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« Un sot, d'après La Bruyère, est celui qui n'a pas même ce qu'il faut d'esprit pour être un fat.

« Un fat est celui que les sots croient un homme de mérite.

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L'impertinent est un fat outré. Le fat lasse, ennuie, dégoûte, rebute; l'impertinent rebute, aigrit, irrite, offense; il commence où l'autre finit.

« Le fat est entre l'impertinent et le sot: il est composé de l'un et de l'autre. »

L'orgueil et la vanité, dont nous venons de signaler les principales formes, sont si profondément enracinés dans le cœur de l'homme, qu'on les voit apparaître dès son berceau, et lui sourire encore sur le bord de sa tombe. Tous les hommes ne sont pas gourmands, ivrognes, envieux, colères, tous sont orgueilleux, tous sont vaniteux: le sauvage, comme l'homme civilisé, le savant aussi bien que l'ignorant, le duc et pair, traîné dans un brillant équipage, comme le boueur, qui se complaît à lui barrer le chemin, ou comme le cocher de facre quand il pleut à verse et qu'il est chargé. Cette tache générale et héréditaire n'atteste-t-elle pas assez que l'orgueil est la racine de nos passions et la cause première de notre dégradation originelle?

« L'orgueil, dit Pascal, contre-pèse toutes nos misères; car, ou il les cache, ou, s'il les découvre, il se glorifie de les connaître. Il nous tient d'une possession si naturelle, au milieu de nos misères et de nos erreurs, que nous perdons même la vie avec joie, pourvu qu'on en parle. » Écoutons maintenant l'admirable développement de cette sentence du Psalmiste: Universa vanitas omnis homo vivens, et

de cette autre de l'Ecclésiaste: Vanitas vanitatum, et omnia vanitas. « La vanité, dit encore Pascal, est si ancrée dans le cœur de l'homme, qu'un goujat, un marmiton, un crocheteur, se vante, et veut avoir ses admirateurs; et les philosophes mêmes en veulent. Ceux qui écrivent contre la gloire veulent avoir la gloire d'avoir bien écrit, et ceux qui le lisent veulent avoir la gloire de l'avoir lu; et moi, qui écris ceci, j'ai peut-être cette envie, et peut-être que ceux qui le liront l'auront aussi. »- Que prétend donc ce sévère moraliste? «Que l'homme s'estime son prix; qu'il s'aime, car il a en lui une nature capable de bien, mais qu'il n'aime pas pour cela les bassesses qui y sont; qu'il se méprise, parce que cette capacité est vide; mais qu'il ne méprise pas pour cela cette capacité naturelle... La nature de l'homme se considère en deux manières, l'une, selon sa fin, et alors il est grand et incompréhensible; l'autre, selon l'habitude, et alors il est abject et vil... L'homme n'est qu'un roseau le plus faible de la nature, mais c'est un roseau pensant... C'est un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant, un milieu entre rien et tout. Il est infiniment éloigné des deux extrêmes, et son être n'est pas moins distant du néant, d'où il est tiré, que de l'infini où il est englouti. » (Pensées, 1re part., art. 5.)

Causes.

Une mauvaise éducation, les honneurs, les richesses, les grands talents, les demi-connaissances, l'adulation surtout: telles sont les causes qui déve

loppent plus particulièrement l'orgueil et la vanité. On a remarqué que les sujets sanguins, les sanguins-bilieux et les nerveux, sont plus enclins à ces vices que les autres individus.

Pour ce qui est de l'influence des sexes, il semble qu'en général les hommes sont plus portés à l'orgueil, les femmes, à la vanité. « C'est la vanité, dit madame de Souza, qui, chez les femmes, rend la jeunesse coupable et la vieillesse ridicule. »

S'il fallait croire La Rochefoucauld, l'orgueil serait égal chez tous les hommes, il n'y aurait de différence que dans les moyens et dans la manière de le mettre au jour. En observant l'influence des professions sur le caractère, j'avais pourtant cru remarquer que les acteurs, les poëtes, les artistes, les rois et les philosophes avaient une dose d'orgueil et de vanité beaucoup plus forte que le reste des mortels. Chez les anciens, les pharisiens, les stoïciens, et surtout les cyniques, m'avaient aussi paru plus entachés de ces deux passsions que les autres prétendus sages; témoin Diogène et son maître en mendicité, à qui Socrate disait : « Antisthène, j'aperçois ta vanité à travers les trous de ton manteau. »

L'influence de la nationalité fait aussi que chaque peuple a toujours eu des prétentions particulières, dont le ridicule n'a pas échappé au savant et satirique auteur de l'Eloge de la Folie. Ainsi, selon lui, les Anglais se vantent d'être beaux hommes, bons musiciens, et magnifiques dans leurs festins; les Écossais sont fiers de leur noblesse et de leur subtilité scolastique; les Français se piquent de politesse; les Espagnols prétendent passer pour les plus

grands guerriers du monde; et les habitants de Rome rêvent à la grandeur des anciens Romains, croyant naïvement en tenir quelque chose. Ces travers existent encore aujourd'hui, comme au temps d'Érasme, chez les Anglais; seulement ils sont de plus devenus très-fiers de leurs chevaux, qu'ils préfèrent souvent à leurs femmes. Quant aux Français, ils se sont dépouillés de cette fleur de politesse qui faisait leur parure, pour revêtir la rudesse des Anglais, leurs ennemis, dont ils font gloire de suivre la constitution, la politique et les modes.

S'occupant un jour de la différence caractéristique des Anglais et des Français, Napoléon se résumait ainsi : « La première classe, chez les Anglais, a de l'orgueil; chez nous, elle a le malheur de n'avoir que de la vanité. »

Caractères de l'orgueil et de la vanité.

Qui pourrait dépeindre comme l'évêque de Meaux le caractère de l'orgueil, ce besoin immodéré d'exceller au-dessus des autres, et de s'attribuer à soimême sa propre excellence, cette passion souverainement indépendante, qui s'élève sans cesse, qui attire tout à soi, qui veut tout pour soi, qui se glorifie de tout, même de la connaissance qu'elle peut avoir de sa misère et de son néant?

«Pauvre et indigent au dedans, l'homme, dit Bossuet, tàche de s'enrichir et de s'agrandir comme il peut; et, comme il ne lui est pas possible de rien ajouter à sa taille et à sa grandeur naturelle, il s'applique ce qu'il peut par les dehors; il pense

qu'il s'incorpore tout ce qu'il amasse, tout ce qu'il acquiert, tout ce qu'il gagne; il s'imagine croître lui-même avec son train qu'il augmente, avec ses appartements qu'il rehausse, avec son domaine qu'il étend. Aussi, à voir comme il marche, vous diriez que la terre ne le contient plus; et sa fortune renfermant en soi tant de fortunes particulières, il ne peut plus se compter pour un seul homme.

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L'orgueil monte toujours, dit le roi-prophète, et ne cesse jamais d'enchérir sur ce qu'il est. Nabuchodonosor ne se contente pas des honneurs de la royauté, il veut les honneurs divins (1). Mais comme sa personne ne peut soutenir un éclat si haut, qui est démenti trop visiblement par notre misérable mortalité, il érige sa magnifique statue, il éblouit les

yeux par sa richesse, il étonne l'imagination par sa hauteur, il étourdit tous les sens par le bruit de la symphonie et par celui des acclamations qu'on fait autour d'elle: ainsi l'idole de ce prince, plus privilégiée que lui-même, reçoit des adulations que

(1) C'est une chose remarquable, dans l'antiquité, que cette tendance de l'orgueil des rois à vouloir se déifier : Sapor se fait appeler Roi des rois, Frère du soleil et de la lune. Pour ne pas oublier qu'il n'est qu'un prince de la terre, Philippe de Macédoine est obligé de se faire répéter tous les jours: Souviens-toi qae tu es homme! A peine Alexandre a-t-il détruit l'empire des Perses, qu'il cemmence à rougir de sa royale naissance, et à vouloir qu'on l'adore comme fils de Jupiter. Domitien ne souffre pas qu'on lui élève au Capitole d'autres statues qu'en or et en argent; il ordonne même qu'on l'appelle désormais Seigneur et Dieu. Naguère, un roi de France, Louis XIV, se laissa complaisamment représenter sous l'image du soleil; faiblesse étrange, qui dut rendre encore plus éloquente la leçon donnée par Massillon devant le cercueil du grand roi: Dicu scul est grand, mes frères !

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