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étouffée par ses sanglots : « Revenez, monsieur l'abbé, revenez bientôt auprès de moi; j'ai bien besoin de vos consolations; mais, je vous en conjure, n'approchez pas de mes lèvres le divin Rédempteur, dont tout à l'heure encore je blasphémais le nom; je suis trop indigne d'un tel bonheur! - Dieu est rempli de miséricorde, lui dit le vicaire attendri; on répare ses fautes quand on les pleure amèrement, et votre repentir me paraît trop sincère pour que j'hésite à vous administrer les sacrements, que réclame à l'instant même votre triste position. Je les recevrai donc, monsieur l'abbé, puisque vous me l'ordonnez, reprit le nouveau centenier, mais seulement après avoir fait amende honorable devant ceux que j'ai autrefois scandalisés par mes forfaits.» Aussitôt il fait appeler deux voisins, ses anciens camarades, et leur demande pardon des affreux exemples qu'il leur a donnés à l'Abbaye et aux Carmes; puis il embrasse en pleurant sa femme, et reçoit à genoux le saint viatique avec la piété la plus édifiante. Son confesseur voulut alors qu'il se couchât; mais il demeura en prière, appuyé sur le chevet de son lit. Pressé de nouveau de prendre la position qu'exigeait son état de faiblesse : « Je sens, dit-il, qu'il ne me reste que peu d'instants à vivre; je ne puis rien offrir à Dieu que mes prières et mes larmes; laissez-moi du moins la consolation de mourir à genoux : c'est faire bien peu pour expier tous mes crimes!»

Vers minuit, il poussa un profond soupir, et s'endormit dans le Seigneur, toujours à genoux,

et les lèvres appliquées sur un crucifix qu'il n'avait pas cessé de baigner de ses pleurs (1).

(1) Le lendemain matin, le visage de ce vieillard n'avait pas seulement perdu la laideur repoussante qu'il offrait pendant la vie, il était devenu d'une beauté remarquable, et l'on y voyait briller un air de sérénité et de bonheur, cachet ordinaire d'une conscience pure ou réhabilitée par le repentir.

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La peur (pavor), passion éminemment concentrique et débilitante, peut être définie : un état pénible de l'âme, avec trouble des sens, produit par la perception rapide d'un danger réel ou imaginaire. De toutes nos affections, c'est peut-être la plus contagieuse, et celle qu'on peut le moins dissimuler. On la voit souvent s'emparer de nous avant l'approche du péril, et durer longtemps après qu'il est passé.

La frayeur, l'effroi et la terreur, expriment par gradation trois états dans lesquels l'organisme éprouve encore une plus grande perturbation; chez l'être habituellement peureux ce sont de véritables paroxysmes de la fièvre continue qui le

tourmente.

Plus vive, mais plus passagère que la peur, la frayeur (de fragor, grand bruit) naît d'un danger subit, imprévu, et qui nous est personnel; elle provient des choses que nous entendons ; elle saisit.

L'effroi dure tant que le danger qui l'a causé est

présent; il naît des choses que nous voyons; il glace. Occasionnée par ce que nous croyons être, plutôt que par ce qui est réellement, la terreur (terror) produit sur nous l'effet de la tête de Méduse: elle pétrifie.

La terreur peut être panique; l'effroi ne l'est jamais; aussi les cauchemars doivent-ils être considérés comme des accès de terreur.

Il est une autre nuance de la peur (je veux parler de l'épouvante ), qui nous pousse à fuir avec rapidité le danger auquel nous ne nous sentons pas la foree de résister. C'est la seule réaction conservatrice de la peur livrée à elle-mème, c'est-à-dire lorsque aueune autre passion ne vient à son secours. On veut sans doute parler de l'épouvante quand on dit que la peur donne des ailes, car la frayeur, l'effroi et la terreur ne pourraient que les paralyser. Une remarque qui n'a pas échappé aux naturalistes, c'est que les animaux les plus susceptibles d'éprouver ce sentiment sont précisément ceux qui courent avec le plus de vitesse : dans sa prévoyante sollicitude, la nature, ainsi que nous l'avons vù, les à organisés en même temps pour la peur et pour la fuite.

La crainte (timor), que l'on à mal à propos confondue avec la peur, est cè sentiment d'inquiétude excité dans l'âme par l'idée d'un mal que l'on redoute, et dont on s'exagère les conséquences. Sentinelle pusillanime, la crainte prévoit le danger, donne l'éveil à l'organisme, qu'elle stimule, mais elle n'ose pas avancer. Soldat inutile, la peur recule à la vue de l'ennemi, ou tombe, et se laisse tuer

sans presque opposer de résistance. La crainte des lois, ainsi que nous l'avons vu précédemment, est un ressort indispensable au mécanisme social: car si les gens de bien observent les lois parce qu'il est juste de les observer, les méchants ne s'y soumettent que parce qu'il y aurait pour eux du danger à ne le faire. Du reste, si la crainte du maître est esclala crainte des lois est liberté.

pas

vage,

Il y a encore une espèce de crainte religieuse connue sous le nom de scrupule: c'est la plupart du temps un mélange de faiblesse d'esprit, d'orgueil et d'opiniâtreté. Quant au respect humain, né d'une mauvaise honte qui nous fait dissimuler notre foi, c'est un premier pas vers l'apostasie, et par conséquent une lâcheté.

Puissants auxiliaires de la peste, des conquérants et autres fléaux, la crainte et la peur naissent souvent l'une de l'autre. Tantôt elles agissent isolément, tantôt elles se confondent, et produisent deux caractères généralement méprisés, le poltron et le lâche, parce qu'on ne saurait compter ni sur le secours de l'un, ni sur la résistance de l'autre. Toutefois, le poltron se bat bien lorsqu'il y est contraint, ou quand il est surexcité par la honte, l'orgueil ou la colère, tandis que dans les combats l'épée du lâche ne fit jamais grand mal. Il semble enfin que le caractère du poltron tienne plutôt à un excès de prudence, et celui du lâche à un manque de force ou d'énergie.

Gall fait dépendre la peur du défaut d'activité du courage, et Spurzheim, d'une affection particulière, de la circonspection. Cette divergence d'opi

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