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viennent à produire un dérangement complet de la raison, ce dérangement conserve tellement le cachet de son origine, qu'il semble n'être qu'une suite d'accès de la passion primitive.

51. Les passions sur-aiguës, c'est-à-dire qui éclatent tout à coup et avec violence, sont on ne peut plus voisines de la folie. Chez celles dont la marche est chronique, l'imputabilité existe principalement pendant leurs deux premières périodes. Dans la troisième, en effet, la liberté morale, le libre arbitre n'est plus dans toute sa plénitude, parce qu'alors, per un funeste effet de l'habitude, la conscience est ordinairement muette, et le jugement plus ou moins faussé.

52. Les passions surgissent d'autant plus tyranniques, que les déterminations de la volonté sont moins calmes et moins puissantes; on ne saurait donc trop s'attacher à ne plus autant développer l'imagination au préjudice du jugement, faculté si précieuse et de nos jours malheureusement si rare: puisque l'imagination est la folle du logis, le jugement devrait toujours en être le mentor.

53. Les passions doivent-elles être employées comme moyens thérapeutiques? en d'autres termes, est-il permis de développer une passion pour guérir une maladie ou une autre passion préexistante? Nul doute que certains sentiments, qui agissent à la manière des passions, ne puissent être mis en jeu pour la guérison de l'âme ou du corps; mais les passions proprement dites ne doivent être employées à cet usage que dans des cas exceptionnels, et que

d'accord avec les principes sévères de la morale chrétienne.

Traitement législatif. 54. L'homme, ce composé de passions, est destiné à vivre en société ; mais la société elle-même développe de nouvelles passions que l'homme isolé ne connaîtrait pas, et qui tendent à troubler la tranquillité générale: de là, la nécessité de lois répressives.

55. Le traitement législatif des passions offre bien quelques mesures de police propres à les réprimer; mais il consiste surtout à punir les excès qu'elles enfantent, dès le moment que ces excès deviennent nuisibles à la société.

56. L'amende, la confiscation, la réparation d'honneur, la dégradation civique, la surveillance de la haute police, la privation des droits civils, civiques et de famille, l'emprisonnement, la réclusion, les travaux forcés, l'exposition, le bannissement, la déportation, enfin, la condamnation à mort: telles sont les peines que prononce la législation française contre les infractions, les délits et les crimes qui troublent l'ordre social.

57. En ajoutant à ces peines la torture, que Louis XVI a supprimée en France, le fouet, la bastonnade, la mutilation, la potence, les fers, l'exil, toujours en vigueur chez quelques peuples de l'Europe; puis l'esclavage, la cangue, la roue, la claie, la castration, la marque sur le front, l'empalement, la suspension par les aisselles, le chevalet, le supplice du feu, celui de la faim, celui de la croix, l'enterrement et la dissection du vivant, encore en usage chez quelques nations dites civilisées, on

aura réuni les principaux moyens employés par les législateurs pour arrêter les désordres sociaux que les passions entraînent à leur suite.

- Traitement religieux. 58. Nous venons de voir la législation et la médecine s'efforcer de prévenir les passions, ou d'en réparer les tristes effets, l'une en sévissant contre les délits qui troublent l'ordre social, l'autre en donnant des conseils hygiéniques pour maintenir les besoins de l'homme dans de justes limites, et en s'appliquant à guérir les maladies, suites inévitables de tous les vices: la religion fait plus

encore.

59. Dans sa continuelle vigilance, elle embrasse toute l'humanité, cette grande famille qui a Dieu pour père, et la terre pour exil. A ses yeux, les hommes étant tous frères, elle leur témoigne la même tendresse, leur donne les mêmes lois, leur promet les mêmes biens. Mais comme, dans un monde qui passe, le juste ne saurait trouver de récompenses proportionnées à ses sacrifices, c'est dans le sein de Dieu qu'il goûtera un bonheur dont ses passions vaincues ne viendront plus troubler l'éternelle extase.

60. Le christianisme ne se contente pas de nous voir observer ses préceptes par la crainte seule des peines de l'autre vie; il exige que le mobile de toutes nos actions soit l'amour de Dieu, et du prochain en Dieu loi d'amour, dont l'accomplissement ennoblit le cœur, éclaire l'intelligence, et rend l'homme véritablement libre, en régularisant tous ses besoins.

61. Outre les sacrements, qui purifient l'âme, en même temps qu'ils diminuent les souffrances du corps, la religion prescrit l'usage journalier de la prière comme un rempart puissant contre les attaques continuelles des passions. Il n'est pas, en effet, de moyen plus propre à dissiper ces dangereux ennemis de notre repos, que cette fréquente communication de l'homme avec son Créateur.

62. Aux sacrements et à la prière, la religion joint encore le jeûne et l'abstinence, moyens hygiéniques propres à amortir la violence des passions; et, dans sa profonde sagesse, elle les prescrit plus longs et plus sévères, précisément à l'époque de l'année où toute la nature est sur le point d'entrer en fermentation. La rigueur de la saison ; la misère; une constitution affaiblie par l'âge, la maladie, ou le travail, s'opposent-elles à ce que l'on suive le précepte, elle en dispense facilement; mais elle veut que chacun y supplée par une aumône proportionnée à sa fortune. C'est ainsi qu'en combattant deux vices, malheureusement si communs, l'intempérance et l'avarice, elle affaiblit les transports de l'amour et l'impétuosité de la colère', en même temps qu'elle verse le superflu du riche entre les mains du pauvre : admirable institution, qui fait expirer sur les lèvres de l'indigent le blasphème contre la Providence, et change en bénédictions les fureurs que lui eût inspirées l'envie! les institutions humaines ontelles jamais fait preuve d'autant de sollicitude, de prudence et de charité?

63. Les trois modes de traitement que nous ve

nons d'apprécier n'échouent que trop souvent quand on les emploie isolés, tandis qu'on a fréquemment observé l'effet salutaire de leur concours. Pourquoi donc ne pas toujours combattre les passions avec un ensemble de moyens qui ont entre eux les plus grands rapports, et qui tendent au même but? La médecine, la législation et la religion s'occupent, en effet, de l'homme, depuis son berceau jusqu'à sa tombe, et toutes trois n'ont en vue que son bonheur; seulement, l'une veut plutôt en faire un individu robuste ; l'autre, un citoyen paisible; la dernière, un homme éminemment vertueux. Toutes trois font encore observer leur code par les mêmes motifs, l'intérêt et la crainte pour ceux qui le respectent, la santé, l'estime publique, la paix d'une bonne conscience, avant-goût des joies célestes; pour ceux qui le violent, la maladie, les punitions des hommes, les châtiments de Dieu; toutes trois, enfin, ont chacune leur ministre: le médecin, qui soulage, le magistrat, qui punit, le prêtre, qui pardonne.

De la Récidive dans la Maladie, dans le Crime et dans la Passion.

64. Malgré l'augmentation de la peine prononcée contre les récidivistes, le chiffre annuel des récidives en matière criminelle et en matière correctionnelle a plus que doublé depuis dix ans.

65. Quelles sont les causes qui portent tant d'individus, déjà frappés par la justice, à rentrer dans la carrière du crime? Les principales sont:

1° L'abus des circonstances atténuantes, ainsi

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