Page images
PDF
EPUB

de la morale chrétienne, dont les membres principaux étaient le duc de Broglie, M. Guizot et Benjamin Constant, mettait au concours, en 1830, un Mémoire en faveur de la liberté d'enseignement. A la mème époque, dans le National, M. Thiers attaquait violemment le corps universitaire auquel il reprochait d'être « monopoleur et inique ». Aussi, au milieu de la révolution, le 31 juillet 1830, La Fayette, dans sa proclamation aux habitants de Paris, mettait-il la liberté d'enseignement au nombre des conquêtes populaires. C'est donc évidemment de ce côté que venait la main inconnue qui a fait insérer, dans l'article 69 de la Charte, la promesse de cette liberté. Quoi qu'il en soit de cette origine mystérieuse, où, derrière le hasard apparent, il est permis d'apercevoir la réalité providentielle, une fois la promesse faite, les catholiques furent les premiers à s'en emparer et à en demander l'exécution. Ce fut l'une des revendications de l'Avenir manifestes, polémiques, pétitions, débats judiciaires, tout fut employé par Lamennais et ses disciples, pour provoquer quelque agitation autour de cette question. On sait à quel procédé, singulièrement nouveau dans nos mœurs françaises, eut alors recours Lacordaire, assisté de MM. de Montalembert et de Coux. Quel lecteur du Correspondant ne connaît cet épisode du « procès de l'École libre », qui de loin nous apparaît comme une charmante et vive légende, marquant l'àge héroïque de nos luttes pour la liberté religieuse? Ce prêtre et ce gentilhomme annonçant qu'ils ouvrent, malgré la loi et en vertu de la Charte, une classe pour les enfants pauvres 2; le futur orateur de Notre-Dame transformé en maître d'école; la leçon interrompue par le commissaire de police; une scène de résistance légale, aboutissant au procès souhaité; M. de Montalembert appelé à la pairie par la mort de son père, et la Chambre haute devenue compétente pour juger le jeune pair et ses complices; les prévenus se défendant eux-mêmes avec une éloquence précoce, saisissant cette occasion de confesser leur foi religieuse et libérale avec une audace pleine de charme et de générosité; et, pour dénouement de ce petit drame, une condamnation bénigne à 100 francs d'amende! Toutefois, il ne semble pas que cet épisode ait produit alors sur le public toute l'émotion qu'il éveille aujourd'hui chez ceux qui en lisent le récit. L'originalité de la démarche frappait peu une curiosité qui était alors blasée par tant d'excentricités nées de l'agitation révolutionnaire. Les hommes d'État et les pouvoirs publics étaient trop préoccupés de la terrible bataille qu'ils livraient sous les ordres de Casimir Périer,

National du 6 mai 1830.

En avril 1831.

pour discerner ce qu'il y avait, au fond, de sérieux dans ce qui semblait une fantaisie de jeunes gens. Du côté des catholiques, la question, un moment soulevée, disparut en quelque sorte au milieu des ruines de l'Avenir, et plusieurs années devaient s'écouler avant qu'on osât reprendre une thèse en quelque sorte compromise par cette origine. Ce fut donc comme un coup de feu isolé, à peine entendu dans le tapage général; tout au plus quelques têtes s'étaient-elles retournées un instant; mais on n'avait pas réussi à engager la bataille.

Rien n'indiquait, d'ailleurs, qu'une bataille serait nécessaire et que le gouvernement ne s'exécuterait pas de lui-même. Lors du « procès de l'École libre », le procureur général, M. Persil, avait dit, dans son réquisitoire « Quand nous invoquons le monopole universitaire, nous nous appuyons d'une législation expirante, dont nous hâtons de tous nos vœux la prompte abrogation. » Aussi, à peine fut-on sorti des embarras et des luttes du début, que M. Guizot, devenu, à la fin de 1832, ministre de l'instruction publique, se donna pour tâche de réaliser les promesses de la Charte. Il commença par l'instruction primaire, qu'organisa la fameuse loi du 28 juin 1833. La place qui y était accordée à la religion n'était pas suffisante: le ministre avait fait, à regret, ce sacrifice aux préjugés régnants. Mais du moins la liberté promise était, pour le premier degré de l'enseignement, loyalement établie, le monopole supprimé, la concurrence ouverte à tous. Aussi, dans les luttes qui vont remplir la fin de la monarchie de Juillet, ne sera-t-il jamais question de l'instruction primaire. On ne s'en occupera de nouveau qu'après 1848, quand, à la vue des instituteurs devenus en grand nombre des précepteurs de socialisme et de démagogie, les anciens voltairiens de 1830 comprendront, avec effroi, combien il avait été imprudent de marchander à la religion sa part d'influence dans les écoles du peuple 1.

Pour l'instruction secondaire, le problème était plus délicat et plus irritant. D'après la législation existante, l'Université avait seule le droit d'enseigner et de faire passer les examens. Les institutions privées ne pouvaient exister à côté d'elle qu'avec son agrément, sous son autorité, et dans les conditions qu'il lui plaisait d'imposer. Seuls, les petits séminaires lui échappaient, placés, depuis 1814. sous la dépendance des évêques, au même titre que les grands séminaires. Encore n'était-ce qu'une sorte de faveur précaire, accordée par ordonnance, et pouvant être retirée ou limitée de même. Tout y était combiné d'ailleurs pour empêcher ces établissements de faire concurrence aux collèges; le nombre des élèves était limité; ceux-ci étaient obli

1 Pour saisir, sur le vif, l'expression de cet effroi et, pour ainsi dire, de ce remords, il convient de se reporter à ce que M. Thiers a dit, à ce sujet, dans la commission d'enseignement de 1849.

gés de porter le costume ecclésiastique, et ne pouvaient se présenter au baccalauréat qu'en justifiant avoir fait leur rhétorique et leur philosophie dans un établissement de l'État: dernière condition, chaque jour plus gênante, en présence du nombre croissant des carrières. à l'entrée desquelles on exigeait le diplôme de bachelier. Cette législation n'était-elle pas à refaire en entier? « Une seule solution était bonne, a dit plus tard M. Guizot: renoncer complètement au principe de la souveraineté de l'État en matière d'instruction publique,. et adopter franchement, avec toutes ses conséquences, celui de la libre concurrence entre l'État et ses rivaux, laïques ou ecclésiastiques, particuliers ou corporations. C'était la conduite à la fois la plus simple, la plus habile et la plus efficace... Il valait beaucoup mieux, pour l'Université, accepter hardiment la lutte contre des rivaux libres, que de défendre, avec embarras, la domination et le privilège contre des ennemis acharnés . » Mais qui eût voulu suivre alors cette grande politique se fùt heurté à beaucoup de prétentions et de préventions, aux situations acquises des membres de l'Université, comme aux méfiances encore toutes vives soulevées, dans le public, contre le clergé et surtout contre les Jésuites. Aussi M. Guizot, dans le projet déposé en 1836, n'osait-il pas présenter la réforme complète et définitive qu'il eût désirée. Néanmoins il posait nettement le principe de la liberté, permettait la concurrence à tous les rivaux possibles de l'Université, prêtres ou laïques, sans exclure personne, sans imposer à qui que ce soit de conditions particulières: projet, après tout, plus large que ceux qui devaient être ultérieurement proposés en 1841, 1844 ou 1847. La commission de la Chambre était entrée dans le même esprit, et son rapporteur, M. Saint-Marc Girardin, quoique universitaire, se montrait animé du libéralisme le plus loyal, le plus respectueux des choses religieuses, le plus intelligemment soucieux d'établir l'accord entre l'Église et l'État. Bien loin d'accepter de mauvaise grâce le principe de la liberté d'enseignement, il disait dans son rapport:

J'ose dire qu'avant la Charte elle-même l'expérience et l'intérêt même des études avaient réclamé la liberté de l'enseignement il y a plus, ils l'avaient obtenue, et là, comme ailleurs, il est vrai de dire que c'est la liberté qui est ancienne et l'arbitraire qui est nouveau. Je ne veux point prouver le principe de la liberté d'enseignement, puisqu'il est reconnu par la Charte. Je veux seulement montrer que cette liberté nécessaire aux progrès des études a toujours existé sous une forme ou sous une autre. Les études ont besoin d'émulation... Autrefois la concurrence était entre l'Université de Paris et les diverses congrégations

Guizot, Mémoires, t. III, pp. 102, 103.

!

qui s'étaient consacrées à l'instruction de la jeunesse : émanées de principes différents, animées d'un esprit différent, l'Université de Paris et les congrégations luttaient l'une contre l'autre, et cette lutte tournait au profit des études. Aussi, quand, en 1763, les Jésuites furent dispersés, un homme qu'on n'accusera pas de préjugés de dévotion, Voltaire, avec son bon sens et sa sagacité ordinaires, regrettait l'utile concurrence qu'ils faisaient à l'Université. «Ils élevaient, dit-il, la jeunesse en concurrence avec les universités, et l'émulation est une belle chose. »

Plus loin, M. Saint-Marc Girardin abordait de front la prévention régnante, la peur des Jésuites:

Ce que beaucoup de bons esprits craignent de la liberté de l'enseignement, c'est bien moins l'influence qu'elle pourra donner aux partis politiques, que l'influence qu'elle va, dit-on, donner au clergé. Les prêtres, les Jésuites vont, grâce à cette loi, s'emparer de l'éducation. Dans la loi sur l'instruction secondaire, nous n'avons voulu créer ni privilège ni incapacité. Le monopole de l'enseignement accordé aux prêtres serait, de notre temps, un funeste anachronisme; l'exclusion ne serait pas moins funeste. La loi n'est faite ni pour les prètres ni contre les prêtres : elle est faite, en vertu de la Charte, pour tous ceux qui voudront remplir les conditions qu'elle établit. Personne n'est dispensé de remplir ces conditions, et personne ne peut, s'il a rempli ces conditions, être exclu de cette profession. Dans le prêtre, nous ne voyons que le citoyen, et nous lui accordons les droits que la loi donne aux citoyens. Rien de plus, mais rien de moins. Nous entendons parler des congrégations abolies par l'État, et qui, si nous n'y prenons garde, vont envahir les écoles. Nous n'avons point affaire, dans notre loi, à des congrégations; nous avons affaire à des individus. Ce ne sont point des congrégations que nous recevons bachelier ès lettres et que nous brevetons de capacité: ce sont des individus. Nous ne savons pas, nous ne pouvons pas savoir si ces individus font partie de congrégations; car à quel signe les reconnaître? comment s'en assurer?... Pour interdire aux membres des congrégations religieuses la profession de maître et d'instituteur secondaire, songez que de précautions il faudrait prendre, de formalités inventer; quel code tracassier et inquisitorial il faudrait faire; et ce code, avec tout l'appareil de ses recherches et de ses poursuites, songez surtout qu'il suffirait d'un mensonge pour l'éluder.

Il est curieux de voir comment, à cette époque, les principes de liberté, de justice, de bon sens et de saine politique étaient ainsi proclamés par un universitaire éminent, rédacteur du Journal des Débats, et ami peu suspect de la monarchie de 1830. S'ils avaient

alors triomphé, tout conflit eût été prévenu; et même encore aujourd'hui, ce langage ne semble-t-il pas renfermer la doctrine sur laquelle devraient s'accorder tous les esprits justes et libres !?

Le gouvernement ne pouvait reprocher alors aux catholiques de se montrer trop exigeants, de ne pas lui tenir compte des difficultés qu'il rencontrait, et de ne pas répondre, par une bonne volonté égale, à celle qu'il leur témoignait. « Le clergé, a dit plus tard l'abbé Dupanloup, se tut profondément: je me trompe, il ressentit, il exprima une juste reconnaissance, et c'est à dater de cette époque qu'il se fit, entre l'Église de France et le gouvernement, un rapprochement depuis longtemps désiré et qui fut solennellement proclamé 2. » Sans doute, dans la discussion qui s'ouvrit à la Chambre, en 1837, l'Université fut vivement attaquée; on lui reprocha d'ètre un instrument de despotisme, de donner une mauvaise éducation morale; on se plaignit que le projet eût accordé à la liberté une part trop étroite mais ces critiques n'étaient pas faites par des catholiques; elles venaient des hommes de gauche, qui n'avaient pas encore oublié que la liberté d'enseignement avait été un des articles de leur programme et qu'ils l'avaient eux-mêmes introduite dans la Charte 3.

Pouvait-on donc espérer que la question allait être résolue du premier coup, sans conflit entre l'État et l'Église, comme elle l'avait

pour l'instruction primaire? C'eût été ne pas compter avec les préjugés de cette masse d'esprits courts et médiocres qui en étaient restés aux vieux ressentiments d'avant 1830. Un député, M. Vatout, proposa un amendement par lequel tout chef d'établissement était tenu, non seulement de prêter le serment politique, mais encore de jurer qu'il n'appartenait à aucune association ou corporation non autorisée. L'amendement fut repoussé au nom de la commission par M. Dubois, l'ancien rédacteur du Globe; le ministre eut le tort de ne

C'est au cours de la discussion que M. Saint-Marc Girardin eut occasion de prononcer, sur l'importance sociale de la religion, sur le désir et l'espérance qu'il avait de la voir reprendre possession des âmes, sur la nécessité de mettre fin au divorce qui séparait l'Église et l'État et de pratiquer envers le clergé une politique de justice, de bienveillance et de respect, les paroles que nous avons déjà citées (Correspondant du 25 mai, p. 615 et du 10 juin, p. 788). M. Guizot fit aussi, dans ce débat, des déclarations analogues.

2

De la Pacification religieuse.-M. de Montalembert, lui aussi, a rappelé, après coup, dans un de ses discours, le bon accueil fait au projet de M. Guizot. Il disait le 12 juin 1845 : « Vous avez présenté, en 1836, une loi pleine de tolérance, pleine de générosité, contre laquelle pas une voix ne s'est élevée au sein du clergé... Il fallait continuer dans cette voie, et tout aurait été

sauvé.

3 Voir notamment les discours de MM. Arago, Salverte, de Tracy, de Sade, Charles Dupin, de Lamartine.

« PreviousContinue »