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fut bientôt reconnue nécessaire, et ce fut en 1407 que cette grande opération financière fut effectuée. Une commission de huit citoyens fut solennellement chargée d'examiner les anciens contrats de la république et la situation réciproque des créanciers et de l'État. Après un an d'investigations, ils déclarèrent, suivant Dieu et leur conscience, que l'État ayait le droit de racheter sa dette, ét de s'en faire transférer l'inscription immédiatement et d'office, sans attendre la signature du titulaire. La menace péremptoire du remboursement conduisit les créanciers à consentir à la conversion de leurs anciens titres. 29,384 actions converties, dont l'intérêt, inférieur à celui des actions primitives, montait alors à 7 pour cent, formèrent le capital de fondation de la banque de Saint-Georges. Devenue seul créancier national, elle se chargea alors de toutes les perceptions sur les produits affectés jadis aux associations diverses qu'elle centralisait dans son sein, et distribua aux porteurs d'actions, à titre de dividende, le produit de ces recettes annuelles. Soumise à la souveraineté légale de l'assemblée des actionnaires, gouvernée par un conseil de huit protecteurs, elle fut une espèce de république financière représentative. Dépôt inviolable et placé sous la sauvegarde de la bonne foi publique et de l'intérêt commun, ses actions furent consacrées en grand nombre à des fondations perpétuelles; la piété s'en servit pour assurer le maintien de charitables établissements; les corporations, pour perpétuer les fonds de l'association; de généreux citoyens, pour continuer à la chose publique au delà de leur vie les bienfaits de leur munificence; les riches, pour établir des majorats dans leurs familles. Elle entretenait ainsi la force vive et atténuait les inconvénients de son aristocratie mobilière, en même temps qu'elle prêtait son terrain solide aux pensées de l'avenir. Ces fondations furent appelées Multiplicats ou Colonnes de Saint-Georges. Au seizième siècle, un Grimaldi établit un multiplicat que ses accroissements successifs jusqu'à nos jours avaient porté à trente-sept mille actions correspondant à 5,700,000 livres de la valeur primitive de la monnaie de 1407; il en donnait le revenu pour racheter ses descendants à perpétuité de toute imposition publique, et, quoiqu'il pourvût ainsi à l'avantage de sa famille, on regarda ce legs comme une si grande libéralité pour le trésor public, qu'on lui dressa une statue parmi celles des bienfaiteurs de la ville et des pauvres qui ornaient le palais de SaintGeorges. Dans son testament, Christophe Colomb léguait à Saint-Georges le dixième des revenus que la couronne d'Espagne avait affectés au Génois qui lui avait donné le Nouveau-Monde. De cette donation Saint-Georges ne reçut que l'acte, conservé aujourd'hui dans les archives de la ville avec un soin religieux.

Les mêmes familles qui gouvernaient Saint-Georges étaient à la tête de la république. Le crédit de la banque se fortifiait ainsi de l'autorité de l'Etat. Tous les intérêts s'accordaient pour garder intact le dépôt des fortunes privées et le gage de la prospérité publique. Mais la prudence des fondateurs alla au-devant des tentations. Un fonds secret de réserve fut créé sur les bénéfices, qui étaient considérables; et un magistrat, investi de la mission officielle de veiller aux rentrées arriérées, était en réalité chargé d'administrer ce trésor de réserves accumulées. Des créances en suspens, des liquidations à long terme, étaient le voile derrière lequel on dérobait aux mains hardies de l'arbitraire ou de la sédition une partie des richesses de la banque. L'intérêt national se confondait souvent avec l'intérêt privé, et souvent aussi l'assemblée des actionnaires vota le prêt de sommes énormes consacrées à des entreprises d'utilité générale don

le besoin se faisait unanimement sentir. Saint-Georges était un supplément de la puissance publique. Il arriva même qu'elle en reçut la délégation, alors qu'elle accepta la souveraineté onéreuse de possessions dont la république à son déclin ne pouvait plus soutenir le fardeau. Cette puissante association de capitalistes, dont la royauté commerciale devait être surpassée, dans les temps modernes, par celle de la compagnie des Indes, devint ainsi maîtresse des colonies de la Corse et de la mer Noire, débris imposants de la grandeur de la patrie. Il y eut alors, selon le témoignage des auteurs contemporains', deux républiques renfermées dans les mêmes murailles, l'une, appauvrie, turbulente, déchirée par les discordes intestines; l'autre, riche. paisible, stable, héritière des saines traditions et donnant le spectacle d'une autorité respectée et d'une inviolable probité.

Considérée uniquement comme banque, la Maison de Saint-Georges était une institution de dépôt et non de crédit. Née dans un temps où toutes les ressources du crédit étaient encore ignorées, et où l'incertitude de l'état politique et la difficulté des relations rendaient précieuse l'inviolabilité d'un capital déposé en lieu sûr, elle ne connaissait ni l'escompte des lettres de change, ni les billets de confiance, ni les moyens artificiels d'augmenter la somme du numéraire en activant la circulation. Le fonds qui composait son capital restait inscrit au compte des déposants, auxquels elle délivrait des récépissés, quand ils voulaient en faire usage. Ces billets circulaient comme du numéraire, parce que chaque possesseur était sûr de trouver à son gré la somme qu'ils représentaient dans les caisses de la banque. Le plus souvent on se contentait d'un simple transfert sur les livres, dont les teneurs étaient des notaires publics. La préférence donnée à la monnaie de banque pourvue de sa pleine valeur originaire sur les espèces courantes dégradées ou altérées mettait le change en faveur des inscriptions à la banque. 100 livres de banque s'échangeaient d'ordinaire contre 125 livres de monnaie courante (fuori banco). Cette facilité de compensations des dettes par les créances, en assurant la sécurité des opérations, multipliait les services que peuvent rendre les capitaux. Quoique ne procurant la disposition d'aucun capital nouveau, puisque les valeurs qu'elles mettaient en circulation n'étaient que l'équivalent des sommes inactives déposées dans leurs coffres, les banques de dépôt rendirent alors de grands services et attestent d'excellentes combinaisons économiques; mais elles ont été suppléées, dans le régime du crédit moderne, en ce qu'elles avaient d'essentiel, par le système des virements de parties, et ont totalement disparu devant les avantages bien supérieurs attachés aux banques de circulation.

Le crédit de la banque de Saint-Georges ne survécut guère à la décadence de l'État. La république riche sentit rudement le contrecoup des calamités qui affligèrent la république pauvre. Saint-Georges, ne pouvant davantage supporter les frais de la Corse et des colonies du Levant, fut obligée de les rétrocéder à Gênes. Le cavalier armé qui était le symbole de la banque vit s'en aller pièce à pièce les débris de son armure antique et révérée. La ligne de démarcation, toujours si sévèrement maintenue entre les coffres pleins de la banque et les caisses vides du trésor public, fut plus d'une fois franchie, et l'intérêt des actionnaires sacrifié aux besoins impérieux du gouvernement, qui avait eu l'im

Tome II, page 157.

prudence d'aliéner ses revenus. Au milieu du siècle dernier, son dépôt fut violé par les Autrichiens; les billets perdirent alors jusqu'à 30 pour cent de leur valeur, et, à la fin, la banque fut obligée de suspendre ses payements. Elle ne se releva jamais complétement de ce coup fatal, et cette vaste organisation administrative et financière s'écroula au milieu des troubles qui suivirent la révolution française. L'État rentra alors en possession des revenus aliénés depuis plusieurs siècles, et se constitua créancier des actionnaires. Mais la liquidation s'opéra de telle façon, qu'elle équivalut à une véritable banqueroute, et cette institution célèbre n'appartient plus maintenant qu'au passé.

Devenue aujourd'hui le chef-lieu d'une province du royaume de Sardaigne, peuplée de près de cent mille habitants, l'une des places de l'Europe le plus abondamment fournies de capitaux, Gênes, dont Montesquieu disait, dans le siècle dernier, qu'elle n'était plus Superbe que par ses bâtiments, a recouvré une vie et une activité nouvelles. Son port franc sert surtout d'entrepôt aux produits des Échelles du Levant et aux blés de la Méditerranée et de la mer Noire. Mais elle trouve une concurrence redoutable dans Marseille, qui, au temps de sa grandeur, s'inclinait humblement devant elle, et dans Trieste, qui alors n'était pas encore sortie du fond de l'Adriatique. Le jour qui enleva à Gênes le monopole du commerce de l'Inde lui ravit une grandeur qui ne doit plus renaître, et dont il ne reste plus de traces que dans la magnificence de ses palais et dans les souvenirs de son histoire.

MAURICE MONJEAN.

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LE DROIT COMMERCIAL

DANS SES RAPPORTS AVEC LE DROIT DES GENS ET LE DROIT CIVIL,

PAR M. G. MASSE,

Avocat à la Cour royale de Paris1.

Le développement des arts, de l'industrie, de la civilisation des peuples, appelle des modifications successives dans les lois qui les régissent. Avant même que le droit écrit se mette d'accord avec les besoins nouveaux, l'application qui en est faite par les tribunaux se modifie graduellement, pour se mieux adapter aux nécessités de l'époque. D'un autre côté, des habitudes ou des découvertes nouvelles font naître des législations spéciales, pour lesquelles on chercherait vainement des analogies dans le droit ancien. Ce n'est point au droit romain qu'il faut recourir pour les règlements spéciaux à faire sur les machines à vapeur et les chemins de fer. Aussi, sans renoncer aux études des traditions et des origines du droit, les jurisconsultes sont maintenant forcément conduits à étendre leurs recherches, et ils ne peuvent, sous peine de rester en arrière de leur siècle, se dispenser de porter en même temps leur attention sur toutes les

1 Tomes I et II, en vente chez Guillaumin, libraire; prix, 15 fr. L'ouvrage entier se composera de six volumes; les tomes III et IV sont sous presse.

branches des sciences morales et politiques. Une chaire d'économie politique avait été instituée à l'Ecole de droit sous la Restauration; on a peine à comprendre qu'elle soit restée jusqu'à ce jour sans titulaire, car il n'est point d'enseignement qui soit plus propre à éclairer les esprits et à les guider vers une saine intelligence de la loi. Le droit, ou l'ensemble des lois, ne peuvent avoir d'autre but que de procurer à tous le libre usage des facultés au moyen desquelles chacun pourvoit à son existence, à son développement physique et moral, et concourt ainsi au progrès de la société dont il fait partie et de l'humanité en général; on ne peut évidemment avoir des idées complètes sur le droit, sans avoir fait porter en même temps ses études sur les lois générales d'après lesquelles les sociétés se forment et se développent. La philosophie du droit trouvera désormais son point d'appui le plus sûr dans les enseignements de l'économie politique.

Cet aspect nouveau sous lequel toutes les législations peuvent être examinées ouvre une vaste carrière aux esprits solides de notre temps. Notre savant collaborateur M. Rossi a tracé la route, et de nombreux adeptes ne manqueront pas de la parcourir. Les considérations par lesquelles il a terminé celle des leçons de son cours d'économie politique qui traitait des lois sur les successions, et les observations sur le Droit civil français considéré dans ses rapports avec l'état économique de la société, insérées dans le recueil des Mémoires de l'Académie des sciences morales et politiques, peuvent servir à cet égard de précédent et de modèle '.

L'ouvrage de M. G. Massé, dont les deux premiers volumes viennent de paraître et que nous annonçons aujourd'hui, appartient au même ordre d'idées. L'auteur, en examinant l'action des lois civiles sur le commerce et l'industrie, ce qui le conduit nécessairement à faire ressortir les cas où intervient le droit exceptionnel, et en recherchant pour les rapports internationaux les principes du droit des gens, en ce qui touche au commerce, se trouvera avoir tracé, par cela même, un tableau complet et philosophique du droit commercial. Les applications des principes qui sont exposés dans cet ouvrage sont d'autant plus nombreuses que le mot commercial embrasse, dans le langage du droit, nonseulement ce qui a rapport au commerce proprement dit, mais encore tout ce qui se rattache à l'industrie manufacturière, et, dans certains cas même, à l'industrie agricole. C'est dans l'achat fait en vue d'un bénéfice et dans la revente que se trouve l'acte commercial. « Le manufacturier, comme le commerçant proprement dit, achète pour les revendre les produits avec lesquels s'exerce son industrie; cet achat et cette revente exigent l'emploi des mêmes moyens commerciaux, l'exécution des mêmes actes, et ils sont faits, dans l'industrie manufacturière comme dans l'industrie commerciale, en vue d'un bénéfice à réaliser.» Dans quelques cas aussi l'agriculteur lui-même peut faire des actes de commerce. Enfin, l'accroissement des valeurs mobiliaires de toute nature, la formation des capitaux et la nécessité de les utiliser, font que chacun est plus ou moins conduit à s'occuper de transactions qui touchent au commerce et à l'industrie, et le droit civil enfin est obligé de faire à son tour de fréquents emprunts au droit commercial.

M. Massé, après avoir indiqué les idées générales qui l'ont guidé dans son tra

1 Cours d'économie politique, tome II, page 163, Mémoires de l'Academie des sciences morales et politiques, nouvelle série, tome II.

vail, traite d'abord du droit et des lois dans leurs rapports avec les relations internationales et la liberté du commerce; il s'occupe du commerce en luimême, et passe ensuite à ce qui concerne les personnes qui font le commerce, c'est-à-dire qu'il expose le droit individuel, en ce qui touche les étrangers et les nationaux. Partisan déclaré de la liberté du commerce, il n'accepte le régime fiscal ou protecteur des douanes et le système colonial restrictif que comme les conséquences du droit qui appartient à chaque nation de faire chez elle des lois bonnes ou mauvaises, pour ce qui la concerne. C'est ainsi également qu'après avoir signalé l'adoucissement des mœurs comme résultat naturel de relations commerciales plus actives, et avoir montré que la paix, qui n'a été pendant longtemps qu'un régime momentané et exceptionnel des peuples les uns vis-à-vis des autres, tend à devenir de plus en plus leur état habituel et normal, il n'en examine pas moins les conséquences de la guerre sur le commerce, soit entre les nationaux des parties belligérantes, soit avec les neutres. Il réprouve les attaques contre les intérêts privés, et par conséquent la course maritime et les corsaires; mais comme il n'est pas moins vrai que l'état de choses a existé et peut exister encore, qu'il y a là un fait qui peut même engendrer un droit, il examine ce qui résulte du droit des gens et des lois françaises sur la matière.

Nous ne suivrons pas l'auteur dans ce qu'il dit sur les prises, sur les recousses, qui sont l'enlèvement des mains de l'ennemi des captures qu'il avait faites; non plus que sur le droit de rançon à exercer sur les navires capturés. Nous voulons éloigner de tristes idées; nous nous plaisons à penser que les peuples, comprenant de plus en plus leurs véritables intérêts, refuseront désormais de se faire la guerre ; et que dans le cas où une guerre deviendrait cependant inévitable, on saurait la conduire promptement à fin; d'ailleurs, les nombreuses relations qu'une paix générale prolongée aurait établies, modifieront peut-être à beaucoup d'égards l'ancien droit des gens. Enfin la guerre maritime elle-même serait différente, sans doute, de ce qu'elle était autrefois. Les applications nouvelles de la vapeur n'auront pas moins d'importance à cet égard qu'en a eu anparavant l'invention de la poudre à canon.

Le premier volume se termine par l'analyse des attributions administratives et judiciaires des consuls; la lecture de ce chapitre fait comprendre l'importance qu'il y aurait à ce que le choix du gouvernement, pour ces postes importants, portât toujours sur des personnes comprenant bien les intérêts commerciaux et ayant d'ailleurs une connaissance approfondie de plusieurs parties du droit des gens, du droit civil et du droit commercial. Malheureusement les consuls relèvent du ministre des relations extérieures, et les choix sont faits dans des vues diplomatiques plutôt qu'en prévision du développement des relations commerciales. C'est ce qui a déterminé dans ces derniers temps une société industrielle, formée à Paris de différents chefs de fabriques, à engager le ministre du commerce à se pourvoir auprès de la Chambre des députés à l'effet d'obtenir un crédit spécial, qui lui permette de faire explorer les pays lointains par des agents intelligents, qui étudieraient particulièrement les moyens d'étendre au dehors nos relations commerciales, en procurant de nouveaux débouchés aux produits de nos manufactures.

M. Massé, passant au commerce intérieur, se prononce également en faveur du principe de la liberté, et passe en revue les lois restrictives dont les unes sont relatives aux choses, les autres relatives aux personnes. « A côté des

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