après les considérations précédentes, j'ai cru pouvoir rapporter toutes les passions humaines à trois classes de besoins :

1° A des besoins animaux;
2o A des besoins sociaux;
3 A des besoins intellectuels.

Les besoins animaux ou inférieurs nous sont communs avec la brute : ils prédominent pendant la première enfance de l'homme comme pendant celle des peuples.

Les besoins sociaux sont plus particulièrement accordés à l'homme qu'aux animaux, bien que ceuxci lui donnent d'assez fréquentes leçons d'ardeur pour le travail, d'affection pour leurs maîtres, et surtout de reconnaissance envers leurs bienfaiteurs.

Quant aux besoins supérieurs ou intellectuels, ils sont presque exclusivement l'apanage de l'homme; mais il ne les satisfait souvent, il faut l'avouer, qué pour outrager Dieu, qui les lui a départis avec tant de largesse.

Une vérité dont il n'est que trop facile de se convaincre, c'est que, dans les pays même les plus civilisés, l'on voit encore aujourd'hui les masses obéir plutôt aux besoins inférieurs qu'aux besoins supérieurs, comme si l'homme n'avait pas une autre destinée que la brute. D'où naît ce mal? de ce qu'une éducation sagement progressive ne vient pas de bonne heure donner à l'homme un corps sain et robuste, des sentiments généreux, un esprit droit et cultivé; de ce qu'une éducation à la fois physi

que, morale et intellectuelle, ne lui apprend pas à mettre en harmonie ses triples besoins comme être animé, comme être sociable, comme être intelligent.

CLASSIFICATION DES BESOINS.

1. Besoins animaux.

Ils peuvent tous être rapportés à l'amour de la vie et à sa transmission; en d'autres termes, à l'instinct de conservation et à celui de reproduction. Ils comprennent d'abord les besoins, essentiellement physiologiques, de calorique, de mouvement, de respiration, d'alimentation, d'exonération. Ces premiers besoins doivent être satisfaits, sous peine de voir bientôt cesser la vie. Deux voix intérieures, le plaisir et la douleur, nous avertissent si la satisfaction est suffisante ou dépassée: c'est ainsi que la tempérance laisse en nous un sentiment de bien-être et de liberté, tandis que la gourmandise et l'ivrognerie nous punissent, par le malaise et l'abrutissement, d'avoir franchi les limites du besoin.

Viennent ensuite les besoins qui nous portent à fuir ce qui nous nuit, à repousser et à détruire ce qui nous blesse, à acquérir les objets nécessaires pour nous nourrir, nous vêtir et nous abriter. Le manque ou l'excès de ces divers besoins enfante la peur ou la témérité, l'apathie ou la colère poussée jusqu'au

meurtre.

Les besoins qui dépendent de l'instinct de reproduction sont l'amour sexuel, l'amour des enfants, et celui des lieux où l'on a reçu et donné le jour. Rarement ils pèchent par défaut; au contraire, le

libertinage, l'aveuglement paternel, le fanatisme patriotique et la nostalgie, sont les fruits ordinaires de leur surcroît d'activité.

Tous ces besoins, plus ou moins impérieux, nous poussent aveuglément à des actes nuisibles, si le flambeau de l'intelligence ne vient les éclairer et leur montrer la ligne du devoir.

2. Besoins sociaux.

Le besoin d'affection, principe de la sociabilité et du mariage, constitue véritablement l'amour quand il est joint au besoin générateur; complétement isolé de lui, c'est l'amitié, qui est toute dans l'âme. Son défaut absolu rend l'homme froid, sauvage et égoïste; son développement excessif en fait le plus malheureux des êtres, par une susceptibilité trop irritable, qui dégénère en jalousie quand elle se trouve jointe à la méfiance.

La ruse et la circonspection sont, malheureusement, utiles à l'homme par elles il se défend contre ses ennemis, se tire des positions les plus difficiles, et se ménage des ressources pour l'avenir. Leur excès d'activité produit la fourberie, la pusillanimité, et la parcimonie, sœur de l'avarice.

L'amour-propre, ou besoin d'approbation, nous rend sensibles à l'éloge et au blâme, nous inspire le désir de nous distinguer, et devient ainsi l'un des principaux mobiles de notre conduite sociale. Renfermé dans de justes bornes, il donne naissance à l'émulation, aiguillon des belles âmes, source des grandes choses et des grandes vertus. Son défaut

engendre l'insouciance, la malpropreté et la paresse; son développement excessif produit la vanité et l'ambilion avec toutes leurs nuances, depuis la passion de la parure et du luxe, jusqu'à la soif immodérée de la célébrité, des honneurs et des conquêtes.

L'estime de soi est un besoin différent de l'amourpropre, avec lequel on l'a fort longtemps confondue. Trop grande, elle exagère le sentiment de notre valeur personnelle, et nous rend suffisants, présomptueux, hautains, orgueilleux, toujours prêts à nous admirer et à nous croire capables de tout. Trop faible, elle nous laisse tomber dans la défiance de nous-mêmes, dans le découragement, et ne nous permet pas de nous relever de nos chutes. On reconnaît son développement normal et harmonique à une conduite habituellement remplie de convenance et de dignité: le vrai mérite sait se respecter sans orgueil.

L'homme a besoin de fermeté, et le degré de sa fermeté indique la trempe de son caractère. L'irrésolu, qui ne sait pas ce qu'il veut, l'inconstant, qui ne veut plus aujourd'hui ce qu'il voulait hier, ont été comparés à la girouette, qui tourne à tout vent. D'un autre côté, la persévérance dans une résolution doit avoir des bornes; dès que l'on s'aperçoit qu'on fait fausse route, il faut savoir revenir sur ses pas l'opiniâtreté n'est que l'énergie de la sottise (1).

(1) Sur 100 individus affectés d'idiotie, le docteur Belhomme a constaté que 57 étaient remarquables par leur entêtement. ( Essai sur l'Idiotie; Paris, 1843, in-8°.)

Justice. C'est à ce besoin conservateur de l'ordre social que se rattache plus particulièrement la conscience, sorte de sens moral, juge intérieur qui nous fait connaître si nos actions sont bonnes ou mauvaises, comme le plaisir et la douleur nous signalent ce qui nous convient ou ce qui nous nuit.

L'esprit de justice, poussé à l'excès, nous rend timorés ou par trop sévères; son absence fait mettre au même niveau le bien et le mal, et contribue surtout à augmenter le nombre des criminels qui portent atteinte aux personnes et aux propriétés, depuis le braconnier jusqu'au conquérant, depuis les simples filous jusqu'aux usurpateurs, ces grands voleurs de couronnes et d'empires.

Bonté. Il est un sentiment qui nous fait compatir aux malheurs d'autrui, et qui nous porte aussitôt à les soulager: c'est la bonté, puissant auxiliaire de la charité chrétienne, et de la philanthropie ou bienfaisance administrative. Poussée trop loin, elle dégénère en bonhomie, en faiblesse même, et peut nous faire manquer au devoir sacré de la justice. Son absence constitue la sécheresse de cœur, l'égoïsme et la méchanceté. « Lorsque Dieu forma le cœur et les entrailles de l'homme, dit Bossuet, il y mit premièrement la bonté, comme le propre caractère de la nature divine. »>

3. Besoins intellectuels.

Les besoins intellectuels qui se présentent d'abord à notre observation, sont: le besoin de connaitre ou amour du vrai, l'amour du bon, l'amour du beau.

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