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de son cœur; en vain continue-t-il à lui rendre d'importants services; en vain lui sauve-t-il de nouveau la vie : Saül ne reconnaît par intervalle sa propre injustice que pour redevenir plus jaloux et poursuivre sa victime avec plus d'acharnement encore. Saül, remarquons-le bien, n'était dépourvu ni de forces physiques, ni de courage, ni de mérite, ni même de piété; mais la passion dans laquelle il retombait toujours a suffi pour en faire successivement un homme lâche et ingrat, un roi injuste, superstitieux et parjure, un mélancolique furieux, un meurtrier, un suicide.

Puis-je ne pas signaler ici la triste fin de ces grands ambitieux, dont la vie politique n'est le plus souvent qu'une suite de rechutes dans la passion qui les dévore. Si je consulte le tableau qui indique la fin tragique d'une centaine seulement des plus célèbres d'entre eux, j'y vois que :

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(Voir, dans la seconde partie de cet ouvrage, l'ar

ticle AMBITION.)

Ces exemples, que je pourrais multiplier à l'infini, suffiront sans doute pour appeler toute notre attention sur le danger de contracter des habitudes vicieuses ou criminelles, dont il est ensuite si difficile de se corriger. Aussi, dès que nous avons eu le malheur de nous laisser terrasser une première fois par la passion, tâchons, athlètes courageux, de reprendre à l'instant même une noble revanche, et de reconquérir promptement notre dignité morale. En agissant de la sorte, on a tout à gagner; car, en évitant la récidive dans la passion, on évite la récidive dans la maladie, qui abrége l'existence, et la récidive dans le crime, qui la déshonore.

CHAPITRE X.

1

Des Passions considérées comme moyens de guérison dans les maladies.

Il est des poisons qui, dans les mains d'un habile médecin, se convertissent journellement en remèdes efficaces.

Nous allons d'abord étudier les effets curatifs de certains sentiments qui agissent sur l'économie à la manière des passions; nous nous occuperons ensuite des passions proprement dites, qui ne doivent être employées comme moyens thérapeutiques que dans des cas exceptionnels, et d'accord avec les principes sévères de la morale chrétienne.

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De la Joie et du Rire. -La joie, dit Mackensie, est le soutien de la santé et le contre-poison de la maladie. La gaieté, selon Hippocrate, est favorable dans toutes les affections. Galien assure avoir vu un grand nombre de malades qui furent redevables de leur guérison plutôt à leur humeur joviale qu'à l'usage des médicaments. Enfin, Ambroise Paré, Sanctorius, Pechlin, Tissot, et beaucoup d'autres observateurs, citent une foule de cures obtenues par l'effet de la joie, principalement dans les fièvres intermittentes, la jaunisse, le scorbut, les scrofules et la paralysie.

Le rire, quand il est l'expression de la joie, ne produit pas seulement une accélération notable

dans la circulation, il imprime aussi à certains muscles une secousse qui devient quelquefois curative. Pechlin rapporte qu'un jeune homme, grièvement blessé à la poitrine, était abandonné des médecins, qui le croyaient sur le point d'expirer. Ses camarades, qui le veillaient, s'amusèrent à noircir avec de la mouchure de chandelle le plus jeune d'entre eux qui s'était endormi au pied du lit. Le mourant, ayant ouvert les yeux, fut si frappé de ce grotesque spectacle, que, s'étant mis à rire, il sortit par sa plaie plus de deux livres de sang épanché, et qu'il se rétablit parfaitement.

Plus d'une fois aussi, le rire a déterminé la délivrance de femmes en couches dont les forces paraissaient tout à fait épuisées, et dont les douleurs avaient disparu.

Plusieurs vomiques, ou abcès dans le poumon, ont été ouvertes dans les bronches, et heureusement expulsées par l'effet du rire. Ce fut, comme on le sait, en lisant les Lettres des hommes obscurs, qu’Érasme rejeta la vomique qui le suffoquait, et que son rire excessif lui sauva la vie.

Coringius, à ce que l'on assure, fut guéri d'une fièvre tierce rebelle par le vif plaisir qu'il eut de converser avec Meibomius.

On a, dit Tissot, plusieurs exemples d'enfants tristes, pâles et rachitiques, chez lesquels le rire, provoqué par le chatouillement, a été suivi des plus heureux résultats. Il est certain qu'à l'aide de ce moyen très-simple, et pour cela même beaucoup trop négligé, je suis parvenu à dissiper des engorgements lymphatiques qui avaient résisté à une

foules de remèdes internes et externes. Il suffit de mettre les enfants sur un lit, quand leur estomac est libre, et, en badinant, de les chatouiller à nu, tant qu'ils paraissent s'en amuser. Ce petit jeu, répété le matin et le soir pendant quelques minutes, opère ordinairement, au bout de quinze à vingt jours, une amélioration sensible dans leur constitution : leur peau n'est plus aussi blafarde, leur visage surtout est plus coloré, leur physionomie plus gaie, plus animée : c'est que l'ébranlement général occasionné par le rire a en quelque sorte injecté la vie dans les vaisseaux capillaires qui en étaient privés.

Une joie trop subite et le rire immodéré pouvant néanmoins avoir les suites les plus funestes, notamment dans le traitement des maladies aiguës, des hernies, des fractures et des plaies en général, c'est à la prudence du médecin de n'employer ce mode d'excitation qu'avec mesure, et après s'être assuré qu'il ne peut produire aucune réaction défavorable.

Je

De la Douleur, du Chagrin et de la Tristesse. ne pense pas que le chagrin et la tristesse aient jamais été rangés parmi les agents thérapeutiques. C'est qu'en effet, ces deux produits de la douleur morale (1) retardent presque toujours la guérison des maladies, lorsqu'elles n'en déterminent pas de nouvelles, ou qu'elles ne causent pas la mort dans un laps de temps plus ou moins long. Plus d'une fois, cependant, un chagrin violent et imprévu est parvenu à modifier avantageusement certaines con

(1) Le chagrin est la douleur morale à l'étatˇaigu; la tristesse est un chagrin chronique,

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