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réunion bienveillante qui les conduirait plus vite dans le sentier du vrai. Pour moi, qui ne me suis enrôlé sous aucun drapeau, j'ai rapproché, sinon les hommes, du moins leurs travaux, leurs écrits; j'ai observé avec calme la lumière qui jaillissait du choc de leurs opinions, et, spectateur attentif, j'ai cru, dans cette question physiologique, apercevoir la vérité, qui échappait aux regards distraits des combattants. Je ne pense donc pas, avec Bichat et d'autres célèbres physiologistes, que toutes les passions soient uniquement du domaine de la vie intérieure, régie par le système nerveux ganglionaire. Je ne crois pas non plus, avec Descartes, Gall, Spurzheim et Broussais, qu'elles aient exclusivement leur siége dans le cerveau. L'observation, d'accord avec le raisonnement, m'a plutôt conduit à admettre que les passions, qui résident dans tout l'organisme, sont transmises du corps à l'âme, et de l'âme au corps, par l'intermédiaire des deux systèmes nerveux qu'elles ébranlent simultanément, avec cette différence, que leur contre-coup, si je puis m'exprimer ainsi, va retentir de préférence, tantôt sur le centre cérébro-spinal (1), tantôt sur le centre nerveux ganglionaire.

(1) Quand on enlève, sur un animal, le cerveau proprement dit, on abolit l'intelligence; quand on enlève le cervelet, on abolit les mouvements de locomotion; et quand on détruit la moelle allongée, on abolit la respiration et la vie. Ces expériences ont conduit M. Flourens à admettre que l'encéphale se compose de trois parties essentiellement distinctes le cerveau, siége exclusif de l'intelligence; le cervelet, siége du principe qui règle l'équilibration ou la coordination des mouvements de locomotion; enfin la moelle allon

Cette proposition demande à être développée : l'organisme n'est pas seulement l'ensemble des appareils qui composent le corps humain ; on doit entendre par ce mot l'homme vivant, c'est-à-dire l'union mystérieuse des organes avec l'archée directeur, le principe vital, disons mieux, avec l'âme, qui leur transmet à la fois le sentiment et le mouvement par le moyen de cordons blanchâtres, de conducteurs médullaires appelés nerfs, et les fait ainsi concourir à l'harmonie de toutes nos fonctions.

Ceci admis, comment comprendre qu'on veuille faire siéger exclusivement les passions, soit dans l'âme, soit dans le corps? Ne sont-ils pas tous les deux dépendants l'un de l'autre dans nos besoins, dans nos désirs, et jusque dans la moindre de nos émotions? Est-ce que, par exemple, nous ne voyons pas tous les jours le caractère des personnes les plus douces devenir irascible sous l'influence de la faim ou de la maladie? Est-ce que la maladie et la faim ne sont pas à leur tour notablement modifiées par la puissance de la volonté, ou par la violence de certaines passions, comme on le remarque surtout dans l'avarice, l'ambition et l'amour?

L'homme, on ne saurait trop le répéter, est essentiellement un; sa vie, il est vrai, se manifeste par une infinie multiplicité d'actions, mais aucune de ses manifestations n'est purement physique, ni purement spirituelle.

Reste à prouver qu'aucun des deux systèmes

gée, siége du principe qui règle le mécanisme de la respiration, et, par suite, le mécanisme entier de la vie.

nerveux n'est le siége exclusif des passions. Il est certain que, chez la femme surtout, le plexus solaire (1) ressent beaucoup plus que les nerfs de la vie de relation l'ébranlement morbide que les passions occasionnent; mais pourquoi prétendre que le cœur, ému primitivement par ce plexus, réagisse toujours sur le cerveau à l'aide du nerf de la huitième paire ou pneumogastrique? Ne peut-on pas dire aussi bien que les passions agissent d'abord sur le cerveau, qui ensuite les fait irradier sur le cœur, par le des branches nerveuses dont nous vemoyen nons de parler?

Chacune de ces opinions peut sans doute être soutenue victorieusement dans un cas donné, mais non dans tous les cas. Il en est de même du siége pathologique de la folie, de la mélancolie et de l'hypochondrie, qui n'est pas constamment dans le cerveau ni dans les viscères, mais tantôt dans les viscères, tantôt dans le cerveau, comme ont pu s'en convaincre les praticiens qui ont fait un grand nombre d'ouvertures sans aucun esprit de système. Chez certains aliénés, en effet, on trouve, après la mort,

(1) L'anatomiste Willis a donné ce nom à un réseau nerveux, de forme rayonnante, qui est situé sur l'aorte et sur les piliers du diaphragme, et dont les branches s'étendent dans tout l'appareil intestinal. J'ai trouvé ce plexus excessivement développé chez presque tous les individus qui avaient éprouvé de violentes passions, et surtout des passions tristes. D'un autre côté, les personnes chez lesquelles le système nerveux ganglionaire offre le plus de développement sont, sans contredit, celles qui se montrent le plus impressionnables. Cette prédominance nerveuse est donc à la fois cause et effet; c'est ainsi qu'elle prédispose à la peur, et que la peur l'augmente.

une atrophie cérébrale qui coïncide pour l'ordinaire avec un épaississement remarquable des os du crâne. Chez beaucoup d'autres, on n'observe aucune trace de lésion dans l'encéphale, mais on rencontre des dégénérescences du foie ou de la rate, des tumeurs squirrheuses à l'estomac, des ulcérations nombreuses dans les intestins, des varices au mésentère, enfin un développement anormal du plexus solaire et des plexus secondairès qui sont sous sa dépendance. Sur 742 femmes aliénées, Esquirol a constaté que 72 avaient perdu la raison à la suite de couches. La folie, dans ce cas, n'est point idiopathique, mais bien certainement symptomatique, et presque toujours elle est due à une névrose utérőcérébrale produite par la surexcitation du système nerveux utérin, laquelle va retentir avec trop de violence sur l'encéphale. Et la preuve que le point de départ de la maladie est dans l'utérus, c'est que, de toutes les espèces d'aliénations mentales, celle-ci est sans contredit la plus facile à guérir, lorsqu'on a soin de diriger plus spécialement le traitement sur cet organe que sur le cerveau. On sait encore que goûts bizarres, l'irascibilité de caractère, les peurs excessives et l'aliénation que l'on observe chez les femmes enceintes, disparaissent le plus souvent après l'accouchement. Or, les passions, ou besoins déréglés, n'étant, en dernier résultat, que de simples degrés de folie, le raisonnement seul eût dû faire pressentir que leur siége pouvait également varier

les

Concluons donc : 1" que les passions sont répandues dans tout l'organisme; 2° que leur siége phy

sique réside dans les conducteurs de la sensibilité, par conséquent dans l'ensemble du système nerveux, puisque l'arbre cérébro - spinal et le tris.. planchnique s'enlacent, s'anastomosent, sympathisent, à l'aide de nombreux filets qui en forment une sorte de chaîne électrique; 3° enfin, que la commotion produite par les passions va retentir de préférence sur les appareils prédominants, ou sur les organes qui se trouvent dans un état morbide. - Le bon et modeste Andrieux me disait un jour : « J'ai traité dans ma vie un grand nombre de sujets en prose et en vers: eh bien! les mieux écrits ont toujours été ceux que j'ai composés en travaillant d'ici (il me montrait son épigastre); tout ce qui venait de la tête était peut-être plus correct, mais un peu trop froid. Pourriez-vous, monsieur le médecin, me donner la raison physiologique de cette différence? C'est, lui répondis-je d'abord, que les grandes pensées viennent du cœur. — Fort bien, reprit-il vivement. Vauvenargues s'était sans doute rappelé le passage de Quintilien: Pectus est quod disertos facit. Mais pourquoi est-ce plutôt le cœur que le cerveau qui rend éloquent? - Je ne crois répliquai-je, que le cœur seul fasse l'homme éloquent; aussi Quintilien ajoute-t-il : et vis mentis, que vous oubliez de citer, mon cher maître. Sans doute, aucun mouvement pathétique ne saurait être bien rendu sans que le cœur soit plus ou moins ému; mais d'où vient primitivement cette émotion? Du cerveau, siége de cette brillante faculté intellectuelle qui consiste à créer des images, qui vont aussitôt se reproduire sur les entrailles. Dans cette espèce

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