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entrainé la destruction de beaucoup de monuments de ce genre: nous voulons parler des querelles relatives au patronage des églises. Le privilège d'avoir ses armes à la maîtresse vitre, et les présomptions légales qui en résultaient quant aux droits honorifiques, eurent souvent pour conséquence des déplacements violents d armoiries, opérés toujours au grand dommage de ces brillantes mais fragiles peintures, et quelquefois même le bris entier de la vitre principale. Des actes de cette nature se sont produits dans beaucoup d'églises du diocèse d'Avranches, notamment à Lapenty, à Virey, à "Fontenay et à Brecey, ainsi qu'il résulte d'actes originaux que nous avons eus entre les mains. Dans le procès-verbal qui eut lieu entre le cardinal de Janson et M. de Gaallon, seigneur des Carreaux, le défenseur du cardinal fait connaître que M. des Carreaux avait mis ses armes par force et entreprise à la grande vitre de l'église de Virey, en laissant, il est vrai subsister celles de l'évêque de Rennes, et celles de l'abbaye de Savigny, mais en supprimant la peinture représentant le Père Éternel et un Crucifix. Quelquefois même ces questions de droits honorifiques donnaient lieu à des actes d'une violence extraordinaire. C'est ainsi, par exemple, qu'en 1611, dans la nuit du 18 au 19 septembre, le sieur du Hamel, écuyer, accompagné d'une troupe d'hommes et de femmes armés de pinces, de haches et de perches, s'introduisit nuitamment dans l'église de Moulines, et y brisa, à la lueur des cierges bénits, les armes des abbés et religieux de Savigny, représentés dans un des panneaux de la vitre du choeur. Cette nuitlà, s'il faut en croire les écritures judiciaires et le Monitoire de l'évèque d'Avranches, en date du mois de décembre, l'église de Moulines fut le théâtre de l'orgie la plus scandaleuse. Au reste, la discussion continuait encore longtemps après, car un Arrêt donné à Rouen le 14 Mai 1667 ordonna définitivement l'enlèvement des armes des sieurs Mahé écuyer, et de Pierre du Hamel, "qui avaient été placées à la maîtresse vitre par usur

pation, et au mépris des droits de Mile de Montpensier, comtesse de Mortain, et de l'abbaye de Savigny." Sans doute, on n'a pas toujours à constater de semblables excès; mais lors même que des transactions intervenaient entre les parties intéressées, comme cela eut lieu, au sujet de la vitre de Lapenty, entre Nicolas de Juvigny et Gilles du Vauborel, aux termes d un Vidimus de 1541, qui nous a été communiqué par M. Denis Bréhier, ces accords amiables, qui juxtaposaient sur le même vitrail un nombre indéfini d'écussons, n'étaient guère moins funestes, au point de vue de l'art, que les arrêts de justice ou les violences déclarées.

En présence de toutes ces chances accumulées de destruction, on comprend facilement que presque toutes nos verrières soient à l'état de fragments. Beaucoup de ces débris sont à peu près dénués de valeur artistique, mais tous ont le mérite d'attester, d'une manière éloquente, la popularité dont jouissait autrefois, dans le diocèse d'Avranches, l'art de la peinture sur verre.

Eugène de BEAUREPAIRE.

(Notes pour servir à l'Histoire de l'ancien diocèse d'Avranches. Avranches, 1854.)

Etat du Mortainais en 1697, sous Louis XIV

(D'après les manuscrits de l'intendant FOUCAULT)

En 1696, par ordre de Louis XIV, à la sollicitation de son petit-fils le duc de Bourgogne, père de Louis XV, les Intendants du royaume durent dresser des Mémoires chacun sur l'état de la partie de province dont le gouvernement lui avait été confié. Nicolas Joseph Foucault était alors intendant de la généralité de Caen comprenant les neuf élections ou arrondissements, dirait-on aujourd'hui, de Caen, Bayeux, Coutances, Falaise, Carentan, Valognes, St-Lô, Vire, Avranches et Mortain; Foucault rédigea sur son département un gros manuscrit de 811 pages dont plus de cent pages sont consacrées aux élections d'Avranches et de Mortain; l'intendant ne fit cependant pas un travail personnel, il ne fit que réunir les rapports de ses subdélégués ou sous-préfets, ce dont nous ne nous plaindrons pas, le sous-préfet connaissant naturellement mieux dans les détails son arrondissement que le préfet. Plusieurs copies du manuscrit de Foucault ont été faites; nous en avons vu à la Bibliothèque nationale, à la Bibliothè que de l'Arsenal à Paris, à celle de Caen des extraits en ont été publiés dans diverses Revues et nous allons rassembler ici tout ce que nous avons trouvé concernant notre Mortainais.

«L'élection de Mortain, dépendante de la généralité de Caen, a onze lieues de longueur de l'orient à l'occident, sur neuf de largeur; elle est bornée au midi par la Bretagne et le Maine, à l'orient par celles de Vire et Domfront, au nord par celle de Coutances et par celle d'Avranches à l'occident. Les plus considérables rivières sont la Sée et la Sélune qui se perdent dans la mer d'Avranches. Il n'y a qu'une forêt qui est celle de la Landepourrie, qui est du domaine de Mortaing; elle est

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toute réduite en taillis. Les fruits du pays sont les seigles, bleds noirs, orges et avoines avec les cidres, Il n'y a d'ailleurs aucun commerce par la difficulté du transport, à cause de l'inégalité du terrain qui est tout rempli de hauts. de bas et de fonds gras. La plus grande partie des paroisses dépendent pour le spirituel de l'évêché d'Avranches. Le naturel des peuples n'est pas méchant, si l'on en excepte la chicane, ils sont actifs et laborieux. (1)

Le comté de Mortaing est une terre si considérable qu'elle a fait autrefois l'apanage des puisnés de Normandie. Le roi Jean (sans Terre) ne prenait d'autre titre. avant d'être parvenu à la couronne d'Angleterre, que celui de comte de Mortaing. Henri 1r le donna (le comté de Mortaing) en 1135 à son neveu Etienne de Blois, comte de Boulogne, qui parvint après lui à la couronne (d'Angleterre). Guillaume fils d'Etienne, le posséda après son père; il mourut l'an 1160, sans enfants de sa femme; sa succession, après de longues disputes, fut adjugéé à Marie de Boulogne qui épousa Mathieu d'Alsace, d'où sortit la comtesse de Boulogne qui porta la seigneurie de Mortain à Renaud, comte de Dammartin. Mahaut leur fille épousa Philippe de France, oncle de Saint-Louis, après lequel cette grande terre fut réunie à la couronne. Dans la suite, elle fut apparemment donnée en apanage à la maison d'Evreux, puisque Charles VI l'érigea en comté par lettres de l'an 1401, en faveur de Pierre de Navarre, lequel étant mort en 1411, elle retourna encore à la couronne. François 1er la donna en 1529 à Louis de Bourbon-Montpensier par échange qu'il fit avec lui des terres de Leuse et Condé en Flandres cédées par le roi à Charles-Quint par un traité de paix. Feue son Altesse Royale, Mademoiselle d'Orléans, l'a possédée à droit successif, et par disposition testa mentaire l'a laissée à M. le duc d'Orléans.

(1) Tout cela est d'un style fort négligé, et le reproche a été plusieurs fois fait à l'intendant Foucault d'avoir osé adresser au pouvoir royal un document de forme si imparfaite. V. G.

La ville de Mortaing, qui est la seule de l'élection, est petite, puisqu'il n'y a qu'une rue seule; elle est de très difficile abord, presque toute environnée de rochers assez escarpés. L'ancien château est bientôt tout à fait détruit; sa situation le rendait considérable. Il y a environ 1300 familles dans la ville et ses deux annexes le Rocher et Neubourg. Il y avait un beau pont de communication entre Neubourg et Mortaing, mais il est ruiné. Les juridictions de la ville sont: le bailliage, la vicomté, l'élection et la maîtrise des Eaux et Forêts. Il serait aisé d'établir en ce lieu des manufactures de draperies et de tanneries aussi bien qu'on l'a fait en plusieurs autres villes; ce serait l'unique moyen de donner quelque ressource aux habitants qui sont absolument destitués de commerce.

On compte dans toute l'élection environ 80 paroisses; le bourg de Tinchebray est très considérable et partage en quelque sorte la justice de Mortaing. Tous les offices de judicature étaient à la disposition du seigneur de Mortaing, mais depuis quelques années ces offices sont vendus et les acheteurs paient la polette pour les conserver dans leurs familles. Comme cette élection est frontière de la Bretagne, il y a un bureau de traites foraines, mais il n'y a point de grenier à sel, l'usage du sel blanc y étant établi comme dans toutes les autres élections maritimes de ce canton.

Les terres considérables de cette élection sont: Montécoq, érigée en marquisat en 1697 pour le sr Douesnel; la baronnie des Biards, possédée par Mr de Pierrepont; celle de Saint-Pair à Mr Dauray; celle de Bressé à Mr de Vassy; le comté d'Igouville (ou Digoville) au sr Vauborel. On compte en général dans cette élection 85 fiefs principaux, dont presque toutes les terres de l'étendue dépendent. Ils doivent tous hommage au roi ou au comte de Mortaing.

On trouve dans ce district deux adbayes et quatre prieurés. Savigny autrefois chef d'ordre, à présent première fille de l'abbaye de Clairvaux, fut fondée par

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