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prédisposantes, il faut mettre en première ligne les constitutions bilieuse, lymphatique, nerveuse, et surtout le tempérament mélancolique des anciens (1). L'enfance et la vieillesse sont, en général, plus portées à ces passions que l'âge adulte; on les observe aussi plus fréquemment chez la femme que chez l'homme; enfin, les individus idiots, cacochymes, difformes, y sont beaucoup plus enclins que ceux qui sont robustes et doués d'une bonne complexion.

Des soins, des caresses, des louanges, inégalement partagés, une préférence sensible donnée à un enfant par des parents ou par des maîtres inexpérimentés, sont les causes qui déterminent ordinairement la jalousie chez les jeunes sujets (2). Chez les adultes, l'égoïsme, l'orgueil, l'ambition, le séjour de la cour, la pauvreté, l'oisiveté, et toutes les professions ou positions rivales, n'engendrent que trop

(1) Les anciens, ainsi que nous l'avons vu précédemment, ne reconnaissaient que quatre humeurs, et, par suite, quatre tempéraments: 1o le flegmatique ou pituiteux, 2o le sanguin, 3o le bilieux, 4o le mélancolique ou atrabilaire. Ce dernier, qui n'est qu'une exagération du précédent, doit être regardé comme une véritable maladie des organes digestifs; il peut être à la fois cause et effet des deux passions qui nous occupent.

(2) La jalousie, dit Fénelon, est plus violente dans les enfants qu'on ne saurait se l'imaginer; on en voit quelquefois qui sèchent et qui dépérissent d'une langueur secrète, parce que d'autres sont plus aimés et plus caressés qu'eux. C'est une cruauté trop ordinaire aux mères, que de leur faire souffrir ce tourment. » (Éducation des filles, c. 5.) Fénelon signale avec raison aux mères de famille une passion dont les ravages sont si communs et si terribles; mais l'expression de cruauté me paraît beaucoup trop dure envers la plupart des mères, qui certes ne font pas sciemment souffrir à leurs enfants les tourments de la jalousie.

souvent l'envie. Cette remarque n'a pas échappé à Fléchier, dans ses Réflexions sur les caractères des hommes : « Il en est, dit-il, des grands capitaines à l'égard de la gloire, comme il en est des femmes bien faites à l'égard de la beauté. Deux belles femmes sont peu amies, et s'accordent peu sur leurs prétentions: ainsi deux capitaines ne sont jamais parfaitement contents l'un de l'autre ; et la raison, c'est qu'ils sont tous deux grands capitaines. On connait cet ancien adage, le potier est envieux du potier; mais c'est surtout parmi les professions qui dépendent le plus de la considération publique que l'on rencontre l'envie, par exemple, chez les littérateurs, les artistes (1), les avocats et les médecins : Invidia medicorum pessima, est un vieil adage que les hommes de l'art ne s'attachent guère à démentir.

Née de l'instinct de conservation, la jalousie exerce ses ravages sur des animaux comme sur des

(1) Parmi les gens remarquables qui étaient reçus chez mes parents, dit madame Ducrest dans ses Mémoires sur l'impératrice Joséphine, je vis souvent Dusseck et Cramer, fort liés, quoique rivaux; ils s'écoutaient mutuellement avec plaisir, et se rendaient une justice dont voici une preuve. Dusseck arriva plus tard que de coutume; Cramer lui en demanda la raison. «C'est que je viens de composer un nouveau rondeau : j'en étais assez content, et cependant, après un travail dont le résultat était satisfaisant, j'ai tout • brûlé. — Eh! pourquoi? Ah! pourquoi... pourquoi? il y avait • un passage diabolique, que j'ai étudié plusieurs heures sans pou« voir le faire; j'ai pensé que tu le jouerais tout de suite, et j'ai youlu éviter ce petit déboire à mon amour propre. » Ceci fut dit devant plus de trente personnes. Je ne sais trop si l'on peut citer souvent une telle impartialité chez des personnes suivant la même carrière. C'est pour la singularité de ce fait, concernant deux admirables talents, que j'ai voulu le consigner. »

enfants encore à la mamelle. On conçoit, en effet, qu'un enfant de quelques mois puisse déjà se montrer jaloux d'un frère de lait qui vient lui disputer le premier bien de l'existence; et, d'un autre côté, combien de malheureux nourrissons ne voit-on pas dépérir entre les mains des meilleures nourrices, qui, tout naturellement, préfèrent l'enfant auquel elles ont donné le jour, à l'enfant de l'étrangère qui achète leur lait!

Plus tard, la jalousie, et surtout l'envie, n'ont plus pour cause principale l'instinct de conservation souvent alors l'orgueil et l'ambition viennent leur donner naissance. Examinons avec soin l'envieux, et nous verrons que sa passion n'est qu'une réaction tacite de son orgueil contre tout ce qui lui est supérieur, qu'un désir désordonné des avantages d'autrui, qu'une émulation dépravée, qu'une ambition impuissante.

Quant à la jalousie, je trouve, avec La Rochefoucauld, qu'elle décèle pour l'ordinaire plus d'a

mour-propre que

d'amour.

Symptômes, marche, complication et terminaison.

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« L'envie, dit Vauvenargues, ne saurait se cacher: elle accuse et juge sans preuves, elle grossit les défauts, elle a des qualifications énormes pour les moindres fautes; son langage est rempli de fiel, d'exagérations et d'injures; elle s'acharne avec opiniâtreté et avec fureur contre le mérite éclatant; elle est aveugle, emportée, insensée, brutale. »

Ajoutons quelques traits à ce caractère, dont

Vauvenargues ne donne qu'une esquisse imparfaite, et qui n'a guère de rapport qu'avec l'envie franche et brutale de l'homme du peuple. Dans la bonne compagnie, l'envieux joint presque toujours la pusillanimité à la bassesse; son arme favorite est la calomnie, qui ne frappe que par derrière et dans l'obscurité. Au récit d'un événement malheureux arrivé à son rival, vous voyez un sourire infernal se promener sur ses lèvres amincies. Apprend-il, au contraire, la nouvelle d'un succès obtenu par ce rival, ou même par une personne qui lui est étrangère, à l'instant ses traits se contractent, ses sourcils se rapprochent, ses yeux s'enfoncent dans leurs orbites, sa figure, déjà tirée, semble se rabougrir c'est qu'en effet, l'envieux maigrit du bonheur d'autrui. Enfin, entend-il lire quelque production d'un mérite remarquable, il se tait ; mais son silence vaut un éloge : l'envieux n'aime et ne loue guère que les morts (1). L'indifférent et l'ignorant peuvent aussi, en pareil cas, garder le silence; mais leur attitude est calme, tous leurs muscles sont dans le relâchement; tandis que l'envieux, en le supposant même très-habile à se contrefaire, se décèle presque toujours, à un observateur exercé, par un léger trépignement du pied, comme s'il voulait en quelque sorte se venger de son dépit sur le sol.

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La jalousie et l'envie, passions composées, marchent habituellement avec l'intérêt, l'orgueil

(1) On se rappelle que le parcimonieux Eumène, à la fois envieux et jaloux d'Éphestion, contribua, avec autant d'empressement que de profusion, à ériger le tombeau du favori d'Alexandre.

et l'ambition, que nous avons vu leur donner naissance, et avec la haine, qu'elles déterminent, quand on ne les arrête pas dans leur première période.

La tristesse, la taciturnité, la mobilité et le froncement habituel des sourcils, coïncidant avec une pâleur plombée, sont les premiers symptômes de ces deux passions éminemment concentriques, c'est-à-dire qui refoulent le sang de la périphérie du corps vers les organes intérieurs, et qui rapprochent les muscles de la ligne moyenne. Si cette concentration devient habituelle, en d'autres termes, si ces affections passent de l'état aigu à l'état chronique, le sang, continuellement refoulé vers le cœur et les gros vaisseaux, tend d'abord à dilater leurs canaux : de la naissent cette oppression pénible, ces soupirs entrecoupés, ces palpitations violentes, et souvent des anévrysmes mortels. D'un autre côté, le foie, regorgeant d'un sang noir, sécrète la bile en plus grande quantité que dans l'état normal, et finit même par s'hypertrophier. En même temps, les digestions s'altèrent, les forces diminuent, la peau prend une teinte livide ou ictérique, la maigreur augmente de jour en jour (1), sous l'influence d'une fièvre lente,

(1) Ovide, en personnifiant l'envie, signale, avec précision et vérité, les principaux ravages exercés sur l'homme par cette misérable passion:

Pallor in ore sedet, macies in corpore toto;
Nusquam recta acies; livent rubigine dentes;
Pectora felle virent; lingua est suffusa veneno;
Risus abest, nisi quem visi movere dolores;
Nec fruitur somno, vigilantibus excita curts.
Sed videt ingratos, intabescitque videndo,

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