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de courant électro-magnétique, l'organe central de la circulation, le cœur, réagit à son tour sur le cerveau, et alors l'expression de la pensée jaillit plus facile, plus colorée, plus vraie, parce qu'elle est toute empreinte du sentiment, de la passion réelle ou factice sous l'influence de laquelle on écrit. Ainsi, matériellement parlant, quand on travaille du cerveau, on est plus calme, plus clair, on raisonne; quand on travaille des entrailles, on est plus ému, plus passionné, on sent (1). Dans le premier cas, on amène la conviction dans les esprits; dans le second, on produit plutôt l'entraînement. Le bon écrivain, l'habile orateur, est celui qui sait à la fois convaincre et entraîner: Pectus est quod disertos facit, et vis mentis. En résumé: au cerveau l'intelligence; au cœur le sentiment; à tous deux la véritable et solide éloquence. »

(1) Après un travail excessif, les mathématiciens ont ordinairement la tête chaude et pesante; les littérateurs éprouvent plutôt un spasme vers la région épigastrique, et ce spasme est d'autant plus prononcé, qu'ils ont mis plus de chaleur dans leur composition. On a aussi remarqué que l'extase, et tous les cas d'exaltation intellectuelle caractérisés par une éloquence au-dessus des moyens habituels d'un individu, tiennent presque toujours à un spasme des organes génitaux, dont l'irritation influence vivement l'encéphale. J'ai guéri, il y a quelques années, une catalepsie extatique qui dépendait de la même cause,

CHAPITRE IV.

CAUSES DES PASSIONS.

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Influence des différents Ages, des Sexes, des Climats, de la Température et des Saisons, de la Nourriture, de l'Hérédité et de l'Allaitement,-des Tempéraments ou Constitutions, des Maladies, de la Menstruation et de la Grossesse, de la Position sociale et des Professions, -de l'Éducation, de l'Habitude et de l'Exemple, du Grand monde, de la Solitude et de la Vie champêtre, — de l'Irréligion,des Spectacles et des Romans, des différentes formes de Gouvernement, - de l'Imagination.

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C'est d'abord dans la constitution béréditaire de chaque individu, puis dans l'atmosphère physique et morale dont il est environné, qu'il faut chercher les causes de ses passions.

Un volume entier ne suffirait pas pour traiter des causes nombreuses qui favorisent ou qui déterminent le développement des passions (1) je me bornerai donc à jeter un simple coup d'œil sur les principales. Cette étude, aussi curieuse que délicate, fera voir comment l'organisation et le caractère de l'homme sont modifiés par la double atmosphère physique et morale dont il est environné. Mais, avant d'entrer en matière, il est à propos de

(1) Les causes des passions sont, comme celles des maladies, prédisposantes ou déterminantes, avec changement de rôles, c'està-dire que les prédisposantes peuvent devenir déterminantes, et

vice versa.

faire remarquer que ces diverses causes n'agissent jamais d'une manière tout à fait isolée, et qu'ainsi il faut bien se garder d'attribuer exclusivement à chacune d'elles l'influence composée qu'a dû exercer leur résultante.

Influence des différents Ages.

Le temps, qui change tout, change aussi nos humeurs ;
Chaque age a ses plaisirs, son esprit et ses mœurs,

á dit Boileau, d'après Horace et la plupart des anciens moralistes. Quatre passions dominantes semblent, en effet, se partager la vie de l'homme: la gourmandise dans l'enfance, l'amour dans la jeunesse, l'ambition dans l'âge mûr, et l'avarice dans la vieillesse. Cherchons les raisons physiologiques de ces diverses prédispositions.

Le Créateur, dans sa prévoyance, a voulu que l'instinct de conservation veillât principalement à favoriser le développement physique de l'enfant nouveau-né: aussi l'existence de cet être délicat n'est guère qu'une vie végétative partagée entre la nutrition et le sommeil. Chez lui, les digestions sont rapides, et les sécrétions abondantes de là le besoin fréquent de réparer des forces si vite épuisées, de là le retour fréquent de l'appétit : son estomac ne saurait donc rester inactif, et, pour peu qu'on le laisse pâtir, des cris d'impatience réclament impérieusement l'aliment qui lui est nécessaire. Bientôt les objets environnants viennent éveiller la mobile attention de l'enfant au milieu de ses impressions

aussi rapides que tumultueuses, il étend ses petites mains, il veut tout saisir et tout porter à sa bouche, comme plus tard il voudra tout briser. Vers la fin de la première année, c'est encore le besoin d'alimentation qui excite en lui les accès de jalousie auxquels il se livre plus fréquemment qu'on ne le pense; c'est surtout quand sa nourrice lui retire le sein pour le donner à un autre enfant, qu'on voit ses traits se contracter, et ses bras débiles chercher à écarter cet importun rival qui vient lui disputer la source où il puise la vie. Cependant, de cinq à sept ans, la jalousie peut provenir autant du besoin d'affection que de celui de nutrition, et, à cet âge, il n'est pas rare de voir cette passion marcher sourdement, et présenter, dès son début, un caractère chronique: alors les petits malheureux qui en sont atteints deviennent tristes et moroses; leur appétit se perd; ils recherchent les lieux retirés et obscurs ; ils fuient les jeux et les amusements de leur âge. En même temps la fraîcheur de leur teint disparaît; leur peau s'étiole; ils tombent dans le marasme, et, comme nous le verrons ailleurs, une mort lente vient souvent terminer cette sombre mélancolie, dont la cause a échappé à la sollicitude des parents eux-mêmes.

La colère et la peur, ressources des êtres faibles, s'observent aussi très-fréquemment chez les enfants; mais, encore une fois, leur passion la plus forte est la gourmandise, mobile que, du reste, on emploie sans aucun discernement pour diriger leurs moindres actions.

A cette première période de la vie, où prédomine

le système nerveux ganglionaire, succède l'adolescence, époque de transition qui nous conduit à la jeunesse. Cette saison de turgescence, pendant laquelle toutes les fonctions s'accomplissent avec un surcroît d'activité, se signale habituellement par l'affluence des passions excentriques, et surtout de l'amour. Le jeune homme, en effet, s'enivre avec fureur de tous les plaisirs, comme s'il avait hâte d'en tarir la source; rien ne semble impossible à son ardeur, à sa témérité : les grandes entreprises flattent ses espérances; son courage s'aiguise par les obsta cles, et, au milieu du péril, on le voit courir à la mort, qu'il affronte avec une fougueuse et insouciante intrépidité. Vaniteux et colère, il se révolte contre la censure; la moindre offense est à ses yeux une insulte grave; sévère, mais seulement pour les défauts d'autrui, insolent avec ses antagonistes, plein surtout de son petit savoir, il tranche d'un ton affirmatif les questions les plus ardues. D'un autre côté, rempli de générosité et de désintéressement, rarement il consulte ses intérêts pécuniaires, rarement aussi il a recours à la ruse, et, s'il se porte à quelque acte que sa conscience condamne, il en éprouve bientôt un vif regret. Personne ne se montre plus sensible que lui au malheur de ses semblables: il embrasse la querelle de l'opprimé, et se révolte facilement contre le pouvoir qu'il juge tyrannique; toutefois, grand partisan de l'égalité, il ne paraît guère aimer que l'égalité avec ses supérieurs. Mais, de tous ses besoins physiques et moraux, le plus actif, le plus impérieux est, sans contredit, l'amour, qui chez lui tend sans cesse à déborder, de même que

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