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rir qu'avec un certain degré de forces physiques, qu'avec la santé, et mademoiselle votre fille est dans une condition qui laisse trop peu de ressort à l'âme pour espérer qu'elle puisse triompher de la cause de sa maladie. Il est du moins permis d'en essayer,» reprend M. de B***, que les paroles du docteur n'ont nullement satisfait; et, retournant auprès d'Eugénie, il se montre si heureux de sa résolution, il l'y encourage par des caresses, par des prévenances si empressées, que la généreuse fille, loin de chercher à détruire son illusion, feint devant lui un calme et un enjouement qui achèvent de la compléter.

Naturellement pieuse, Eugénie trouva dans ses sentiments religieux la force d'accomplir la promesse faite à son père : elle n'écrivit plus à Alfred; mais, peu de mois après, on vit ce dernier pleurant sur une tombe: c'était celle de son amie.

II. Amour jaloux terminé par la mélancolie et le suicide.

On n'observe que trop souvent cette jalousie tyrannique et forcenée qui éclate sans motif comme sans discernement, et qui, dans ses accès haineux, dirige ses fureurs contre l'objet qui lui est le plus cher. Mais il est une autre sorte de jalousie, non moins insensée et non moins funeste, que l'on rencontre plus rarement : c'est celle qui, a'osant se montrer, se concentre dans le cœur de celui qui en est atteint, et le dévore sourdement sans qu'on puisse tenter aucun moyen de guérison contre un mal dont on ignore la cause. Cette passion finit presque toujours par

quelque catastrophe terrible; j'en rapporterai ici un exemple bien déplorable.

Le jeune comte de S..., appartenant à une famille dont presque tous les membres ont acquis des titres réels à la célébrité, était lui même, par ses qualités personnelles, hors de la ligne ordinaire, et il s'était déjà signalé par divers succès, lorsqu'il devint l'époux d'une femme charmante dont le calme et la douceur égalaient l'esprit et l'amabilité.

Malheureusement le cœur du jeune de S... était le foyer des sentiments les plus exaltés: bientôt il ne sut plus se contenter du bonheur qui lui était échu en partage; en l'analysant, il le trouva incomplet; il crut que sa jeune épouse, qu'il aimait éperdument, n'éprouvait pour lui qu'une affection commandée par le devoir, et cette pensée, que rien ne justifiait, le livra aux plus affreux tourments: c'était un ver rongeur qu'il portait au fond de son âme, sans avoir la force de l'en arracher.

Après quelques années d'une existence ainsi empoisonnée, sa femme le rendit père de plusieurs enfants, et redoublait chaque jour envers lui de soins et de tendresse ; mais, à ses yeux, ce n'était pas de l'amour, de cet amour passionné dont il brûlait pour elle, et qu'elle pouvait peut-être ressentir pour un autre... Cette fatale idée le poursuivait comme un fantôme; il la retrouvait dans ses rêves, dans les joies de la paternité, et jusque dans les bras de celle qu'il adorait. Enfin, ne pouvant plus tenir à un pareil supplice, il prit le parti de fuir, sans calculer qu'il lui fallait en même temps abandonner

ses trois enfants et toute une famille dont il était

chéri.

S'étant engagé sous un faux nom, comme simple hussard, dans un régiment qui partait pour l'Allemagne, il chercha la mort en désespéré sur les champs de bataille, et n'y trouva que la gloire. Parvenu au grade d'officier, et décoré de la croix des braves, il se lassa de succès continuels qu'il n'ambitionnait pas, et sentit le besoin de revoir une famille désolée qui l'occupait sans cesse, et qu'il avait délaissée depuis quatorze ans. Il savait que sa femme était restée en proie au plus profond chagrin il lui écrivit donc pour lui témoigner ses regrets de l'avoir tant affligé. En lui avouant la cause de son abandon, il ajoutait que l'âge, la réflexion, les fatigues de la guerre, avaient rendu sa tête plus calme, et modéré la sensibilité de son cœur; qu'il saurait se contenter désormais d'un attachement raisonnable, et qu'enfin, dans peu de jours, il se réunirait à tous les objets de son affection pour ne plus les quitter.

Il revint en effet, et fut accueilli avec une joie égale à la douleur qu'avait causée son absence. Aucun soin ne fut épargné pour l'empêcher de retomber dans les accès de son humeur soupçonneuse; mais, loin d'en être guéri, ainsi que lui même semblait le croire, il avait à peine goûté le bonheur qui lui était rendu, qu'une sombre tristesse s'empara encore de lui, sans qu'il pût la surmonter : il disparut de nouveau, et cette fois ce fut pour toujours... L'infortuné s'était noyé !

III. Amour contrarié terminé chez une jeune fille par la folie et le parricide.

Pedro Dominguez, vieillard de soixante-cinq ans; avait une fille nommée Maria de Los Dolores, et habitait seul avec elle une des petites cabanes situées sur les montagnes de la Ségovie, où tous deux s'occupaient à garder les troupeaux confiés à leurs soins. Heureux de leur mutuelle affection, rien jusque-là n'avait troublé la paix de leur vie champêtre. Mais Dolores, qui venait d'atteindre dix-huit ans, fut remarquée par un berger du voisinage, nommé Juan Diaz; elle conçut pour lui un violent amour, que son père ne voulut point approuver, et dès cet instant le calme dont ils avaient joui disparut pour toujours.

Vainement plusieurs amis du vieux berger se joignirent à Juan et à Dolores pour obtenir son consentement à l'union désirée : soit qu'à raison de son âge avancé il ne voulût pas se séparer de sa fille, soit par tout autre motif que l'on ignore, il persista dans son refus, et y mit même une aigreur qui acheva de désespérer les deux amants. Leur passion s'en irrita; bientôt elle ne connut plus de borne. Juan alors se présenta à Dominguez, et lui déclara que le mariage auquel il se refusait était désormais le seul moyen de réparer l'honneur de sa fille; mais, ayant été repoussé par l'obstiné vieillard, et moins désireux peut-être d'obtenir un titre que la faiblesse de la jeune fille avait déprécié à ses yeux', il se lassa de prier, et vint déclarer à cette dernière que, puisque ses supplications auprès de son père avaient été

inutiles, il ne voulait plus s'allier à un homme dont la bassesse se manifestait aussi hautement, et qu'il renonçait à elle pour toujours. En vain elle invoqua et son amour et ses serments, en vain elle le supplia de prendre pitié de sa jeunesse, le bizarre jeune homme, dont une sotte fierté avait tout à coup endurci le cœur, fut sourd à ses prières, à ses larmes, et il la laissa livrée au plus sombre désespoir.

Depuis ce jour, Dolores ne laissa échapper aucune plainte. Morne et silencieuse, elle conduisait son troupeau dans les lieux les plus écartés, pour se dérober aux regards curieux de ses compagnes, et restait quelquefois assise des journées entières sur le penchant d'une colline, sans que rien pût la distraire de l'idée fixe qui semblait l'absorber. Bientôt, l'altération de ses traits, son œil farouche, sa voix sourde et saccadée, semblèrent annoncer chez elle le début d'une maladie mentale qui pouvait avoir les plus funestes effets; mais, comme la malheureuse fille ne troublait le repos de personne, personne aussi ne songea qu'elle eût besoin de secours; son père lui-même ne lui montra aucune pitié.

La maladie cependant fit des progrès rapides. Enfin, un soir que le vieux berger s'était endormi auprès du feu, où il faisait griller un morceau de viande qui devait servir à son souper, Dolores arrive de la montagne avec son troupeau, qu'elle renferme dans le bercail, et vient ensuite près du foyer, où son père se livrait aux douceurs du sommeil... Un moment ses sombres regards s'arrêtent sur lui, puis, tout à coup, une pensée horrible, inouïe, tra

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