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qui dirait Voltaire.» «En eflet, reprit naïvement celui qui venait de faire la question, Volney et Voltaire ça commence la même chose; et Voltaire, qu'est-ce que c'est ? » — «Parbleu, dit le père Guilmard, c'est celui qui a fait la Révolution! » — «Ce n'est pas étonnant alors, repartit un des trois paysans, que M. l'abbé ait fui aussi vite, car il paraît que la Révolution ne fut pas un bon temps pour la noblesse et le clergé. Comme vous êtes savant tout de même, père Guilmard! il n'y a vraiment qu'à Paris qu'on s'instruise comme ça!»

Le père Guilmard devait en effet être un savant, car il était entré à l'École polytechnique,... mais il n'y était resté qu'une semaine, et c'était comme ouvrier préparateur de plâtre, pour faire quelques vagues réparations. La vérité est qu'il ne savait ni lire ni écrire, n'ayant pas été à l'école, mais il avait une mémoire admirable. Sans savoir lire, il avait facilement appris le catéchisme, grâce à la circonstance suivante: un enfant de son âge et de son village, apprenant ses leçons avec beaucoup de difficulté, les lisait à haute voix et parfois même les chantait, sur des airs inconnus évidemment! On devine que le petit Guilmard rechercha assidùment la société de ce jeune camarade et qu'il chanta souvent avec lui les leçons du catéchisme, pendant qu'ils gardaient ensemble les bêtes de la ferme dans les champs.

Tombé à Paris dans un milieu d'ouvriers, celui qui devait être le père Guilmard, écouta, observa, emmagasina dans sa mémoire une foule de choses, importantes ou de peu d'intérêt, car il donnait bien à un détail l'importance due seulement à un fait principal, et réciproquement. Mais, peu importe, il avait beaucoup entendu, beaucoup vu, et, comme l'hirondelle voyageuse, il avait beaucoup retenu; sur Volney même, il pouvait dire des choses que de bons bacheliers ignorent.

<< Et la messe! elle va finir tout de suite, dit un des auditeurs du père Guilmard. Allons-nous-en, ou plutôt allons boire un sou de café, avec un petit pot de blan che, nous l'avons bien gagné, car M. l'abbé nous a fait un peu peur, il faut l'avouer, et vous, vous avez fameusement bien parlé. ».

V. GASTEBOIS

CHÉRENCE-LE-ROUSSEL

AVANT ET PENDANT LA RÉVOLUTION

(SUITE)

Les Enrôlements volontaires à Chérencé.

Chérencé fournit à la patrie envahie deux volontaires : Pierre Gasté et Jean-Baptiste Anger. Honneur à eux! Au moment de leur départ, il se produisit un petit incident. Deux autres citoyens, François Leroy et Denis Lepeigné, avaient eux aussi contracté un engagement volontaire; puis on ne sait pour quelle raison, ils revinrent sur leur décision. Les 4 jeunes gens avaient fait des visites chez leurs parents et amis, comme il est encore d'usage aujourd'hui avant de partir pour la caserne, et ils avaient recueilli une somme de 80 livres, qui avait été confiiée à François Leroy et à Denis Lepeigné. Peu de temps avant leur départ, le 28 Juillet 1793, les 2 braves Gasté et Anger, se présentèrent au bureau de la municipalité et demandèrent que les dits: «Leroy et Lepeigné aient à déposer entre les mains de la municipalité, la somme touchée par eux, pour être distribuée ainsi qu'il sera statué par la suite.»>

Mesures prises contre les fermiers de M. de SaintPaul, ancien Seigneur de Lingeard. La révolution avait aboli les droits féodaux. M. de Saint-Paul de Lingeard possédait plusieurs fermes et terres à Chérencé. Les terres des Rousselières, de la Morlière et de la Provostière étaient affermées aux nommés Charles Muris, Pierre Macé et André Legent. Ces trois citoyens continuaient sans doute de verser entre les mains de leur propriétaire et "Seigneur" la dîme et autres charges féodales, car le neuvième jour de la 3 décade du 1er mois de l'an II, la municipalité prit l'arrêté suivant:

<< Nous Maire et Officiers municipaux en permanence, au lieu ordinaire <«< de nos séances, avons arrêté et arrêtons, sur le réquisitoire cejourd'hui << fait du procureur de la Commune de Chérencé, que les citoyens « Charles Muris, Pierre Macé et André Legent, tous trois fermiers de « Charles Eugène Lingeard, dit Saint-Paul, ne pourront se désaisir de la

<< dîme et autres charges existantes, sur leur récolte, tant en seigle, fro« ment, avoine, sarrasin, pommes, poires, filasses, lins, chanvres sans <«<notre aveu, sous peine d'être regardés comme suspects et punis selon <«< la loi du 4 mai et subséquentes; fait arrêté entre nous, et avons fait << signifier le présent arrêté aux citoyens sus-dits.

Signérent: Lentaigne, Maire; Lepeigné, Procureur; Dubois, greffier; Erard, Chapel et Anger, officiers. Remarquons que le procureur Guesdon est remplacé par le procureur Lepeigné. C'est donc vers octobre 1793 que Guesdon aurait été désigné comme agent-national, pour le district de Mortain.

Le Comité de surveillance de Chérencé. Il y avait des personnes peu enthousiastes de la Révolution. Des prêtres réfractaires, des nobles, des anciens domestiques de nobles prêchaient, quoiqu en se cachant, la haine de la Révolution. La Convention crut qu'il fallait les découvrir et les entourer "d'une lumière qui les empêche d'agir". Déjà nous avons vu qu'on avait ordonné le désarmement des citoyens suspects. Pour que l'action de surveillance fût plus efficace, la Convention décréta, par une loi du 21 mars 1793, la formation dans chaque commune d'un bureau de surveillance. Le 3 novembre 1793, le Maire, le procureur, les officiers municipaux, le conseil général de Chérencé, se réunirent pour procéder à la nomination des citoyens composant ce comité de surveillance. Les nommés Charles Marye les Mazures, Louis Dubois du Coudray, Jean Clouard la forge, Jean Lepeigné-Langelière, Etienne Erard, Jean Chapel, Pierre Heurtaut, Louis Giffaut les Vergées, Pierre Guesdon Restières, Jacques Hamon, Jean Lecordier fils, Jean-Baptiste Louvet, Jacques Couillard, furent désignés. Remarquons que plusieurs de ces citoyens font suivre leur nom de celui de leur village. C'est pour les distinguer de personnes du même nom, que l'on trouvait alors dans d'autres villages. Le premier décembre suivant, ces treize républicains, devant la municipalité assemblée prêtèrent individuellement le serment exigé par la loi de «maintenir de tout

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leur pouvoir, la liberté et l'égalité et de mourir pour la défense de la République Française une et indivisible », et tous signèrent le procès verbal de la séance.

La désignation du comité de surveillance par la municipalité n'était pas légale. Cette nomination devait être faite par tous les citoyens votants de la Commune et en la forme ordinaire des scrutins. Le deux nivose an II (1), il fut procédé à cette élection dans l'église. Quatre-vingt-dix votants se présentèrent. Le suffrage universel n'existait pas tout à fait. Il fallait, pour être électeur, payer une petite somme d'impôt, faible il est vrai, mais néanmoins nécessaire (2). Le citoyen Charles Julien Marie les Mazures, réunit 76 voix, Louis Dubois 71, Jacques Hamon 62, Jean Clouard 53, etc. Les élus choisirent entre eux leur président et leur secrétaire.

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"La levée en masse" à Chérencé. Passage de troupes. La France était envahie sur toutes ses frontières. La Convention dut prendre des mesures énergiques. Toute la population fut mise en réquisition. On la divisa par générations, et on fit partir les générations par rang d'âge au fur et à mesure des besoins. La première levée comprit les jeunes gens de 18 à 25 ans. Ils devaient se réunir sur-le-champ dans les chefs-lieux de districts. Ces bataillons formés dans les chefs-lieux de districts devaient commencer sur-le-champ les exercices militaires et se tenir prêts à partir au 1er jour. Tous les chevaux et bêtes de sommes dont l'agriculture pouvait se passer étaient requis. La génération de 25 à 30 ans était chargée du service de l'intérieur en attendant le départ. Tous les jeunes gens de Chérencé n'avaient pas au cœur le souffle patriotique des deux braves volontaires dont j'ai parlé plus haut; certains mêmes négligeaient de rejoindre leur bataillon à Mortain ou le quittaient après l'avoir rejoint. Des ordres furent adressés à la municipalité pour qu'elle agisse auprès de quelques personnes. Elle notifia le 6 novembre 1793, aux

(1) Le calendrier républicain entra en vigueur en septembre 1793. (2) Egale au prix de 3 journées de travail.

nommés Jacques Couillard, Jean-Baptiste Lepeigné, à un domestique nommé Caraby et à Pierre Erard, qu'ils eussent à se rendre à Mortain, où était leur bataillon, dans le délai d'un jour. Un citoyen nommé Gilles Dubois donna ce bel exemple: il prit l'engagement de marcher en qualité de volontaire à la place de son frère Pierre Dubois, au cas que le Directoire de Mortain exige que ce dernier marche.

La Vendée et la Bretagne s'étaient insurgées contre la République, la chouannerie commençait. Les campagnes n'étaient pas sûres; on installa un peu partout des "bleus" ou soldats républicains pour réprimer l'insurrection. Un groupe de ces hommes dut séjourner à Chérencé.

En effet, le 8 décembre 1793, «l'an II de la République française, une et indivisible», le Maire et les officiers municipaux se rendirent au village "de la Fontaine"; ils levèrent les scellés apposés sur des appartements qui appartenaient justement au maire Lentaigne et qui contenaient les meubles de l'ex-curé Enguehard. Ils agirent ainsi pour procurer un logement à des troupes qui, suivant l'avis du Directoire de Mortain, devaient prochainement arriver. Partout où il y avait des maisons d'émigrés, les volontaires s'y installaient. A Chérencé, il n'y en avait pas. Puis le Maire apposa de nouveau les scellés sur la fenêtre et la porte d'un cabinet où préalablement les meubles et les objets du "sieur Enguehard" furent renfermés. La municipalité laissa à la disposition des volontaires, une armoire, un matelas, deux traversins, deux tables, un banc, 10 chaises, une couverture de laine, etc. Le nommé Boutin, un voisin, fut invité à donner connaissance à la municipalité, de 1 enlèvement des objets ci-dessus, le cas échéant.

Descente des cloches, leur transport à Mortain. Le décret de "levée en masse" portait que les hommes mariés forgeraient les armes. A cet effet, il fallait des métaux. Un décret de la Convention exigea que les cloches des églises soient transportées au chef-lieu du

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