Page images
PDF
EPUB

Exemples et observations.

I. Nostalgie par affection, observée chez un enfant de deux ans.

Eugène L***, natif de Paris, fut envoyé en nourrice dans les environs d'Amiens, et ramené dans sa famille vers l'âge de deux ans. La force de ses membres, la fermeté de ses chairs, la coloration de son teint, la vivacité et la gaieté de son caractère, tout en lui annonçait un enfant d'une vigoureuse complexion, ainsi que les bons soins dont il avait été l'objet. Pendant les quinze jours que sa nourrice resta auprès de lui, Eugène continua à jouir de la santé la plus florissante; mais à peine cette femme fut-elle partie, qu'il devint pâle, triste, morose; il se montrait insensible aux caresses de ses parents, et refusait tous les mets qui le flattaient le plus quelques jours auparavant.

Frappés de ce brusque changement, le père et la mère d'Eugène firent appeler le docteur Hippolyte Petit, qui, reconnaissant aussitôt les premiers symptômes de la nostalgie, recommanda de fréquentes promenades et toutes les distractions enfantines dont abonde la capitale. Ces moyens, pour l'ordinaire efficaces en pareil cas, échouèrent complétement ici; et le petit malheureux, dont le dépérissement allait toujours croissant, restait des heures entières tristement immobile, les yeux tournés vers la porte par laquelle était partie celle qui lui avait servi de mère. Appelé de nouveau par la famille, l'habile praticien déclara que l'unique moyen de sauver les jours de cet enfant était de faire re

venir immédiatement la nourrice, qui le remmènerait ensuite avec elle. A son arrivée, Eugène poussa des cris de joie; la mélancolie empreinte sur son visage fit place aussitôt à l'irradiation de l'extase, et, pour me servir des expressions de son père, dès ce moment il commença à revivre. Remmené la semaine suivante en Picardie, il y resta environ un an, jouissant de la meilleure santé. Lors de son second retour à Paris, le docteur Petit fit éloigner la nourrice, d'abord quelques heures, puis une journée entière, puis une semaine, jusqu'à ce que l'enfant fût habitué à se passer d'elle. Cette tactique fut couronnée d'un plein succès.

II. Nostalgie produite par le regret de quitter une habitation.

Depuis un grand nombre d'années vivait, dans la rue de la Harpe, un de ces hommes aux habitudes casanières, dont l'unique délassement consistait à aller quelquefois visiter le marché aux Fleurs, et qui revoyait avec un plaisir toujours nouveau son petit logis, où régnaient partout l'ordre et la propreté. Un jour qu'il se hâtait de rentrer chez lui, son propriétaire l'accosta dans l'escalier, et lui annonça que, la maison devant être démolie pour cause d'alignement, il eût à se pourvoir ailleurs d'un logement pour le prochain trimestre. A cette nouvelle, le pauvre locataire resta pétrifié de surprise et de chagrin. Rentré dans son appartement, il prit aussitôt le lit, qu'il garda plusieurs mois, en proie à une profonde tristesse, accompagnée de fièvre hectique. En vain son propriétaire cherchait

le consoler, en lui promettant un logement plus commode dans la nouvelle maison qui allait être élevée sur l'emplacement de l'ancienne : « Ce ne sera plus mon logement, répondait-il avec amertume, lui que j'aimais tant, que javais embelli de mes mains, où, depuis trente ans, j'avais toutes mes habitudes, et où je m'étais bercé de l'espoir de finir ma vie ! »

La veille du jour fixé pour la démolition, on vint l'avertir qu'il fallait, de toute nécessité, rendre les clefs le lendemain à midi, au plus tard : « Je ne les rendrai pas, répondit-il froidement; si je sors d'ici, ce ne sera que les pieds devant. » Deux jours après, le commissaire est requis pour faire ouvrir la porte de l'obstiné locataire, et il ne trouva plus que le cadavre du malheureux, qui s'était asphyxié par désespoir de quitter sa trop chère habitation.

PASSIONS INTELLECTUELLES.

CHAPITRE XVI.

MANIE DE L'ÉTUDE.

L'étude, cet aliment de l'esprit, exige de notre part une grande sobriété, si nous ne voulons pas qu'elle se transforme en un véritable poison, dont l'action délétère n'est pas moins funeste pour le moral que pour le physique.

C'est sans doute après avoir observé les ravages produits par l'abus de l'étude, que le philosophe de Genève a laissé échapper de sa plume cette bizarre et fausse assertion: «L'homme qui pense est un animal dépravé. » Il eût été dans le vrai, s'il se fût borné à dire : L'homme qui pense trop déprave ou plutôt altère sa constitution. Et, en effet, les personnes dont le cerveau est sans cesse surexcité par les travaux intellectuels ne tardent pas à avoir l'air rêveur, hébété, stupide même. Uniquement occupées de l'objet de leurs recherches, elles semblent avoir perdu l'usage de leurs sens; elles sont distraites, irritables, fantasques; et, dans le commerce habituel de la vie, elles se montrent aussi ennuyées qu'ennuyeuses.

Mais l'abus de l'étude ne gâte pas seulement le caractère, il jette aussi le trouble dans tout l'orga

nisme. Les philosophes, les savants, les gens de lettres, qui ne quittent pas leurs livres, ne sont-ils pas particulièrement exposés aux gastrites, aux entérites, aux hémorrhoïdes, aux tumeurs cancéreuses du tube intestinal, ainsi qu'aux maladies chroniques des voies urinaires? Ne voit-on pas aussi leur teint s'étioler, leurs cheveux blanchir avant l'âge, et leurs articulations devenir le siége de fluxions rhumatismales ou goutteuses, produites par le manque d'exercice musculaire? Enfin, l'ébranlement communiqué à tout le système nerveux par les veilles prolongées n'a-t-il pas maintes fois produit la cécité, la perte de la mémoire, l'épilepsie, la catalepsie, la folie, ou une mort subite et prématurée (1)? Parmi les nombreux exemples de ce besoin intellectuel satisfait outre mesure, je citerai de préférence celui de Mentelli, homme trop peu

(1) Sans doute l'excès dans les travaux intellectuels n'amène pas toujours d'aussi funestes terminaisons; mais alors il a lieu le plus souvent chez des individus dont la profession, exerçant à la fois le corps et le l'esprit, rétablit l'équilibre que la passion de l'étude tend continuellement à détruire. C'est ainsi qu'Hippocrate et Galien vécurent, dit-on, au delà d'un siècle; c'est ainsi que Ruysch prolongea sa carrière jusqu'à sa quatre-vingt-treizième année, Winslow jusqu'à sa quatre-vingt- onzième, et Morgagni jusqu'à sa quatre-vingt-neuvième, Sanchez Ribeiro vécut aussi quatre-vingtquatre ans, Hoffmann quatre-vingt-deux; Fracastor, Hygmore, Boerhaave, Van Swieten, Pringle, Albinus, Barthez, dépassèrent soixante et dix ans; enfin Malpighi, Meïbomius, Sydenham, Hunter, Bertin et Haller, vécurent au delà de soixante ans. On sait, au contraire, qu'à la suite de veilles prolongées et de méditations habituelles sur un même sujet, Euler, Leibnitz, Kant, Platner, Linné, et beaucoup d'autres, ont fini par tomber dans la démence.

« PreviousContinue »