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A la prière des évêques, Louis XIV convoqua une assemblée du clergé pour le 31 octobre 1681.

L'occasion se présentait d'affirmer définitivement l'indépendance de l'Eglise nationale et de briser les liens qui la rattachaient de plus en plus étroitement à l'Eglise romaine. Beaucoup d'évêques se montraient favorables à cette politique; l'opinion s'échauffait; on allait jusqu'à parler d'établir en France un patriarche.

Mais les meilleures têtes du clergé de France comprirent que l'Eglise gallicane n'avait aucun intérêt à se détacher de Rome, parce que toute autorité enlevée à Rome passerait au roi. L'indépendance de l'Eglise de France se trouvait bien mieux garantie entre le roi et le pape, toujours en désaccord et en querelle, que si le roi eût été seul maître et chef temporel de l'Eglise comme l'était le roi d'Angleterre.

L'assemblée chercha donc à contenter le roi, sans s'aliéner à tout jamais le pontife. Elle accepta l'extension de la régale à tout le royaume, et chargea le plus savant et le plus éloquent de ses membres, Bossuet, de rédiger la déclaration dogmatique, qui formait le principal objet de sa réunion.

La Déclaration du 19 mars 1682 frappa d'une égale réprobation ceux qui s'efforçaient de renverser les libertés gallicanes, appuyées sur les canons et la tradition des Pères, et ceux qui, sous prétexte de ces libertés, portaient atteinte à la primauté de saint Pierre et de ses successeurs.

Le clergé déclarait que l'Eglise n'a reçu de puissance de Dieu que sur les choses spirituelles, que les rois et princes ne peuvent être déposés par elle ni directement, ni indirectement, ni leurs sujets déliés du serment de fidélité par l'autorité des chefs de l'Eglise, et que cette doctrine doit être inviolablement suivie comme conforme à la parole de Dieu, à la tradition des Pères et aux exemples des saints. Le clergé de France rappelait les décrets du saint concile œcuménique de Constance sur l'autorité des Conciles généraux. Il affirmait la légitimité des libertés de l'Eglise gallicane et son intention de maintenir inébranlables les bornes posées par les règles et constitutions reçues dans le royaume. Enfin il déclarait les jugements du pape révocables, tant que le consentement de l'Eglise ne les avait point confirmés.

L'œuvre de Bossuet était considérable et solide: elle plaçait la couronne au-dessus des atteintes de la papauté, elle affirmait

l'autonomie de l'Eglise de France, elle reprenait la vieille idée de la supériorité des Conciles sur les papes.

Mais il est aisé de voir que le gallicanisme des évêques se fût exprimé avec bien plus de force, s'ils n'avaient craint de tomber sous la tyrannie royale.

De son côté, Louis XIV sembla s'effrayer de ses propres audaces, il lui parut dangereux d'éterniser les discussions sur des questions aussi épineuses, et, le 23 juillet, après une suspension de quelques semaines, il prorogea indéfiniment l'assemblée du clergé.

Si l'on considère la durée de la lutte, l'importance du problème et la nature extraordinaire des moyens mis en jeu par le roi, on ne manquera pas de s'étonner que les résultats aient si faiblement répondu à l'attente générale. C'est une preuve de plus que la politique de Louis XIV manqua toujours de profondeur et ne visa jamais au delà des résultats immédiats.

Satisfait d'avoir obtenu gain de cause dans l'affaire du droit de régale, et content d'avoir évoqué aux yeux du pape le spectre du schisme, il se laissa reprendre par les jésuites et congédia l'assemblée qui se préparait à censurer la morale des casuistes.

Le pape, de son côté, ne perdit aucune occasion de témoigner au roi son ressentiment, mais n'osa pas condamner la Déclaration du clergé de France.

Les deux adversaires s'entendirent tacitement pour ne plus reparler de cet incident, et la Déclaration, qui aurait pu arrêter à jamais l'autocratie pontificale, réussit tout au plus à mettre une pierre sur son chemin.

La célèbre affaire du quartier des ambassadeurs montra une dernière fois toute l'infatuation et l'imprudence de Louis XIV. Les ambassadeurs étrangers avaient le droit d'exclure la police romaine des quartiers qu'ils habitaient, et ces quartiers servaient naturellement de repaires aux contrebandiers et aux malfaiteurs de profession. Profitant des changements qui se produisaient dans le personnel des ambassades, le pape avait peu à peu obtenu de la plupart des souverains d'Europe qu'ils renonçassent à un usage devenu odieux et ridicule. L'ambassade française étant devenue vacante en janvier 1687, le pape demanda au roi de vouloir bien suivre l'exemple des autres Etats; mais Louis XIV répondit superbement « qu'il n'avait jamais été réglé par << l'exemple d'autrui, et que Dieu l'avait établi pour donner << l'exemple aux autres, non pour le recevoir ». Et, pour montrer combien il tenait au glorieux privilège de donner asile aux

filous et aux spadassins dans le quartier de son ambassadeur à Rome, il ordonna à son nouveau représentant, le marquis de Lavardin, de faire son entrée dans la ville à la tête d'une garde de 800 gentilshommes. Le pape refusa de le recevoir, mit en interdit l'église Saint-Louis des Français, et, l'année suivante, nomma archevêque de Cologne le prétendant allemand Clément de Bavière, au lieu du candidat français Guillaume de Furstenberg.

Tels étaient, sous Louis XIV, les rapports du roi de France et du Saint-Siège. A moins de guerre déclarée, ils ne pouvaient être plus mauvais.

La royauté aurait dû concourir, de tout son pouvoir, au progrès moral de l'Eglise; elle ne fit que lui donner les pires exemples et aider à sa corruption.

Elle aurait dû la faire rentrer dans le droit commun au point de vue financier ; elle ne sut que la menacer, la vexer, la piller ou se laisser berner par elle.

Elle aurait dû soutenir les libertés gallicanes contre l'autocratie pontificale; elle ne sut tirer aucun parti sérieux de ses avantages.

Elle aurait dû défendre les protestants contre le fanatisme catholique; nous verrons dans les prochaines leçons comment elle abdiqua ce beau rôle et se montra plus fanatique et plus cruelle que l'Eglise elle-même.

Et, de tout cela, nous conclurons que, hors du droit, il n'est rien de grand.

PRÉLIMINAIRES DE LA RÉVOCATION DE L'ÉDIT

DE NANTES

Nous avons fait gloire à Henri IV d'avoir introduit, le premier, dans nos lois le principe de la tolérance religieuse; nous avons été obligés de reconnaître qu'il y eut dans sa décision plus de politique que de philosophie, et que les deux confessions, catholique et protestante, restèrent ennemies, après comme avant l'Edit.

Les réformés témoignèrent d'abord d'un esprit turbulent et batailleur, qui les rendit suspects au prince et qui amena la suppression des garanties matérielles dont ils jouissaient.

Les catholiques envisagèrent toujours l'Edit comme un e mesure provisoire, arrachée au roi par les tristes nécessités de la politique. Ils se donnèrent pour tâche d'en obtenir la révocation, et les meilleurs nourrirent, dès les premières années du dix-septième siècle, l'idée d'employer tous les moyens, y compris les plus violents, pour convertir et soumettre les huguenots et les ramener à la foi commune.

Le cardinal de Bérulle ne croyait pas à l'efficacité de la controverse contre les hérétiques et pensait « qu'on ne pouvait mettre << fin à une hérésie qui avait pris naissance dans les divisions de « l'Etat que par un coup d'éclat propre à la détruire dans son «< centre même ».

Il est vraiment affligeant de trouver un pareil fanatisme chez un homme d'une aussi grande valeur morale; mais nous ne pouvons ni nous en étonner ni en être indignés, car ce fanatisme découlait très logiquement de la conception que l'on avait alors de la religion.

Pour un catholique du dix-septième siècle, le principe qu'il n'est point de salut hors de l'Eglise est absolu; et les huguenots, s'étant mis volontairement hors l'Eglise, ne peuvent attendre que la damnation. Il était donc permis à un politique comme Richelieu de les laisser tranquillement dans cette voie de perdition pour

L'église et L'ÉTAT

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assurer la paix du royaume, et conserver au roi des contribuables et des soldats; mais le vrai chrétien, curieux avant toutes choses du salut de ses frères, ne devait pas avoir de cesse qu'il n'eût retiré de leur mortelle erreur ces milliers d'âmes qui allaient se perdant par leur faute et pour l'éternité. L'hostilité des catholiques contre les huguenots a donc eu pour incontestable point de départ, chez les hommes les meilleurs et les plus doux, une pensée d'éminente et ardente charité : l'idée d'assurer leur salut. Nous ne saurions, en bonne morale, condamner nos pères à ce sujet; car, si la tolérance est inscrite dans nos lois, elle est bien loin d'être encore inscrite dans nos cœurs. Etudions donc les injustices et les violences qui furent commises il y a deux siècles; considérons les comme une grande crise nationale; notons-en fidèlement les prodromes, les différentes périodes et les effets, et que le spectacle des excès commis nous attache plus profondément à la tolérance.

Ni Richelieu ni Mazarin ne furent des fanatiques. Ils cherchèrent tous les deux à maintenir catholiques et protestants dans le respect de l'Edit; mais les administrateurs et les magistrats ne furent pas aussi sages, et la Compagnie du Saint-Sacrement trouva chez eux de déplorables complaisances.

L'histoire des trente années qui séparent le siège de La Rochelle du gouvernement personnel de Louis XIV pourrait être appelée proprement la période de la Compagnie ; c'est elle qui lutte avec ses seules forces contre le protestantisme légalement reconnu, et Louis XIV ne fera que profiter plus tard de ses enseignements.

La Compagnie songea d'abord, et ce moyen était parfaitement légitime, à convertir les huguenots par la prédication et la controverse. Elle fit appel à tous les gens de bonne volonté et fit prêcher par toute la France; mais les huguenots avaient aussi des ministres fort instruits et éloquents, contre lesquels les missionnaires n'avaient pas toujours l'avantage, et la Compagnie cherchait à le leur assurer en marquant aux populations de quel côté était la faveur du gouvernement.

La conversion des adultes présentant trop de difficultés, on crut plus aisé de convertir les enfants et les jeunes gens, et, pour s'assurer qu'une fois convertis ils ne retomberaient point dans l'erreur, on eut l'idée de fonder des maisons religieuses où les nouveaux convertis trouveraient asile.

Vers 1634, la Congrégation pour la propagation de la foi fonda à Paris, dans l'île Notre-Dame, le couvent des Nouveaux-Catholi

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