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l'hôpital en horreur, et voulut être ramenée dans sa famille, où peu de temps après, sentant sa fin approcher, elle exigea de sa mère la promesse solennelle de ne jamais aller demeurer avec Élise.

Malgré toute l'habileté et toute la patience de M. Robert pendant l'ablation de la tumeur cancéreuse dont la malade était affectée, des ganglions qu'il avait été impossible d'enlever prirent bientôt, dans le creux de l'aisselle, un développement considérable, engorgèrent le bras, et entraînèrent la mort de cette fille, qui succomba à l'âge de quarante et un ans, le 28 mars 1838.

Si j'eusse connu davantage cette infortunée, et que je me fusse aperçu du mal moral dont elle était minée, je lui aurais conseillé de ne pas courir les chances d'une opération presque toujours suivie d'une récidive funeste, quand les humeurs sont depuis longtemps viciées par des affections tristes, notamment par la haine, le chagrin, la jalousie et l'envie.

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CHAPITRE XI.

DE L'AVARICE.

Le plus riche des hommes, c'est l'économe; le plus pauvre, c'est l'avare.

CHAMFORT, Maximes et Pensées.

Définition et synonymie.

L'avarice est un désir immodéré d'accumuler des richesses, même aux dépens de ses premiers besoins, désir accompagné d'une crainte vive et continuelle de se les voir enlever; c'est une soif insatiable de l'or, pour l'or lui-même, dans lequel l'avare met tout son bonheur.

Avarice, en latin avaritia, avarities, dérive, suivant quelques étymologistes, du verbe avere, qui signifie désirer ardemment; selon d'autres, c'est une contraction des deux mots aviditas æris (aværis), avidité, convoitise de l'argent.

« A proprement parler, dit Voltaire, l'avarice est le désir d'accumuler, soit en grains, soit en meubles, ou en fonds, ou en curiosités. Il y avait des avares avant qu'on eût inventé la monnaie. » On peut objecter à l'auteur du Dictionnaire philosophique, d'abord que les vrais avares se soucient fort peu de meubles et de curiosités; ensuite, que longtemps avant l'invention de la monnaie, qui est déjà très-ancienne, il y avait des valeurs représen

tatives, que les avares devaient convoiter. Pour nous, qui vivons à une époque où l'on ne connaît que trop l'argent monnayé, nous ferons consister l'avarice dans la manie de thésauriser l'argent, et surtout l'or. Montesquieu nous donne la raison de cette préférence: «L'avarice, selon lui, garde l'or et l'argent, parce que, comme elle ne veut point consommer, elle aime des signes qui ne se détruisent point; elle aime mieux garder l'or que l'argent, parce qu'elle craint toujours de perdre, et qu'elle peut mieux cacher ce qui est en plus petit volume. » (Esprit des Lois, liv. XXII, chap. 9.)

Saint Paul appelle l'avarice une idolatrie, parce que, en effet, l'avare se fait un dieu de son or et de son argent. Le satirique français ne traite pas cette passion avec moins de sévérité:

Un avare, idolâtre et fou de son argent,

Rencontrant la disette au sein de l'abondance,
Appelle sa folie une rare prudence,

Et met toute sa gloire et son souverain bien
A grossir un trésor qui ne lui sert de rien :
Plus il le voit accru, moins il en sait l'usage.
Sans mentir, l'avarice est une étrange rage!
(BOILEAU, satire 4.)

Ne confondons pas l'intéressé, le parcimonieux, et l'avare. L'intéressé aime le gain, et ne fait rien gratuitement; le parcimonieux aime l'épargne, et s'abstient de ce qui est cher; l'avare aime la possession, ne fait guère usage de ce qu'il a, et voudrait pouvoir se priver de tout ce qui coûte (1).

(1) Celui qui aime les richesses pour les dépenser n'est pas, à

L'intéressé et le parcimonieux ne sont pas encore avares; l'avare est nécessairement parcimonieux, et presque toujours intéressé.

Causes.

Les individus lymphatiques, mélancoliques et cacochymes, sont, en général, plus prédisposés à cette passion que ceux qui vivent sous la prédominance sanguine ou bilieuse. L'avarice s'observe rarement dans la jeunesse, assez souvent dans la maturité de l'âge, très-fréquemment, et d'une manière presque épidémique, dans la vieillesse : c'est la passion dominante des vieillards, comme l'amour est celle des jeunes gens, et l'ambition celle de l'âge mûr.

L'avarice est aussi quelquefois un vice de famille, transmis sinon avec le sang, du moins par l'exemple ou par une mauvaise éducation.

Nous rencontrons cette passion dans tous les rangs, dans toutes les conditions: les princes et les sujets, l'ignorant et le savant, le pauvre et le riche, en sont également atteints; mais plus souvent le riche que le pauvre.

Enfin, il n'est pas rare de la voir se développer sous l'influence d'une infirmité et même d'une maladie aiguë. Le professeur Alibert a connu une dame, de haute condition, qui offrait un exemple curieux

proprement parler, avare. Voyez la distinction établie à l'article AMBITION. Voyez aussi, dans les Caractères de Théophraste, le chapitre 10, de l'Epargne sordide, et le chapitre 30, du Gain sordide, quant au chapitre 22, de l'Avarice, il mérite à peine d'être lu.

d'avarice périodique. Cette dame, vaporeuse et mélancolique pendant six mois de l'année, n'usait alors de ses revenus, qui étaient considérables, qu'avec une parcimonie sordide; mais elle se faisait admirer par une générosité sans borne aussitôt qu'elle était revenue à son état normal de santé.

Cherchons maintenant la source morale de l'avarice. « Ce n'est pas, dit La Bruyère, le besoin d'argent où les vieillards peuvent appréhender de tomber un jour qui les rend avares, car il y en a de tels qui ont de si grands fonds qu'ils ne peuvent guère avoir cette inquiétude; et d'ailleurs comment pourraient-ils craindre de manquer dans leur caducité des commodités de la vie, puisqu'ils s'en privent eux-mêmes volontairement pour satisfaire à leur avarice(1)? Ce n'est point aussi l'envie de laisser de plus grandes richesses à leurs enfants, car il n'est pas naturel d'aimer quelque chose plus que soimême, outre qu'il se trouve des avares qui n'ont point d'héritiers. Ce vice est plutôt l'effet de l'âge et de la complexion des vieillards, qui s'y abandonnent aussi naturellement qu'ils suivaient leurs plaisirs dans leur jeunesse, ou leur ambition dans l'âge viril. Il ne faut ni vigueur, ni jeunesse, ni santé, pour être avare; l'on n'a aussi nul besoin de s'empresser

(1) Si les avares se privent des commodités de la vie, ce n'est précisément que dans l'espérance d'en jouir plus tard. Leur folie consiste done à sacrifier le présent à un avenir souvent chimérique. Aussi La Rochefoucauld avait-il dit judicieusement de l'avarice: «Il n'y a point de passion qui s'éloigne plus souvent de son but, ni sur qui le présent ait tant de pouvoir au préjudice de l'avenir.»

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