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religieux, qui n'est profès que depuis un mois, lequel est petit-fils de ma nourrice. Cet enfant, qui était fils unique, avec une vingtaine de mille livres de bien, est un enfant de bénédiction. On lui permit de me parler; il vint passer une demi-heure avec moi et ne me parla que de son bonheur. Il me dit qu'il était ́ encore à chercher l'austérité de cette maison, dont il avait tant entendu parler, ajoutant qu'il n'y avait rien trouvé de rude. Il ne me demanda jamais. des nouvelles de sa famille, se contentant de ce que je lui en dis moi-même... Je fus au noviciat, qui est composé de dix ou douze : je puis vous assurer que pas un ne me regarda. Ils faisaient leur lecture et étaient assis rien ne les détourne. On ne peut rien voir de si édifiant qu'une maison de cent vingt religieux en tout, où vous n'entendez pas plus de bruit dans le cours de la journée qu'à minuit. Il faut les voir surtout au chœur, ce sont des anges. Il n'y avait qu'un seul malade à l'infirmerie, encore était-il convalescent. On y voit des vieillards de quatre-vingts ans. Il est étonnant qu'une vie si dure et si contrainte laisse vivre si long-temps. Dom prieur, qui m'avait reçu l'an 1715, que j'y fus à pied avec mon bâton, vint se jeter à mes pieds et puis m'embrassa, en me disant : « Monseigneur, je me réjouis de vous voir repasser avec la houlette, après vous avoir vu venir avec un bâton blanc... Le père abbé est un homme fort aimable et plein d'esprit, âgé de soixante-quatre ans, qui m'a promis de bien me dire mes vérités si je m'écartais des voies de la piété... L'on voit dans cette sainte maison des gens de tout état, de toute province, de tout âge. Ils passent toute l'année du noviciat, et souvent même toute leur vie, sans se connaître autrement que de vue 1. >>

A peine l'évêque d'Amiens fut-il arrivé dans son diocèse, qu'il y commença ses travaux apostoliques. Son goût décidé pour la simplicité lui épargna tous les embarras du faste. Le soin de son ameublement fut le moindre de ceux qui l'occupèrent. Quelques instants suffirent à l'arrangement de son palais, et la première année de son épiscopat, semblable à toutes celles de sa vie, fut pleine de bonnes œuvres de tous les genres et pourrait servir de règle aux prélats les plus zélés pour leurs devoirs. Il fit, pendant cette année, quatre ordinations : il examina les sujets par lui-même, et, pendant les retraites qui précédèrent ces ordinations, il fit plusieurs entretiens. Il officia pontificalement dans sa cathédrale, et il y prêcha aux fêtes solennelles. Il prêcha dans d'autres églises un nombre de sermons et de panégyriques. Il présida à deux retraites, qu'il éta

' Proyart, 1. 3.

blit en faveur des vicaires. Il donna, dans sa ville épiscopale, une mission qui dura six semaines. Il assista à une assemblée qui se tint à Reims. Il parcourut toutes les villes de son immense diocèse: il officia pontificalement dans toutes et il y prêcha. Il reçut des professions et donna l'habit religieux dans plusieurs communautés. Il fit la visite pastorale dans huit ou dix, ainsi que dans toutes les paroisses d'Amiens. Il commença la visite générale de son diocèse et visita cette année environ quatre-vingts paroisses, où il prêcha et donna la confirmation. Ce premier début fut sa règle invariable, et, pendant plus de quarante ans qu'il occupa le siége d'Amiens, il trouva dans l'amour de l'ordre et du travail, et surtout dans la plus exacte résidence, le moyen de suivre, dans le plus grand détail, l'administration d'un diocèse dont l'étendue eût demandé les soins et tout le zèle de deux évêques. Il trouvait fort singulier d'entendre quelquefois dire naïvement qu'un évêque avait été exilé dans son diocèse. « C'est à la cour ou dans la capitale, disait-il, que nous sommes exilés; mais c'est une plaisanterie méchante que de dire, d'un père, qu'on l'a exilé au milieu de sa famille et de ses enfants. > Le premier objet de la sollicitude pastorale du nouvel évêque, et le plus solide fondement du bien qu'il opéra dans la suite de son pontificat, ce fut l'attention toute particulière qu'il donna à l'éducation de la jeunesse. Toutes les maisons d'instruction, depuis son séminaire jusqu'à la dernière école de campagne, avaient des droits privilégiés à sa protection. Le séminaire d'Amiens fut rebâti sous son pontificat et distribué suivant ses vues.

Ce séminaire est sous la direction des vertueux disciples de saint Vincent de Paul. M. de la Motte s'en félicitait, et une congrégation qui jouit à si juste titre de la confiance du clergé de France ne pouvait manquer d'obtenir la sienne; elle la posséda entièrement, et dans tous les temps. Ce fut toujours dans son séminaire qu'il choisit le directeur de sa conscience, charmé de pouvoir offrir à ses jeunes clercs cette preuve de son estime pour les personnes chargées de les former aux sciences et aux vertus de leur état.

Outre les bonnes mœurs et la piété, le prélat exigeait, des jeunes ecclésiastiques qui habitaient son séminaire ou qui en postulaient l'entrée, une suffisance de talents et de connaissances dont il était lui-même l'appréciateur et le juge. Attentif à tout ce qui peut encourager et soutenir les études théologiques, il ne dédaignait pas de faire la visite des classes: il y entrait au moment où il était le moins attendu il s'informait du sujet de la leçon et en faisait rendre compte aux étudiants. Aucun sujet n'était admis dans son séminaire qu'après avoir subi, en sa présence, un examen sur les matières

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théologiques, qu'il avait étudiées pendant deux ans. Il se trouvait également à tous les examens qui précédaient les ordinations. Et, pour épargner à ses coopérateurs l'embarras ou l'odieux des refus, il faisait en sorte d'en être seul chargé, en recommandant aux directeurs du séminaire de réserver pour son bureau tous les sujets dont la capacité était équivoque. Il leur parlait avec une extrême bonté; il simplifiait les questions; il les proposait en termes clairs et les plus propres à dégager leurs idécs, s'ils en avaient. Il portait quelquefois la condescendance jusqu'à leur permettre de s'expliquer en français; mais, lorsqu'après les avoir bien sondés, il découvrait en eux un fond d'ignorance radicale, il était inébranlable dans la résolution qu'il prenait de leur fermer l'entrée du sanctuaire, quelles qu'eussent été d'ailleurs leur naissance et même leur vertu : aucune bonne qualité ne pouvait couvrir, à ses yeux, l'insuffisance des talents.

Après tous ces soins donnés à l'éducation de son clergé, le saint évêque d'Amiens s'appliquait à entretenir et renouveler en lui l'esprit sacerdotal. C'est dans cette vue qu'en différents temps il adressa, tant aux curés qu'aux confesseurs, d'excellentes instructions sur les parties les plus essentielles du saint ministère : c'est dans cette vue qu'il établit, dans son diocèse, un ordre de relations, le plus propre à prévenir les abus ou à les lui faire connaître. Chaque année tous les curés récevaient pour le moins deux visites: l'une d'un archidiacre; elle avait pour objet les comptes des fabriques, la tenue des églises et tout ce qui concerne la décence du culte divin, l'instruction chrétienne de la jeunesse, et enfin une information discrète sur la conduite des curés et des vicaires, et la manière dont ils s'acquittaient de leurs devoirs. La seconde visite des paroisses était faite par un doyen, attaché à un canton particulier, et chargé de veiller à l'exécution des ordonnances tant de l'évêque que de l'archidiacre. Ce doyen devait, comme l'archidiacre, rendre compte à l'évêque de sa visite par un procès-verbal dressé sur les lieux avec les formalités de droit.

Outre cela, les curés étaient tenus d'assister, tous les ans, à deux chapitres présidés par les doyens : l'un après Pâques, où se faisait la distribution des saintes huiles; l'autre au mois d'octobre, et immédiatement après un synode général tenu par l'évêque. Chaque doyen, en faveur des curés de son district qui n'avaient pas pu se trouver à ce synode, rendait compte de ce qui s'y était passé, et faisait la publication des règlements ou ordonnances qui en avaient été le résultat. C'était aussi dans cette assemblée que le doyen remettait à tous les prêtres approuvés de sa division, leurs pouvoirs, dont il était chargé de demander la rénovation.

Le synode annuel était une assemblée générale que faisait M. de la Motte de tous les prêtres de son diocèse, pour leur donner des avis généraux ou de particuliers, suivant ses lumières et celles que lui communiquaient les archidiacres et les doyens qui, quelques jours avant cette assemblée, s'étaient rendus auprès de lui pour lui mettre sous les yeux les procès-verbaux de leurs visites. C'était d'après cette connaissance exacte des besoins de son diocèse, que le prélat dressait ses ordonnances qu'il faisait imprimer et parvenir à tout son clergé.

Sans préjudice de ses visites pastorales, l'évêque d'Amiens faisait quelquefois, dans une seule année, la visite générale de tous ses curés, en parcourant les vingt-six doyennés qui partageaient son diocèse, aux époques où les doyens tenaient leur chapitre. C'était pendant un de ces cours de visites, et à l'âge de quatrevingt-six ans, qu'il écrivait à l'abbé de la Trappe : « Voici la preuve de ma santé : tous les curés se trouvent, autant qu'il est possible, à la distribution des saintes huiles; j'y assiste, et leur fais partout un discours de trois quarts d'heure. D'un doyenné je passe à l'autre : je fais, demain, le onzième. Le dimanche je me repose, parce que les curés ne sortent pas de chez eux. >>

Mais de tous les moyens employés par le saint évêque pour maintenir la régularité parmi ses prêtres, il n'en est aucun dont les fruits aient été aussi abondants que celui des retraites qu'il leur procurait. Il en faisait quelquefois donner deux par an, l'une pour les curés, l'autre pour les vicaires, et, au moins, toujours une. Il payait, pendant ce temps, la pension des vicaires et celle des curés. Depuis le discours d'ouverture de chaque retraite, qu'il faisait luimême, jusqu'à celui de la clôture, dont il se chargeait également, il habitait son séminaire; il présidait à tous les exercices publics; il disait la messe de communauté; il mangeait au réfectoire au milieu de ses prêtres; il leur parlait chaque jour, pendant une heure, sur leurs devoirs, et toujours avec cette onction irrésistible qui éclaire les esprits et pénètre les cœurs. « J'espère tout, disait-il, pour le salut d'un prêtre fidèle à donner tous les jours une demiheure à la méditation de ses devoirs, et je crains tout pour celui qui néglige cette pratique. >>

Tout le bien qui résultait de ces instructions publiques, dans les retraites sacerdotales, n'était pas comparable encore à celui que faisait M. de la Motte dans ses entretiens particuliers avec ses prêtres. Il profitait des intervalles qui séparaient les entretiens communs de la journée pour les voir tous les uns après les autres. C'est alors que, prenant avec cux le ton d'un bon père, comme il en

ans,

avait toute la tendresse, il ouvrait leurs cœurs à la confiance, il écoutait leurs demandes, il éclaircissait leurs doutes, il donnait à chacun les avis qui lui convenaient; et, après avoir encouragé la faiblesse des uns, réglé le zèle des autres, il les renvoyait tous avec un nouveau degré d'estime pour leur saint pasteur, et d'ardeur pour leurs devoirs. Il était si convaincu de l'importance de ces secours spirituels pour son clergé, que, jusqu'à l'âge de quatre-vingt-douze il ne laissa pas passer une seule année sans les lui procurer. Quant à ses visites pastorales, c'était le prélat lui-même qui en dressait chaque année le plan; et plusieurs mois avant qu'il se rendît dans une paroisse, il faisait donner avis du jour et même de l'heure de son arrivée. Dans chaque endroit il commençait par examiner lui-même, avec ses grands-vicaires, les enfants présentés pour la confirmation. Aucun n'était admis qu'il ne fût parfaitement instruit des principales vérités de la religion on le savait, et les parents, ainsi que les personnes chargées de l'instruction de la jeunesse, faisaient en sorte qu'elle fût en état de subir l'examen du prélat. Cette fermeté lui réussit presque au-delà de ses espérances; et il avouait qu'il trouvait le peuple mieux instruit dans son diocèse que dans aucun de ceux où il avait travaillé avant son épiscopat. Après avoir fait son instruction au peuple, le prélat procédait publiquement à la visite de l'église et de tout ce qui concerne le culte divin. Afin que rien n'échappât à son attention, il tenait en main l'état détaillé de tous les objets sur lesquels il devait la porter. Rien ne pouvait excuser à ses yeux certains curés dont il trouvait les églises dans le délabrement et la malpropreté ; et le moindre de leurs torts, selon lui, était toujours un défaut de zèle. « J'ai une question à vous faire, dit-il un jour à un curé: dites-moi, je vous prie, croyez-vous à la présence réelle?» Celui-ci gardait le silence. < Répondez, monsieur, poursuivit le prélat; la croyez-vous? » Le curé protesta que personne au monde ne la croyait plus fermement. « Tant pis, reprit le saint évêque: sans la foi, vous ne seriez qu'un hérétique; en croyant, vous êtes un impie; et j'en trouve la triste preuve dans la malpropreté dégoûtante de ces linges sur lesquels vous osez déposer le corps adorable de notre Seigneur. »

Avant de sortir de l'église où il faisait la visite, M. de la Motte demandait publiquement au curé s'il n'y avait pas de scandales dans la paroisse; si les maîtres et maîtresses d'école remplissaient les devoirs de leur place d'une manière qui satisfit et édifiát le public; si les parents étaient exacts à envoyer leurs enfants aux écoles et aux instructions publiques; et enfin il demandait aux paroissiens s'ils étaient contents de leur curé, et du zèle qu'il avait pour

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