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paroxysmes surtout, la raison ne saurait être regardée comme saine, se trouvant alors plus ou moins fascinée par les hallucinations et les illusions (1) que l'on rencontre dans les diverses formes de la folie.

Mais, outre ces hallucinations et ces illusions perfides, l'altération profonde des traits, l'agitation convulsive des membres, n'attestent-elles pas, dans les passions excentriques surtout, un état plus ou moins délirant et qui peut aller jusqu'à la frénésie, summum de la fureur et dernier terme de la folie? Voyez un homme tombé dans un violent accès de colère, et dites en quoi il diffère alors d'un aliéné affecté de manie furieuse. N'ont-ils pas tous deux les cheveux hérissés, l'œil en feu, l'écume et l'injure à la bouche? N'êtes-vous pas effrayés de leurs gestes menaçants et de la violence des coups dont ils se frappent eux-mêmes à défaut d'adversaires? N'êtesyous pas en même temps étonnés de l'exaltation de leurs idées, de la volubilité et de l'incohérence de leurs paroles? Avouez donc que la colère n'est guère qu'un accès de manie furieuse, comme la manie furieuse n'est qu'une colère prolongée. Vous direz éga

(1) Suivant Marc et Esquirol, les hallucinations consistent dans des sensations externes que les malades croient éprouver, bien qu'aucune cause extérieure n'agisse matériellement sur eux. Les illusions sont au contraire l'effet d'une action matérielle, mais que les sens perçoivent d'une manière fausse. Ainsi, celui qui croit entendre des voix parlant de lui, ou lui adressant la parole, bien que le plus profond silence règne autour de lui, est un halluciné. Celui auquel il semble à tort que les aliments qu'il prend ont une saveur métallique étrangère à leur nature est un illusionné. Or, les hallucinations et les illusions peuvent produire un déirle passager, et, par suite, les actes les plus déraisonnables.

lement que la mélancolie suicide n'est autre chose qu'un désespoir chronique, de même que le suicide consommé pendant les paroxysmes des passions n'est le plus souvent qu'un délire aigu, qu'un acte de frénésie.

Une remarque faite depuis longtemps, et qui prouve encore l'analogie des passions et de la folie, c'est qu'en général, si les passions viennent à produire un dérangement complet et persistant de la raison, ce dérangement conserve si bien le cachet de son origine qu'il semble n'être qu'une suite d'accès de la passion primitive. C'est ainsi que la folie produite par la peur et la crainte est accompagnée de pantophobie ou terreur panique continuelle, et que quand la colère passe à l'état d'aliénation mentale persistante, elle revêt de préférence le caractère de la manie avec fureur. De même, nous voyons l'ambition peupler les établissements consacrés aux aliénés, de millionnaires, de ministres, de princes, de rois, d'empereurs; tandis que l'orgueil et la vanité produisent des fous philosophes, des fous poëtes ou orateurs, qui, comme sur la scène du monde, s'imaginent encore captiver les esprits, et seuls avoir toujours raison. Cette remarque s'applique aussi aux effets de l'amour; et si quelquefois on n'en reconnaît plus le caractère sensuel dans le genre de folie qui en est la suite, c'est que le besoin physique devait être dominé par quelque besoin affectif de là la monomanie ambitieuse, et la mélancolie suicide, si fréquente à la suite des amours malheureux.

Qu'on n'aille pas conclure de ce qui précède que

je regarde comme excusables tous les actes commis pendant l'effervescence des passions. Vouloir constamment assimiler ces dernières à l'aliénation mentale, ce serait placer l'immoralité sur la même ligne que le malheur, ce serait offrir au crime l'encouragement de l'impunité. J'ai seulement voulu montrer que les passions suraiguës, c'est-à-dire qui éclatent tout à coup et avec violence, sont on ne peut plus voisines de la folie; et que chez celles dont la marche est chronique, la culpabilité existe principalement pendant les deux premières périodes. Dans la troisième, en effet, la liberté morale, le libre arbitre n'est plus dans toute sa plénitude, parce qu'alors, par un funeste effet de l'habitude, la conscience est ordinairement muette, et le jugement plus ou moins faussé.

La liberté morale, considérée dans son application à la pénalité, est donc une question grave, dont la solution laissera toujours infiniment à désirer : car, si la liberté n'est que l'intelligence qui juge, qui délibère, qui choisit, il doit y avoir autant de degrés pour la liberté qu'il y en a pour l'intelligence. Depuis longtemps, des hommes aussi éclairés que consciencieux ont cherché à différencier les actes résultant d'une lésion de l'entendement, de ceux qui proviennent du trouble des passions, et aucun d'eux n'est encore parvenu à fixer à cet égard des préceptes positifs et immuables; tout ce qu'ils ont pu faire, c'est de placer çà et là quelques faibles jalons pour orienter ceux qui voudront s'engager dans la même route.

Je terminerai cette esquisse rapide par une con

clusion que j'emprunte à M. Lelut: c'est que « la folie n'est point une chose à part, que tous les fous ne sont pas sous la tutelle des asiles qui leur sont consacrés, et que de la raison complète ou philosophique au délire véritablement maniaque, il y a d'innombrables degrés dont il serait avantageux à tout homme d'avoir au moins la connaissance générale, afin de ne pas mettre toujours la colère ou la vengeance à la place de cette pitié indulgente dont peut-être il a eu quelquefois besoin, et qu'il pourra quelquefois encore avoir à réclamer pour lui-même. »

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CHAPITRE XII.

Coup d'œil philosophique sur les Besoins et les Passions des animaux, rapportés à la conservation de l'individu et à la reproduction de l'espèce.

Les animaux ont un cœur et des passions; mais la sainte image de l'honnête et du beau n'entra jamais que dans le cœur de l'homme.

J.-J. ROUSSEAU, Lettres à d'Alembert sur les Spectacles.

S1. Instinct de conservation; besoins et passions qui en dépendent: sentiment de la peur, besoin d'alimentation, voracité, co'ère, courage, penchant au vol et à la destruction, ruse et circonspection, attachement et reconnaissance, amourpropre, amour des louanges.

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Instinct de conservation. « Croissez et multipliez,» a dit la souveraine Sagesse; et tous les êtres animés ont obéi à cet ordre créateur. Par cette divine parole, ils ont reçu et ont pu transmettre à leurs descendants cette illumination mystérieuse qui leur fait fuir ce qui peut nuire à leur développement, et rechercher ce qui lui est favorable : c'est ce que j'entends par instinct de conservation. Chez les animaux, comme chez l'homme, cet instinct se montre dès le premier moment de la naissance, peut-être même le précède-t-il. A quoi, en effet, attribuer les mouvements du foetus dans le sein de la mère, si ce n'est au besoin de prendre une position plus favorable? Je pense aussi, avec quelques

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