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PRÉFACE

En 1909, nous avons publié le Livre de Raison de Jean Géreux de Martigny, pour l'année 1763 et autres, ou le Journal d'un Paysan Normand à la veille de la Révolution.

Dans l'armoire aux vieux livres et aux notes manuscrites de M. Denis BREHIER-DUCOUDRAY, vieux savant de St-Hilaire-du-Harcouët, le hasard nous avait fait mettre la main sur ce premier manuscrit. Nous avons continué nos recherches, et nous avons trouvé un deuxième Livre de Raison que nous offrons aujourd'hui aux lecteurs de la Revue du Mortainais.

Le père, le grand-père, l'arrière grand-prère de M. Denis BREHIER avaient été notaires à Saint-Hilaire pendant 128 ans, exactement de 1727 à 1855; dans leur importante étude s'étaient entassées les minutes innombrables, mais aussi des papiers de famille de toutes sortes. Il arrive assez souvent aux notaires de faire apposer les scellés après des décès; l'inventaire des papiers leur est confié, et pour le faire plus facilement et plus complètement, ils emportent chez eux de grosses liasses. On s'imagine peu les secrets et les trésors d'histoire locale qu'ils trouvaient ainsi autrefois et qu'ils découvrent peut-être encore maintenant; je m'en fais une idée par ce que j'ai vu dans la vieille armoire de M. BREHIER. Son père François BREHIER avait été notaire de 1816 à 1855; son grand-père Denis BREHIER, de 1770 à 1816, et l'arrière grand-père Pelchat de 1727 à 1770; c'était la bonne époque, 50 ans avant la Révolution et 50 ans après; quels beaux coups de filets ils firent, même in

volontairement : lettres de soldats faisant campagne en Italie, en Espagne, en Allemagne, carnets de notes particulières et intimes, livres de raison, billets de logements des troupes prussiennes en 1815, droits seigneu riaux à acquitter, aveux d'aînesses, il y avait de tout dans les coffres antiques et les tiroirs des vieux meubles; dans ces rafles, un historien aurait fait de petites pêches miraculeuses. Nos Archivistes départementaux le savent bien, et j'en connais un qui n'estimait rien de plus intéressant, parmi les multiples documents confiés à ses soins, que les tabellionnages. L'attention des savants tend à se porter sur ces collections jusqu'ici trop dédaignées, ou même presque oubliées; il existe plusieurs projets de lois demandant le dépôt des Archives notariales aux Archives départementales. Un spécialiste de la question a été jusqu'à dire: «Les minutes anciennes constituent le grand fonds inexploré, inépuisable, d'où doivent sortir renouvelées toutes les sources de la recherche historique. »

Les vieux actes des notaires sont une mine de renseignements pour l'histoire, l'archéologie, le droit, l'économie politique même. qui cesse d'être une science spéculative pour devenir une science d'observation. Commerce, industrie, agriculture, régime des biens et des personnes, arts, législation, coutumes, mœurs, fortune publique et privée, variation de la valeur des choses, tout, sous l'ancien régime, est représenté dans les actes notariaux (1).'

Denis BREHIER, héritier de trois générations de notaires, passionné d'histoire civile et religieuse, curieux des généalogies de la noblesse contemporaine, docteur en droit, donc très à même de comprendre tous les mots et la saveur des vieux contrats de mariage, des ventes de fiefs avec énumération de droits seigneuriaux, etc, lut intelligemment jusqu'à son extrême vieillesse et classa quelques milliers de papiers, héritage

(1) Voir Pasquier, Archiviste de la Haute-Garonne, Archives notariales, Besançon 1905.

de ses pères, qui avaient mis de côté, pour leur bibliothèque personnelle, quantité de documents qui provenaient du dépouillement des archives des familles après décès donnant lieu à apposition de scellés. Denis BREHIER est mort à 89 ans, à la fin de 1914; sa propre succession a été liquidée pendant la guerre, et les papiers qu'il avait si patiemment collectionnés et classés ont été dispersés et perdus en très grande partie. C'est une perte irréparable pour l'histoire du Mortainais, et les chercheurs doivent renoncer à ce trésor éparpillé. Je n'y trouverai plus moi-même d'autres livres de raison, ou simplement la suite du Livre de raison de Jean MASSÉ BOIS-GRALLON; car ce que nous publions aujourd'hui n'est qu'un Cahier du Registre du chirurgien de St-Martin-de-Landelles.

Jean MASSÉ habitait le hameau du Bois-Grallon, voisin de la Pimoussière et de la Paulmeraye; il était chirurgien-saigneur. Il serait difficile de dire s'il avait conquis des diplômes près d'une Faculté de médecine; mais évidemment il savait remettre les membres cassés, et il donnait surtout la saignée aux gens plus ou moins malades. Il y a seulement 40 ans on saignait encore beaucoup, presque aussi facilement qu'aujourd'hui on purge les Bonnnes sœurs héritèrent dans les campagnes de ces fonctions des anciens chirurgiens-saigneurs, et les personnes qui dépassent aujourd'hui 70 ans ont vu saigner beaucoup dans leur jennesse.

Notre chirurgien de campagne joignait à sa profession libérale celle de laboureur, ainsi que nous le verrons par son registre. A cette époque où les routes n'existaient pas, les avocats (il y en avait 48 dans le Mortainais en 1787), les huissiers ou sergents, les tabellions ou notaires, les gens de métier qu'on ne rencontre plus guère que dans les villes, pullulaient dans les paroisses, et leur rayon d'action étant limité, leurs confrères se rencontrant dans les paroisses voisines, ils étaient obligés, pour vivre, de faire valoir au moins une petite ferme. On se figure faussement l'ancienne noblesse des

campagnes vivant dans des châteaux confortables et les notaires vivant bourgeoisement à peu près comme ceux de nos jours. Je conseille à mes compatriotes qui ont ces illusions d'aller voir au Colombier, à Virey, le château bien conservé de M. de Gaallon seigneur des Carreaux, au 18° siècle; et à la Caillette, en Montigny, la maison de Jean Siméon FONTAINE notaire en 1790; dans l'un ils verront les chambres avec plancher en terre battue; et la pauvreté de l'autre au milieu de son plant de pommiers leur fera comprendre que Fontaine, tabellion, était aussi laboureur. J'ai connu un AGUITTON de Montigny dont le grand-père fut admis un jour à l'honneur de diner chez le notaire Fontaine ; le menu fut simple: un jambon tout chaud sortant de la marmite, avec assaisonnement de petites cives. Ce fut d'ailleurs le dernier repas du tabellion de village. Les chouans passèrent par là, ils l'emmenèrent avec le bonhomme Aguitton, fusillèrent au pied d'une croix de carrefour le notaire, et relâchèrent Aguitton. Mais c'est là une autre affaire que je raconterai ailleurs.

Jean Massé chirurgien et laboureur avait trois frères et deux sœurs. L'un de ses frères, Nicolas, était moine dans une abbaye de Bretagne; les deux autres, Guillaume et Louis étaient cultivateurs dans la paroisse; une sœur était mariée à LA FOREST et l'autre à PORCHER, cultivateurs dans la paroisse. Un de ses oncles était avocat à Landelles également.

Il épousa sa cousine Marguerite MASSÉ dont il eut cinq enfants qu'il laissa mineurs à sa mort, arrivée avant 1676. 76. Leurs biens furent dilapidés par des tuteurs malhonnêtes à qui un procès fut intenté en 1682.

Jean Massé sans être riche, réalisa une petite fortune qui s'arrondit encore par des héritages. Il voulut donner à sa maison un aspect sortant du commun des demeures villageoises, et l'orna d'un, pavillon; après cela et pour cela il se fit appeler MASSÉ DU PAVILLON; M. BREHIER m'a montré plusieurs titres portant cette signature.

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