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pensée d'une mort pareille, toujours possible dans l'état actuel des choses. Comme le font, en effet, remarquer les auteurs de la pétition

la loi semble avoir abandonné aux administrations locales le soin d'adopter les mesures propres à prévenir les inhumations précipitées. » Et il faut bien l'avouer, dans la plupart des communes, nulles mesures efficaces ne sont prises. Souvent, dans les campagnes, l'individu que l'on suppose décédé, qui parfois n'a même pas reçu les soins d'un médecin, est enfermé dans le ce cueil aussitôt que l'on a pu s'en procurer un, et au bout de vingt-quatre heures l'inhumation a lieu.

Dans les villes, dans quelques grandes communes, les choses se passent, il est vrai, d'une façon plus convenable.

Le délai de 24 heures est porté par exemple à 48 heures et le permis d'inhumation n'est délivré qu'après la visite d'un médecin vérificateur de décès.

Mais ces dernières mesures elles-mêmes sont insuffisantes; elles le deviennent surtout en temps d'épidémie lorsque la peur de la contagion pousse les populations à enfouir le plus tôt possible les cadavres encore chauds pour ainsi dire.

Les pauvres sont jetés alors pêle-mêle dans des fosses communes où il doit y avoir parfois de terrifiants réveils au milieu de ces entassements de cadavres.

Mais en tout temps n'y a-t-il pas des cas de léthargie, de catalepsie, qui peuvent durer trois jours et même au delà? La mort paraît des plus apparentes; elle est constatée et il n'est pas impossible qu'après quarante-huit heures au plus le mort vivant n'assiste terrifié, mais incapable de mouvements, à l'affreux supplice de son ensevelissement.

Comme le font très-bien remarquer les péti

tionnaires, les moyens qui existent pour s'assurer que la vie a définitivement cessé sont d'une efficacité très-contestée ou d'un emploi souvent trop délicat, trop difficile pour qu'ils puissent être d'un usage général.

De l'aveu même des médecins, les seuls signes très-positifs de la mort sont, sinon la putréfaction, du moins certains caractères avant-coureurs de celle-ci. Aussi, que d'erreurs peuvent s'être commises ou par ignorance, ou par trop de précipitation !

La question qui nous occupe aujourd'hui avait déjà, à d'autres époques, attiré l'attention du gouvernement.

Ouvrons les annales de l'Académie royale de médecine: nous y trouverons la preuve que, il y a trente ans déjà, cette grave et importante question avait été l'objet des préoccupations et des études de nos hommes d'Etat et de nos praticiens les plus distingués.

Dès la première année de la fondation de l'Académie royale de médecine, par une lettre, du 30 septembre 1841, l'honorable M. Nothomb, alors ministre de l'intérieur, chargeait ce corps savant d'examiner s'il serait utile de prendre des mesures relativement à la police des inhumations. Dans l'affirmative, il lui demandait de former un projet de règlement avec un exposé des motifs, et d'examiner en conséquence le projet rédigé par la députation permanente du conseil provincial du Brabant, celui proposé par la commission médicale de cette province et celui enfin de la commission locale de Bruxelles.

Une commission fut nommée par l'Académie; un rapport fut présenté par feu M. le docteur Broeckx.

Nous lisons dans ce rapport un passage qui donne raison à l'observation que nous émettions tantôt sur l'inefficacité des médecins

vérificateurs des décès, dont on proposait alors la création. « Le médecin traitant, disait le rapporteur, n'est-il pas plus apte à reconnaître si la mort est réelle ou apparente, que celui qui n'a pas suivi la maladie, qui n'en a pas observé toutes les formes et qui ne peut le plus souvent obtenir des personnes qu'il rencontre auprès du défunt que des renseignements vagues sur les circonstances antérieures au décès ? »

La première commission du 28 mai 1842 proclamait donc l'insuffisance absolue de sécurité par la création de médecins vérificateurs.

Une nouvelle commission, dans son rapport du 3 juin 1843 présenté par M. Sauveur, tout en émettant l'avis qu'il serait bon de créer des médecins pour la vérification des décès, reconnaissait toutefois, elle aussi, cette insuffisance.

D'après cette nouvelle commission, la présence du médecin consultant était indispensable pour fournir tous les renseignements nécessaires sur les formes, le type, les caractères de la maladie qui avait emporté le malade.

Mais, ne trouvant même pas dans cette intervention une garantie complète, les deux commissions étaient d'accord pour émettre le vœu de voir établir des maisons mortuaires.

L'idée de ces maisons mortuaires appartient à la France, mais la réalisation en est due à l'Allemagne. Elles existent depuis longtemps a Berin, à Munich, à Weimar, a Franciort et dans plusieurs autres villes de l'Allemagne. Le nombre de ces maisons tend à augmenter, car l'expérience en a démontré toute l'utilité : plus d'une victime leur doit d'avoir été arrachée à une tombe anticipée. Aussi ces dépôts sont-ils regardés en Allemagne comme le seul moyen vraiment efficace pour prévenir les inhumations précipitées.

Tous les corps morts ou supposés tels y sont transportés et l'inhumation n'est permise que lorsque le médecin chargé de les surveiller a la conviction la plus complète que la mort est réelle.

En proposant d'adopter ce système en Belgique, M. Broeckx disait : « Les corps envoyés dans ces établissements étant considérés comme n'étant pas positivement morts, ils seraient tous placés sur des lits de manière qu'une des mains passerait dans un cordon qui, au moindre mouvement, ferait partir une sonnette donnant dans la chambre du gardien. »>

Ce serait là, en effet, une excellente mesure, et on pourrait employer même un système de sonnerie électrique ce qui, du reste, se fait, je crois, aujourd'hui en Allemagne.

Un avantage immense se rattacherait, du reste, à la création des maisons mortuaires. Ce serait, entre autres, comme le faisait remarquer dans son rapport le commissaire de service de santé civile, « celui d'offrir aux familles pauvies, qui n'ont le plus souvent qu'une chambre où tous leurs membres vivent pêlemêle, le moyen de soustraire à leurs regards

le corps de celui qu'elles ont eu le malheur de perdre, et qu'elles sont, aujourd'hui, obligées de garder au milieu d'elles. »

Ce serait surtout celui d'empêcher les épidémies de s'étendre avec une effrayante rapidité, et c'est la une puissante considération qui, a elle seule, militerait en faveur de la création de maisons mortuaires. Les archives de la médecine ne constatent que trop, en effet, combien de graves épidémies se sont développées sous l'influence du contact inévitable et malheureusement si fréquent, parmi les familles indigentes, entre les vivants et les cadavres. La santé publique est donc réellement intéressée à l'institution de ces depôts.

La seule objection qui ait été présentée

contre leur établissement, c'est que les frais d'installation et d'entretien seraient fort grands; mais il y a certaines mesures trop importantes pour que, en leur présence, des questions d'économie puissent être prises en considération.

L'honorable M. Vleminckx qui, dès lors, comme aujourd'hui, présidait, avec la science et le talent que nous lui connaissons, l'Académie royale de médecine, se montra partisan déclaré des maisons mortuaires.

Voici l'article dont il proposa la rédaction:

Il y aura, dans chaque commune, une ou plusieurs salles destinées à recevoir les corps des personnes décédées. »

Cet article fut adopté par le corps savant que présidait notre honorable collègue. Pourquoi nul compte ne fut-l tenu des conseils que le gouvernement avait demandés? Ceci, je l'ignore.

Je ne parlerai pas de quelques autres propositions qui furent faites en même temps: par exemple, la suppression des cercueils, comme dans quelques vil.es de la Toscane; la nonfermeture hermétique de la biere, etc. La création de maisons mortuaires rendrait, me semblet-il, ces mesures superflues.

Si j'avais à donner immédiatement mon avis, je n'hesiterais donc pas à proposer la création, dans le voisinage des cimetières, de salles où les corps seraient déposés, où des gardiens seraient chargés de les veiller et où les mesures les plus efficaces seraient prises pour éviter toute inhumation précipitée.

II y aurait cependant une mesure plus efficace encore; mais, je l'avoue, c'est à peine si j'oserai la proposer, moins, cette fois, au point de vue des morts qu'au point de vue des vivants,

car le triste, l'antihygiénique, l'horrible et peu poétique usage de laisser pourrir dans la terre les dépouilles de ceux que nous avons le plus aimés, est tellement enraciné que vouloir le combattre serait pour ainsi dire inutile. Et cependant, qu'il est regrettable que le système de l'incinération des morts n'existe plus! Sans énumérer tous les avantages qu'aurait ce système si longtemps en usage, et qui ne peut froisser certaines consciences que parce qu'on interprète trop à la lettre quelques passages des Ecritures saintes, et parce que l'ustion des morts paraît une idée païenne; sans énumérer, dis-je, tous les avantages hygiéniques et autres de ce système, il aurait au moins celui de terminer d'un coup la triste question des cimetières, qui sera cause encore de tant de divisions. Mais je n'insisterai pas; ce rapport n'a déjà été que trop long.

Votre commission, Messieurs, a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à MM. les ministres de l'intérieur et de la justice.

Tout en rendant justice au rapport de l'honorable député de Thuin, nous ne pouvons nous rallier sans réserve à ses conclusions.

Elles consistent à proposer la création de salles mortuaires.

Sans contester la grande utilité de ces établissements, que nous avons nous-même préconisés, nous croyons qu'ils ne suffisent pas pour prévenir les dangers que nous redoutons. Avant tout, il est essentiel de s'assurer de la réalité du décès, et pour cela le seul moyen efficace, c'est l'obligation de subordonner

la délivrance du permis d'inhumation par l'officier de l'état civil à une déclaration faite par un médecin ou chirurgien qui aurait vérifié le décès. Car il est facile de concevoir que si un moribond est transporté de son lit dans une maison mortuaire, souvent éloignée, le transport, avec quelque soin qu'il s'opère, pourra suffire à éteindre la dernière étincelle de vie qui subsiste en lui. L'essentiel est donc de faire vérifier d'abord par un homme de l'art si la mort est réelle et de suivre, à cet effet, les indications données par notre Académie de médecine dans le projet de règlement qu'elle a élaboré dès 1843 et que nous avons publié dans l'article déjà cité (1). Nous ne contestons pas d'ailleurs l'utilité de la salle des morts, tant comme moyen supplémentaire destiné à parer aux .. erreurs possibles même de la part de médecins que comme dépôt provisoire de cadavres, surtout en temps d'épidémie.

Outre l'établissement de dépôts mortuaires comme mesure d'exécution immédiate, M. Hagemans propose ou plutôt suggère avec une certaine circonspection de sub

(1) C'est ainsi que, entre autres législations étrangères, la loi hollandaise du 10 avril 1869 subordonne la délivrance du permis d'inhumation soit à une déclaration du médecin traitant constatant le décès, soit à la vérification du corps faite par un médecin assermenté.

stituer le brûlement des corps à leur inhumation.

L'honorable rapporteur pense que l'idée religieuse formerait un grand obstacle à la restauration de cette coutume renouvelée de l'antiquité païenne. C'est évident. Mais, à part la difficulté de concilier la crémation avec les pratiques des religions existantes, la combustion des morts constituerait, à notre avis, un véritable danger social, en ce qu'il entraverait l'exercice de la justice répressive et serait même un encouragement au crime. Ce ne fut souvent que par l'exhumation et la dissection des cadavres que science put mettre la justice sur la trace d'homicides et surtout d'em-' poisonnements. Que de forfaits seraient restés cachés et impunis si les corps des victimes avaient pu être réduits en cendres! Et que de mains scélérates ont été arrêtées, sans doute, par la crainte de voir, tôt ou tard, le cadavre de l'homicidé se dresser comme un témoin irrécusable du meurtre!

la

Au point de vue des intérêts les plus essentiels de la société, nous devons donc absolument condamner l'incinération des morts.

Conformément aux conclusions de la commission des pétitions, la requête des habitants de Molenbeek a été renvoyée à MM. les mi

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