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CHAPITRE XIV.

DU DUEL.

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Si le duel n'est le plus ordinairement que le résultat de la colère, de la vengeance, ou d'un funeste préjugé, souvent aussi il est l'effet d'une passion sanguinaire, qui montre à quel degré de férocité l'homme peut être conduit quand il ne met aucun frein à ses penchants.

A beaucoup d'égards, le duel peut être rapproché du suicide, surtout sous ce rapport, que tous deux semblent se jouer des lois divines et humaines. Mais l'homme résolu à s'ôter la vie ne saurait, si coupable qu'il soit, l'être autant que le duelliste, qui, se sentant le plus fort ou le plus adroit, provoque sa victime, et l'égorge sans pitié, en se glorifiant de son crime.

Tuer est, pour cette espèce d'hommes, un besoin, une habitude; on en a vu se désespérer quand ils avaient passé une semaine sans aller sur le terrain. J'en ai connu un qui se battait souvent trois fois dans la même journée lorsqu'il n'avait pas d'injure à venger pour son propre compte, il se faisait le champion de ses amis, souvent même de personnes avec lesquelles il n'avait jamais eu aucune liaison. Blessé plusieurs fois, il s'affligeait de ses souffrances uniquement parce qu'elles l'empêchaient d'assouvir sa rage; mais, à peine guéri, il parcourait les lieux publics, la tête haute, la me

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nace sur les lèvres, et le regard étincelant comme celui d'un animal féroce qui cherche sa proie. Avait-il trouvé la sienne, il ne la quittait plus, entrait en fureur quand on voulait la lui arracher; et souvent, au lieu d'une affaire, il s'en faisait trois ou quatre. Du reste, il regardait ces jours-là comme les plus beaux de sa vie. Ce spadassin, cité longtemps comme l'une des meilleures pointes, eut le sort réservé à la plupart de ses pareils : il fut tué à Dieppe par un jeune marin qui, de sa vie, n'avait

manié un fleuret.

Cette espèce d'hommes, fort commune autrefois, l'est beaucoup moins de nos jours; l'opinion en a fait justice. Moins éclairée anciennement, cette reine capricieuse du monde commandait le duel au nom de l'honneur, elle le condamne aujourd'hui au nom de l'humanité; et nos lois, d'accord avec elle, le poursuivent avec rigueur, en l'assimilant à l'homicide volontaire. Espérons que leur double influence achèvera de triompher d'une féroce coutume que nous ont léguée les siècles d'ignorance et de barbarie, et qui blesse à la fois la nature, l'ordre public, la morale et la religion.

« Le duel, dit un savant jurisconsulte, est contraire au droit naturel, puisque tous les animaux sont organisés de manière à conserver leur vie, et que l'instinct les porte tous à veiller à leur sûreté individuelle.

« Il est contraire à l'ordre social, puisque, dans tout État civilisé, chacun se doit à la défense commune, que la vie de chacun appartient au prince et à la patrie, que nul ne peut disposer de sa per

sonne, ni même s'exposer aux dangers d'un combat à mort, sans nécessité et sans avantage pour son pays.

« Il est contraire à la religion, puisqu'elle défend à l'homme d'offenser, de blesser, de tuer son semblable; qu'elle lui ordonne même de pardonner les injures.

« Il est contraire à la raison, puisque l'offensé, sous le prétexte d'obtenir une juste réparation d'une injure, est souvent blessé ou tué, et que son adversaire victorieux ajoute, pour toute satisfaction, un meurtre à un outrage et un crime à un délit.

« Il est même contraire aux lois de l'honneur; car si l'honneur prescrit à celui qui est outragé de demander à l'auteur de cet outrage une juste satisfaction, il lui défend aussi, pour atteindre ce but, d'employer une voie que condamnent tout à la fois le droit naturel, la loi civile, la morale et la religion.» (Loyseau, Mémoire sur le Duel.)

Dans un discours sur les moyens les plus efficaces d'extirper le duel en France, M. le baron de Saint-Victor avait proposé, en 1820: 1° d'interdire la profession de l'escrime quant à l'éducation civile; de la modifier quant à l'éducation militaire, et d'empêcher, par une discipline sévère, que cet art ne fût dirigé contre des Français; 2o de changer la dénomination de point d'honneur en celle de point d'insulte; 3° d'amener tous les militaires et fonctionnaires de l'État à prêter serment d'honneur qu'ils n'y auront jamais recours; 4° d'attacher du déshonneur à se battre; 5° d'exclure des emplois et des réunions particulières ceux qui se parjureront;

6° d'assimiler les délits qu'ils commettraient en duel à ceux que punissent les lois civiles criminelles ; 7° enfin d'infliger irrévocablement la peine de mort à ceux qui l'auraient donnée, au mépris des lois, de leur serment et de l'honnenr.

Tableau statistique des Duels portés à la connaissance du ministère public en France, pendant l'espace de & années (1827-1834).

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A partir de 1835, les Comptes généraux de la justice criminelle n'ont plus donné le chiffre exact des duels, qui, du reste, sont maintenant classés parmi les assassinats (1).

(1) Le Compte général de 1841 ne signale que 6 affaires de duels, comprenant 20 accusés.

CHAPITRE XV.

DE LA NOSTALGIE.

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C'est ce désespoir

Que n'ont pu dans l'exil sentir ni concevoir
Tous ces heureux bannis, de qui l'humeur légère
A fait des étrangers sur la terre étrangère;
C'est ce dégoût d'un sol que voudraient fuir nos pas,
C'est ce vague besoin des lieux où l'on n'est pas,

Ce souvenir qui tue; oui, cette fièvre lente

Qui fait rêver le ciel de la patrie absente;
C'est ce mal du pays dont on ne peut guérir,

Dont tous les jours on meurt sans jamais en mourir.
C. DELAVIGNE, Marino Faliero.

Définition et synonymie.

Je ne terminerai pas l'étude des passions sociales sans dire quelques mots d'une affection morale vulgairement connue sous le nom de maladie du pays, et que les médecins ont appelé nostalgie (1), à cause de la tristesse profonde qui en constitue le principal caractère.

La nostalgie, en effet, est un désir mélancolique et impérieux de revoir les lieux où s'est passée notre enfance, et où habitent les objets de notre tendresse. Certains auteurs ont avancé à tort qu'elle était uniquement produite par la différence de l'air atmosphérique et du climat, car elle disparaît quelquefois, chez les militaires qui en sont atteints, par le seul espoir d'un congé.

(1) De vistos, retour, et de äλyos, cnnui, tristesse,

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