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Aux yeux de la religion, la vertu est le triomphe de la volonté sur nos mauvaises inclinations; c'est aussi la santé de l'âme, conservée par l'innocence, ou recouvrée par le repentir.

Les moralistes admettent quatre vertus principales, qu'ils ont appelées cardinales, parce qu'ils les regardent comme le fondement de toutes les autres ce sont la prudence, qui les dirige; la justice, qui les gouverne; la force, qui les soutient; et la tempérance, qui les circonscrit dans de justes limites.

Les trois vertus théologales du chrétien sont la foi, l'espérance, et la charité, qui embrasse les deux autres, parce qu'elle est le lien d'amour qui unit l'homme à l'homme, en unissant l'homme à Dieu.

Une remarque faite depuis longtemps, c'est que la plupart des vertus sont placées entre deux vices comme entre deux écueils; aussi, en voulant éviter l'un on tombe souvent dans l'autre, si l'on ne se tient pas ferme dans cet étroit milieu qui les sépare.

Comme tous nos penchants naturels ou factices, les vertus mêmes peuvent donc dégénérer en passions, lorsqu'elles sont poussées à l'extrême, lorsqu'il y a excès dans leur exercice. On reconnaît qu'elles sont arrivées à ce degré quand elles faussent le jugement ou qu'elles le paralysent, et dès lors elles perdent le nom de vertus.

digne de porter ce nom jusqu'à ce qu'elle soit capable de toutes sortes d'épreuves. »

CHAPITRE II.

Division des Passions selon les moralistes et selon les médecins.-Théorie nouvelle des Besoins.

Il faut classer les passions pour les étudier, tout en reconnaissant que leur classification restera toujours imparfaite.

Les combats intérieurs de l'homme, cette lutte incessante qui règne entre ses penchants et sa raison, ont conduit Pythagore et Platon à reconnaître dans notre âme deux parties: l'une, forte et tranquille, assise dans la citadelle du cerveau comme dans un olympe placé au-dessus des orages; l'autre, faible et farouche, agitée par les tempêtes des passions, et, comme la brute, se vautrant dans la fange des voluptés.

Cette division de la nature de l'homme, en raisonnable et en irraisonnable, a été suivie par saint Paul, par saint Augustin et plusieurs autres Pères de l'Église; Bacon, Buffon, Lacaze, l'ont aussi admise; enfin on la retrouve dans la distinction des deux vies animale et organique adoptée par Bichat. Quelques philosophes anciens ne se bornèrent pas à reconnaître dans l'homme deux âmes, l'une supérieure et l'autre inférieure ; ils en admettaient une troisième, et les localisaient de la manière suivante : l'âme raisonnable avait son siége dans le cerveau;

l'âme animale ou concupiscible, dans le foie; la vitale ou irascible, dans le cœur.

Suivant les stoïciens, les passions dérivent de l'opinion, soit de deux biens, soit de deux maux; ce qui constitue quatre passions primitives: le désir et la joie, la tristesse et la crainte; ils les subdivisaient en trente-deux passions secondaires.

Les épicuriens réduisaient toutes les passions à trois: la joie, la douleur, le désir.

Pendant le moyen âge, la philosophie péripatéticienne, qui était en vogue, fit classer les passions d'après l'ordre de leur génération établi par Aristote : 1o amour et haine, 2o désir et aversion, 3o espérance et désespoir, 4° crainte et audace, 5o colère, 6o enfin, joie et tristesse.

Saint Thomas d'Aquin, dans sa Somme théologique, admet onze passions, qu'il classe dans l'ordre suivant : l'amour, la haine, le désir, l'aversion, la joie ou delectation, la douleur ou tristesse, l'espérance, le désespoir, la crainte, l'audace, et la colère. Les six premières, qui n'ont besoin être excitées que pour de la présence ou de l'absence de leur objet, y sont rapportées à l'appétit concupiscible, parce que le désir (concupiscentia) y domine. Les cinq autres, qui ajoutent la difficulté à l'absence ou à la présence de leur objet, sont rapportées à l'appétit irascible, parce que la colère (ira) ou le courage (1) y trouve toujours quelque obstacle à surmonter.

(1) Les Grecs, qui les premiers ont établi cette distinction d'ap pétits, exprimaient la colère et le courage par le même mot (up), parce que, chez les animaux, la colère est ordinairement la source et l'aliment du courage,

Après avoir mentionné cette division, qui fut longtemps adoptée dans les écoles, Bossuet pense, avec saint Augustin et le père Senault (1), que toutes les passions peuvent se réduire à une seule, qui est l'amour. Ainsi, « la haine qu'on a pour quelque objet ne vient que de l'amour qu'on a pour un autre; le désir n'est qu'un amour qui s'étend au bien qu'il n'a pas, comme la joie est un amour qui s'attache au bien qu'il a; l'audace est un amour qui entreprend ce qu'il y a de plus difficile pour posséder l'objet aimé; l'espérance est un amour qui se flatte de posséder cet objet, et le désespoir un amour désolé de s'en voir privé à jamais ; la colère est un amour irrité de ce qu'on veut lui ôter son bien, et qui s'efforce

(1) La raison, dit ce savant oratorien, nous force de croire qu'il n'y a qu'une passion, et que l'espérance et la crainte, la douleur et la joie, sont les mouvements ou les propriétés de l'amour. Et, pour le dépeindre de toutes ses couleurs, il faut dire que quand il languit après ce qu'il aime, on l'appelle désir; que quand il le possède, il prend un autre nom et se fait appeler plaisir; que quand il fuit ce qu'il abhorre, on le nomme crainte; et que quand, apres une longue et inutile défense, il est contraint de le souffrir, il' s'appelle douleur: ou, pour bien dire la même chose en termes plus clairs, le désir et la fuite, l'espérance et la crainte, sont les mouvements de l'amour, par lesquels il cherche ce qui lui est agréable, ou s'éloigne de ce qui lui est contraire. La hardiesse et la colère sont les combats qu'il entreprend pour défendre ce qu'il aime; la joie est son triomphe, le désespoir est sa faiblesse, et la tristesse est sa défaite; ou enfin, pour employer les paroles de saint Augustin, le désir est la course de l'amour, la crainte est sa fuite, la douleur est son tourment, et la joie son repos: il s'approche du bien en le désirant, il s'éloigne du mal en le craignant, il s'attriste en ressentant la douleur, il se réjouit en goùtant le plaisir ; mais, dans tous ces états différents, il est toujours lui-même, et, dans cette variété d'effets, il conserve l'unité de son essence. » ( De l'Usage des Passions.)

de le défendre, etc.; enfin, ôtez l'amour, il n'y a plus de passions, et posez l'amour, vous les faites naître toutes.» (De la Connaissance de Dieu et de soi-même.)

Toutes les affections, que Bossuet rapporte à l'amour, considéré comme besoin de posséder ce qui nous est agréable, La Rochefoucauld, Helvétius, et d'autres moralistes, les ont réduites à l'amourpropre, ou plutôt à l'amour de soi, à l'intérêt per

sonnel.

Descartes reconnaissait six passions primitives, savoir l'admiration, l'amour, la haine, le désir, la joie, et la tristesse.

D'après de La Chambre, premier médecin de Louis XIII, les passions humaines, soit qu'elles s'élèvent dans la volonté ou appétit intellectuel, soit qu'elles se forment dans l'appétit sensitif, peuvent être divisées en simples et en mixtes. Les simples, qui ne se trouvent que dans la partie irascible, ou bien dans la partie concupiscible, sont au nombre de onze, savoir: l'amour et la haine, le désir et l'aversion, le plaisir et la douleur, l'espérance et le désespoir, la hardiesse et la crainte, enfin la colère. Les passions mixtes, qui procèdent à la fois des deux parties irascible et concupiscible, sont les neuf suivantes: la honte, l'impudence, la pitié, l'indignation, l'ennui, l'émulation, la jalousie, le repentir, et l'e

tonnement.

Quelques psychologistes avaient cru pouvoir admettre des passions simples et des passions composées, des passions physiques et des passions morales; mais, quand il s'est agi d'établir ce qui était abso

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