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ces dispositions, le droit de séparation des patrimoines est général, et qu'il n'est assujetti à aucune formalité. Pourquoi le restreindre, lorsque la loi l'a voulu absolu et indéfini ? Pourquoi l'embarrasser de formes, lorsque la loi a voulu le dégager de toutes formes? Il s'applique aux immeubles passibles d'hypothèque, comme aux meubles qui n'en sont pas susceptibles; il est accordé à tous les créanciers du défunt:

aux chirographaires comme aux hypothé

caires. La loi de brumaire ne fait aucune distinction; il suffit d'avoir un titre, quel qu'il soit, contre la succession du défunt, pour avoir droit de demander la séparation de son patrimoine de celui de l'héritier. Elle se serait contredite si, pour la conservation de ce droit, elle eût exigé une inscription; car les meubles, ne pouvant ni se fixer ui se suivre, ne sont pas de nature à comporter l'hypothèque, qui est un droit réel. D'ailleurs l'hypothèque ne pouvant résulter que d'une condamnation judiciaire, ou d'une obligation authentique, le créancier chirogrophaire est privé du droit d'hypothèque. Cependant l'art. 14 de la loi de brumaire comprend dans sa généralité tous les créanciers du défunt; et, comme cela devait être, il ne les assujettit point à la formalité de l'inscription. S'il ajoute que la séparation sera demandée conformément aux lois, ce n'est pas conformément aux lois sur le régime hypothécaire, avec lequel le droit de demander la séparation des patrimoines n'est pas compatible dans l'esprit de l'art. 14, mais conformément aux lois sur la séparation des patrimoines. Prévoyant en outre le moyen que la dame Duliége aurait pu tirer de la vente des deux maisons, faite antérieurement à la demande en séparation de patrimoines, le ministère public a manifesté l'opinion que les créanciers avaient festé l'opinion que les créanciers avaient sur le prix, après la vente, les mêmes droits qu'ils avaient sur les immeubles avant la

vente.

ARRÊT de la cour de cassation, du 22 janvier 1806, section des requêtes, au rapport de M. Vallée, qui, suivant les conclusions du ministère public, rejette le pourvoi.... Motifs : « Attendu qu'en ordonnant la séparation des patrimoines, la our d'appel de Paris, loin d'être contre

venue à la loi du 11 brumaire an 7, s'y est au contraire parfaitement conformée. »

DEUXIÈME QUESTION. 1o La séparation des patrimoines peut-elle être demandée par les créanciers du défunt, après la vente de ses biens faite par l'héritier, mais avant le paiement du prix de la vente. 2o Les créanciers du défunt, quoique non inscrits, ou inscrits postérieurement aux créanciers de l'héritier, doivent-ils avoir la préférence sur ceux-ci dans la distribution du prix provenant de la vente des biens du défunt?

Résolu affirmativement par la cour d'appel de Caen, et par la cour de cassation.

Espèce..... Par contrat notarié du 8 septembre 1748, François-Thomas Gibault donna à fieffe, ou bail à rente perpétuelle à Jean-François Le Souef, une ferme nommée la Campagne, située en la paroisse de Cenilly, arrondissement de Coutances, moyennant 400 liv. de rente foncière. En 1788, les fils et héritiers du fieffataire consentirent un acte recognitif de cette rente, par lequel ils s'obligèrent à la payer, et continuer à l'avenir, comme par le passé, aux termes, priviléges et hypothèques des titres et contrats qui la concernent, sans dérogation ni innovation.

Souef, enfans et héritiers du défunt, ayant André-Jacques, et Jean-François Le eu le malheur d'éprouver des besoins, empruntèrent à gros intérêts, et furent réduits à vendre la ferme en question aux nommés Sarrot et Lécrivain, de Coutances, par contrat du 21 messidor an 10. Les acquéreurs étaient ceux à qui les frères

Le Souef s'étaient adressés dans leur détresse; ils ne payèrent pas le prix; il fut stipulé qu'il serait versé aux mains de qui il appartiendrait. Par leur contrat, au surplus, ils n'étaient pas chargés de la prestation de la rente de 400 liv. due au sieur Gibault; ils en requirent la transcription; ils en firent aussi faire la notification aux créanciers inscrits de leurs vendeurs, conformément à la loi du 11 brumaire an 7.

Au nombre des créanciers inscrits, figuraient les nommés Magne et Lefaudeux, demeurant aussi à Coutances. Lefaudeux se réunit à un autre créancier, et une

enchère fut mise par eux en temps utile à l'immeuble affecté à leurs créances; ils en provoquèrent la revente judiciaire.

Alors seulement, et dans l'intervalle de l'offre de surenchère, à l'adjudication, les sieurs Gibault frères, petits-fils du bailleur à fieffe, prirent inscription le 17 thermidor an 10, tant pour le capital que pour les arrérages de la rente due à leur

auteur.

Le 25 nivose an 11, l'adjudication eut lieu au profit de Lefaudeux. A l'ouverture de l'état d'ordre, s'éleva la contestation de priorité entre Lefaudeux et Magne, créanciers des vendeurs Le Souef, et les frères Gibault. Les frères Gibault demandèrent à être colloqués, comme créanciers de défunt Le Souef père, fieffataire, avant tous les créanciers personnels des frères Le Souef fils et héritiers du défunt, en observant qu'il n'y avait pas lieu à la demande en séparation de patrimoines, par la raison que tous les immeubles vendus procédaient de la succession du défunt, et qu'alors il n'y avait rien à séparer.

Le Magne et Lefaudeux soutenaient au contraire que la priorité de leur inscription devait leur assurer la priorité dans

l'état d'ordre.

Jugement du tribunal de première instance de Coutances, du 6 fructidor an 11, qui annulle la prétention de Magne et Lefaudeux.

Appel de la part des sieurs Gibault à la cour d'appel de Caen.

chirographaires du défunt, de même qu'aux
créanciers hypothécaires: considérant que
l'art. 14 de la loi du 11 brumaire an 7
n'a mis d'autre condition pour ladite de -
mande, que
de se conformer à ces lois... >>

Pourvoi en cassation de la part de Magne
et Lefaudeux. Deux moyens appuyaient
1° contravention aux dis-
leur recours :
positions des lois romaines relatives à la
demande en séparation de patrimoines;
2o fausse application et violation des disposi
tions de la loi du 11 brumaire an 7.

Sur le premier moyen, les demandeurs ont prétendu que la demande en séparation de patrimoines n'ayant été formée que postérieurement à la vente des biens du défunt par l'héritier, elle avait été tardive, et conséquemment qu'elle était nulle, d'après les principes du droit ancien. Ils ont invoqué à cet effet les dispositions de la loi 2, D. de separationibus: Ab hærede venditâ hæreditate, separatio frustra desiderabitur; utique si nulla fraudis incurrat suspicio. Nam, quæ bona fide, medio tempore, per hæredem gesta sunt, tuta conserwari solent.

Sur le second moyen, ils ont dit qu'à la vérité, sous l'ancienne législation, les actes publics constituaient par eux seuls, et sans autre formalité, hypothèque générale sur tous les biens du débiteur à qui le créancier pouvait faire cet argument sans réplique aut solve aut cede; mais qu'il en est autrement depuis la loi du 11 brumaire an 7, le but de cette loi ayant été d'établir la publicité et la spécialité des Arrêt du 7 germinal an 12, qui, réfor- hypothèques. Elle a voulu qu'il n'y ait point d'hypothèque sans inscription, et que la mant, ordonne que par préférence à Magne date de l'inscription assigne le rang de et Lefaudeux, ainsi qu'à tous autres créanciers des Le Souef fils, les sieurs Gibault l'hypothèque, même privilégiée. C'est ce sont et demeurent colloqués, tant pour le qui résulte évidemment des art. 2, 3, 37, 38 et 39 de la loi de brumaire. Donc, ontcapital que pour les arrérages de la rente à eux dus, sauf néanmoins le droit de l'ac-ils dit, dans la supposition même que la quéreur de la continuer.... Motifs : « Considérant que la demande en séparation de patrimoines dont il s'agit, a été faite,

conformément aux lois anciennes, qui autorisaient cette demande après la vente des biens du défunt, faite par l'héritier, mais avant la distribution des deniers provenant du prix de la vente, et qui permettaient cette demande aux créanciers

créance des frères Gibault fût originairement une créance privilégiée, elle aurait dégénéré en simple hypothèque, par le défaut d'inscription dans le délai légal; et cette hypothèque ne peut avoir rang que du jour de l'inscription.

Inutilement, ont-ils ajouté, oppose-t-on le § 2, no 4 de l'art. 14 de la loi de brumaire cet article ne peut être entendu

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Les frères Gibault, défendeurs, ont répondu au premier moyen que la loi 2, D. de séparat., ne doit pas être entendue d'une manière littérale et judaïque ; qu'il faut saisir l'esprit du législateur tel qu'il se manifeste dans l'ensemble de la loi, dans la doctrine des auteurs qui ont écrit sur cette loi, dans la jurisprudence ancienne et moderne. Or, en s'attachant à l'esprit de cette loi, on demeurera convaincu que la demande en séparation de patrimoines peut être formée après comme avant la vente des biens du défunt, pourvu que ce soit avant la perception et distribution des deniers provenant de la vente; en un mot, que cette demande peut être formée aussi long-temps que la confusion des patrimoines n'a pas été faite de manière que la distinction et la séparation en devienne impossible.

A l'appui de ce raisonnement, les défendeurs ont invoqué la loi 1re, § 12, D. de separat.: Prætereà sciendum est, posteà quam bona hæreditaria bonis hæredis mixta sunt, non posse impetrari separationem. confusis enim bonis et unitis, separatio impetrare non poterit. Quid ergò, si prædia extent; vel mancipia, vel pecora, vel aliud quod separari potest? Hic utique poterit impetrari separatio: nec ferendus est qui causatur bona contributa, cùm prædia contribui non possint, nisi ita conjunctœ possessiones sint et per mixto propriis, ut impossibilem separationem effecerint; quod quidem per rarò contingere potest.

Il ont invoqué la doctrine de Lebrun, (Traité des successions, liv. 4, chap. 2, sect. 1, § 12.) Celle de Faber, en son Traité de erroribus pragmaticorum et interpretum juris : Si nullum factum sit inventorium, fit quidem confusio patrimoniorum; sed non impedit eas res quo minùs dictum de separationibus locum habere debeat; quin

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potius confusionem illam fieri necesse est, ut separationibus sit locus. Cette confusion, ajoute cet auteur, ne fait obstacle à la séparation que quand elle est invincible, comme si le blé et l'argent du défunt, et ceux de son héritier, out été mêlés; elle ne lui fait point obstacle quand on peut distinguer les biens, suivant la loi præ

tered.

Ils ont invoqué enfin le sentiment de Voet (in Comment. ad pandect., tit. de separat., § 4): Si tamen pretium rerum hæreditarium vel etiam universæ hæreditatis ab emptore nec dùm solutum sit, rationem non video, cur non, pretii saltem respectu, separationis petendæ facultas supersit, dum in judiciis universalibus pretium succedit in locum rei.

Les défendeurs avouaient qu'ils seraient non recevables à demander la nullité de la vente, consommée sans réclamation de leur part; mais ils ont soutenu que par la raison contraire, ils doivent être reçus à demander le prix, non encore payé; et cela avec d'autant plus de fondement, ont-ils dit, que dans l'espèce, il y a eu, à la vérité, vente du patrimoine du défunt, mais vente résoluble par la faculté donnée aux créanciers de sur

enchérir; vente résolue par la mise effective d'une surenchère; prix non payé avant la demande en séparation de patrimoines et avant l'inscription circonstances qui éloignent toute idée d'impossibilité, même de difficulté quelconque de séparation de patrimoines.

Sur le second moyen des demandeurs, les défendeurs n'ont pas contesté qu'en thèse générale, le but de la loi du 11 brumaire avait été d'établir la publicité des hypothèques; que pour arriver à ce but, le législateur avait voulu qu'il n'y eût point d'hypothèque sans inscription, et que la date de celle-ci fixat le rang de celle-là; mais ils ont ajouté que cette loi même renfermait une exception à ce principe général; que cette exception était écrite dans le dernier §, no 4 de l'art. 14, et que ce paragraphe leur était précisément applicable. Or, cette disposition n'imposant aucune condition pour l'exercice du droit de demande en séparation de patrimoines,

ne

ne faisant aucune restriction, n'exigeant aucune formalité, aucune inscription, ce serait lui donner une extension qui n'avait pas été dans la pensée du législateur, que d'entraver d'une manière quelconque l'exercice du droit qu'il accorde; sur-tout d'exiger une formalité à laquelle le législateur a évidemment voulu soustraire l'exercice de ce droit, puisque l'exception n'a été pla cée que pour dispenser de cette formalité de l'inscription, dispense sans laquelle l'exception serait non seulement sans objet et sans but, mais serait encore en contradiction avec elle-même. En effet, cette exception dirait, d'un côté, que les inscriptions et les collocations des créanciers quelconques ne portent aucun préjudice à la faculté de demander la séparation des patrimoines et aux droits résultant de cette faculté ; et, de l'autre, que ces inscriptions et collocations portent à cette faculté et à ces droits le préjudice irréparable de ne pouvoir s'exercer que subordonnément à ces inscriptions et collocations; ce qui implique.

En un mot, le dernier paragraphe de l'art. 14 ne prescrit à l'exercice de la de mande en séparation de patrimoines, d'autre condition que de se conformer aux lois anciennes relatives à cette demande. Or ces lois admettaient cette demande pour les créances chirographaires comme pour les hypothécaires; pour le mobilier du défunt comme pour ses immeubles; d'où la double conséquence que, ne pouvant y avoir d'inscription sur les meubles, et que celle sur les immeubles ne pouvant résulter d'une créance chirographaire, la loi qui a accordé aux créanciers chirographaires comme aux hypothécaires, le droit de demander la séparation des patrimoines, et de la demander même sur le mobilier du défunt, n'a pu leur imposer une condition impossible, celle d'une inscription incompatible et avec les titres de créance, et avec la nature des objets sur lesquels ces créances doivent frapper.

A l'appui de ces raisonnemens, les défendeurs ont cité Domat sur ce titre du droit romain (partie 1re, liv. 3, tit. 2, sect. 1re, no 2); ils se sont étayés de la jurisprudence ancienne, de la jurisprudence nouvelle, et sur-tout de celle de la cour de Tome XIV.

cassation, dans l'arrêt du sieur Grimaud contré la damne Duliége, cité ci-dessus sous la première question.

ARRÊT de la cour de cassation, section civile, du 8 septembre 1806, an rapport de M. Busschop, qui rejette le pourvoi... Motifs : « Considérant que l'art. 14 de la distrait des priviléges et hypothèques que loi du 11 brumaire an 7 a totalement cette loi a voulu établir et conserver, le les créanciers et légataires des personnes droit de séparation des patrimoines qu'out décédées, et qu'ainsi on ne peut pas étendre à ce droit de séparation les formalités que la même loi n'a prescrites que pour la conservation des priviléges et hypothèques; d'où il suit que l'arrêt attaqué, bien loin de s'être écarté des dispositions de ladite loi, 's'y est parfaitement conformé...... »

Cessionnaires des créances privilégiées.

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Cette disposition doit s'entendre de toutes les créances privilégiées en général, tant sur les meubles que sur les immeubles, énoncées sous le chap. 2 du tit, 18, liv. 3 du Code Civil.

Effet de la non inscription des créances privilégiées.

17. L'art. 2113 du Code porte : « Toutes créances privilégiées soumises à la formalité de l'inscription, à l'égard desquelles les conditions ci-dessus prescrites pour conserver le privilége (sect. 4, art. 2106 et suiv.) n'ont pas été accomplies, ne cessent pas néanmoins d'être hypothécaires; mais l'hypothèque ne date, à l'égard des tiers, que de l'époque des inscriptions qui auront dû être faites, ainsi qu'il sera ci-après expliqué.» (Nomb. 24.)

Le privilége résultant de la nature de la créance comporte en lui-même toute la vertu du titre qui constitue les créances simplement hypothécaires; mais, pour conserver sa qualité de privilége, il doit absolument et rigoureusement être appuyé

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d'une inscription dans les formes et dans le délai prescrit par la loi, autrement les privilége s'éteint, la créance n'est plus qu'hypothécaire, et, pour obtenir rang dans l'ordre de distribution, elle doit encore être incrite; et alors elle n'a d'effet, à l'égard des tiers, qu'à compter du jour que l'inscription a été prise.

DES HYPOTHÈQUES.

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18. CHAP. 3, art. 2114. « L'hypothèque est un droit réel sur les immeubles affectés à l'acquittement d'une obligation. Elle est de sa nature indivisible, et subsiste en entier sur tous les immeubles affectés, sur chacun et sur chaque portion de ces immeubles; elle les suit dans quelques mains qu'ils passent. » Hypotheca est tota in toto, et tota in qualibet parte.

Art. 2115. « L'hypothèque n'a lieu que

dans les cas et suivant les formes autorisées par la loi.

Art. 2116%« Elle est, ou légale, ou judiciaire, ou conventionnelle.

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Art. 2117. L'hypothèque légale est celle qui résulte de la loi. L'hypothèque judiciaire est celle qui résulte des jugemens ou actes judiciaires. L'hypothèque conventionnelle est celle qui dépend des conventions et de la forme extérieure des actes et des

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La première partie de cet article est conforme à la loi unic., § 1 C. de rei ux. act.; la seconde, à la loi 20, C. de administ. tutor.; la troisième, aux lois 28 et 46, D. de jure fisci.

Il naît de ces dispositions un nouvel ordre de chose : la loi affranchit de la publicité, par la voie de l'inscription, les hypothèques des femmes sur les biens de leurs maris pour raison de leurs dot et conventions matrimoniales, et celles des mineurs et des interdits sur les immeubles de leurs tuteurs et curateurs, à raison de leur gestion.

Cet affranchissement a été déterminé par l'impuissance où sont les femmes, les mineurs et les interdits de veiller à leurs intérêts, quoique cependant cette puissance soit moins absolue par rapport aux femmes. Ces hypothèques devant exister d'elles-mêmes, sans être counues aux moins par la voie de l'inscription, et pouvant être exercées sur tous les biens présens du débiteur, et sur ceux qui pourraient lui appartenir dans la suite, en remontant au mariage,

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