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Quoique cette passion s'observe plus particulièrement dans la jeunesse, elle est assez commune chez les enfants que les nourrices ramènent à la maison paternelle, ainsi que chez le vieillard dont un brusque changement de pays vient rompre les longues et douces habitudes.

On la rencontre beaucoup plus souvent chez les bilieux que chez les sanguins, et parmi les hommes que parmi les femmes; ce qui tient à la position sociale de ces dernières, et peut-être aussi à la plus grande mobilité de leur caractère.

Les soldats (les fantassins surtout et les marins), les domestiques et les esclaves, en sont atteints bien plus fréquemment que les individus exerçant quelque autre profession que ce soit.

Enfin, on a remarqué que plus les pays sont âpres et sauvages, plus leur image obsède la pensée de celui qui s'en trouve éloigné, et s'y retrace sans cesse sous l'aspect le plus enchanteur. Toutefois, de nombreuses observations attestent que les BasBretons et les Normands qui viennent à Paris pour la première fois sont très-sujets à la nostalgie, tandis qu'elle semble épargner les habitants de la Savoie et de l'Auvergne.

Ce n'est cependant pas toujours l'éloignement du sol natal qui cause cette affection des adolescents et des jeunes gens sont devenus nostalgiques sans quitter leur pays, mais seulement pour avoir quitté la maison paternelle, où des soins affectueux leur étaient par trop prodigués.

D'après ces considérations, ne devrait-on pas admettre trois espèces de nostalgie, qui, la plupart

du temps, se confondent, il est vrai, mais qui peuvent aussi se développer isolément? Pour parler le langage des phrénologistes, la première dépendrait de l'habitativité; la seconde, de l'affectionivité; et la dernière, de l'empire de l'habitude: ce serait la nostalgie par habitudivité.

Symptômes, marche et terminaison.

L'individu qui devient nostalgique commence par prendre en aversion sa position présente ainsi que les usages des lieux où il se trouve. Incapable de supporter la moindre contrariété, il fuit toute espèce de réunion, et recherche la solitude, où il peut donner un libre cours à ses pensées rêveuses, d'abord remplies d'une douce mélancolie. Peu à peu la nature habituelle de ses idées s'assombrit : il devient inquiet, insouciant, taciturne; il ne sort guère de l'apathie dans laquelle il est plongé que lorsqu'il croit trouver quelque rapport avec les lieux ou les êtres chéris, uniques objets de ses regrets et de ses vœux. A-t-il perdu l'espérance de les revoir, on aperçoit bientôt en lui tous les ravages de la souffrance morale: son regard est sombre, égaré; ses paupières, rouges et tuméfiées, laissent parfois échapper des larmes involontaires; son teint s'étiole, son appétit se perd; sa respiration est courte, fréquente, entrecoupée de profonds soupirs; il éprouve des lassitudes, des faiblesses spontanées, des douleurs de tête, des palpitations, puis une maigreur générale, accompagnée d'un affaiblissement notable des sens et des facultés intellectuelles.

Enfin les symptômes s'aggravent: la fièvre, qui

n'était d'abord que fugace et irrégulière, devient continue, avec redoublement vers le soir; il y a délire et insomnie; la peau reste constamment sèche et brûlante; les tempes et les orbites se creusent; un marasme effrayant arrive à la suite de la diarrhée colliquative, et ce n'est souvent qu'au moment de rendre le dernier soupir que l'infortuné, retenu jusqu'alors par une fausse honte, dévoile la cause secrète du mal qui le dévorait.

Dans le plus grand nombre des cas, la nostalgie a une marche lente et insensible; d'autres fois elle se développe tout à coup, au son d'un air national, à la vue d'un compatriote, au reçu d'une lettre de famille, ou bien par l'effet de la tristesse, compagne inséparable de toute maladie grave.

On a vu cette affection régner épidémiquement dans les armées (1), et compliquer le scorbut, la dysenterie, la peste, le typhus, dont elle rendait la terminaison encore plus meurtrière; très-rarement elle porte au suicide les infortunés dont elle empoisonne l'existence. On compte toutefois en France, pendant la seule année 1840, vingt-quatre suicides qui peuvent avoir été déterminés par la nostalgie;

savoir:

Désir de se soustraire à la loi du recrutement,
Dégoût du service militaire...

Chagrin de quitter la France...

de quitter un maître, une maison...

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(1) La nostalgie a surtout sévi d'une manière épidémique sur l'armée du Rhin, au commencement de l'an II; sur celle des Alpes, pendant les premiers mois de l'an VIII; et sur la grande armée

A l'ouverture des individus morts de nostalgie, Broussais a presque toujours remarqué diverses lésions du canal digestif, ou des épanchements séreux dans les ventricules du cerveau. Souvent aussi les méninges sont opaques, rouges et épaissies, surtout vers la partie antérieure des hémisphères cérébraux.

Traitement.

La nostalgie simple réclame plutôt un traitement moral que pharmaceutique; aussi, la première chose à faire dans cette affection est de rendre à ses foyers le malheureux tourmenté par le besoin de les revoir. Combien de nostalgiques, réduits au dernier degré de marasme, n'ont-ils pas recouvré leurs forces aux portes de l'hôpital ou de la ville qu'ils quittaient! Un éloignement trop considérable ou la rigueur de la saison sont-ils un obstacle à leur départ immédiat on dissipera leur abattement en nourrissant en eux l'espérance d'un prochain départ; on soutiendra en même temps leurs forces par un régime approprié, auquel on pourra joindre d'agréables distractions, Du reste, comme je l'ai dit plus haut, on a vu souvent, dans les hôpitaux, la seule promesse d'un congé amener la convalescence chez des soldats qui, rentrés au régiment, ne songeaient plus qu'à la gloire, et ne voulaient pas profiter de la faveur qu'on leur avait accordée.

réunie à Mayence en 1813. En 1841, on a aussi observé, au camp de Lunéville, plusieurs cas de cette terrible affection, dont les revers, le froid extrême, les grandes fatigues et la misère, favorisent la transmission contagieuse. Voir le mémoire de notre savant confrère le docteur Guerbois sur la Nostalgie.

Quant à la nostalgie des enfants séparés de leur nourrice, elle n'est pas ordinairement de longue durée. Des distractions multipliées, et des caresses accompagnées de quelques friandises, suffisent, chez le plus grand nombre, pour leur faire oublier celle qui, depuis leur naissance, leur a prodigué les plus tendres soins; il est toutefois des enfants chez qui la mémoire du cœur n'est pas aussi fugace; il faut les réunir à l'objet de leur affection, si l'on veut prévenir ou arrêter leur rapide dépérissement.

Une passion diametralement opposée à la nostalgie, passion qui produit cependant les mêmes effets et trouve aussi sa guérison dans l'accomplissement de ses désirs, c'est l'amour des voyages, le besoin de changer de lieu. Cette passion, que déterminent souvent une ardente curiosité, la soif de l'indépendance ou l'espoir d'une félicité imaginaire, s'observe chez les jeunes garçons à peine sortis de la puberté. On en a vu tellement dominés par le désir de voyager, que, s'ils n'obtenaient la permission de partir, ils tombaient dans une profonde tristesse, perdaient tout à fait l'appétit, et ne tardaient pas à être minés par la fièvre hectique. Leurs vœux, au contraire, étaient-ils exaucés, ils revenaient comme par enchantement des portes du tombeau. Je connais trois exemples de cette manie des voyages, survenue immédiatement après la lecture du Robinson Crusoe. On a aussi observé de vieux marins qui, pendant un séjour prolongé à terre, étaient plongés dans une mélancolie dont ils ne sortaient que lorsque leur vaisseau avait quitté le port.

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