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spécieux, lui dit qu'il prenait le parti de se taire et de s'envelopper du manteau de l'humilité. « Ce manteau-là, reprit M. de la Motte, vous pourriez bien le porter au temps de la canicule. - Comme on ne doit parler que pour se faire entendre, il ne pouvait souffrir la manière de certains auteurs, qui n'écrivent, ce semble, que pour se faire deviner. Un jour il en rencontra un qui lui lut une de ses productions ainsi écrite en style énigmatique. Il l'écouta attentivement, lui fit ensuite différentes questions sur ce qu'il entendait par différentes façons extraordinaires de s'exprimer. « Par ceci, lui répondit l'orateur, je veux dire telle chose, et par cela telle autre. - Vraiment, reprit le prélat, vous voulez dire de très-bonnes choses! Que ne les dites-vous donc? » On complimentait beaucoup un prédicateur sur le sermon qu'il avait prêché. M. de la Motte, qui s'était aperçu que ce sermon avait été pris dans un auteur imprimé, et qui n'aimait pas qu'on se permit des plagiats aussi crus devant un auditoire instruit, se joignit à ceux qui félicitaient l'orateur et lui dit : « Pour moi, je vous assure que je revois toujours ce discours avec un nouveau plaisir. »

La reine Marie Leczinska, modèle de vertu sur le trône, comme le saint évêque l'était dans l'épiscopât, eût désiré de le voir et de l'entendre plus souvent. Elle ne manquait pas de l'inviter à se rendre à Compiègne lorsque la cour y allait, et quelquefois elle l'y détermina en détruisant les prétextes qu'il alléguait pour s'en dispenser ; tantôt < qu'il n'avait pas d'habit court, et que les tailleurs d'Amiens n'en savaient pas faire à l'usage des évêques ; tantôt qu'à son âge il n'était plus bon à rien qu'à figurer dans une collection d'antiques. >>

Un jour que le prélat se trouvait, avec la famille royale, chez la duchesse de Villars: « Je crois, mon vénérable, lui dit la reine, que vous devez voir, dans notre cour, bien des abus qui échappent à nos yeux profanes. — Celui qui me frappe le plus, répondit le saint évêque, c'est de m'y voir moi-même, goûtant la consolation auprès de votre majesté, au lieu d'être à la répandre parmi mes pauvres diocésains. Et l'habit court, reprit le dauphin, croyezvous que M. d'Amiens ne l'ait pas sur le cœur?—Il est vrai, monseigneur, continua le prélat, que j'ai sur le cœur et que je trouve bien indigeste qu'on veuille nous faire déposer ici, de par le roi, l'habit que nous portons de par Dieu.

Le dauphin lui donna ensuite occasion de dire son sentiment sur d'autres abus relatifs à la résidence des évêques et à la répartition, souvent injuste, des biens ecclésiastiques, qui élève certains favoris du sanctuaire à des fortunes qui deviennent des scandales entre

Jeurs mains. < Savez-vous bien, mon saint, dit alors la reine à l'évêque, que, quand vous êtes avec mon fils, vous ne savez plus que médire, et que je commence à craindre qu'après avoir passé en revue les torts des gens d'église, vous ne veniez à vous rabattre sur ceux des reines? - Madame, reprit M. de la Motte, le plus grand tort que les reines puissent avoir, sera toujours de ne pas prendre, en tout, votre majesté pour modèle. -Oh! voyez donc, s'écria la princesse, ce que c'est que respirer l'air des cours! Ne voilà-t-il pas que l'évêque d'Amiens parle aussi le langage des courtisans les plus corrompus? >

Dès que l'évêque d'Amiens paraissait à la cour, le dauphin s'emparait de lui, pour ainsi dire, et ne voulait plus qu'il le quittât. Ce prince entretenait avec lui, comme la reine, un commerce épistolaire. Le saint évêque, uni de cette manière et avec ce qu'il y avait de plus fervent à la cour, et avec ce qu'il y avait de plus fervent dans le cloître, les religieux de Sept-Fonts et de la Trappe, était comme le centre mystérieux, comme le cœur de la France chrétienne. Il mourut comme il avait vécu, c'est-à-dire en saint, le dix juin 1774, dans sa quatre-vingt-douzième année.

Telle fut la partie saine et sainte de la France pendant le dixhuitième siècle : reste à voir les parties malades et chancreuses.

S IV.

Ce qu'il y avait en France de chancreux : le jansénisme soutenu des parlements.

Un des chancres était le calvinisme déguisé sous le nom de jansénisme. Nous en avons vu le patriarche Hauranne dire nettement à Vincent de Paul, que, depuis cinq siècles, l'Eglise catholique n'était plus l'Eglise de Jésus-Christ, mais une prostituée et une adultère; que c'était une bonne œuvre de la détruire et qu'il fallait y travailler de toutes ses forces; que Calvin n'avait pas tort pour le fond de la doctrine, mais seulement pour la manière de s'exprimer. Or, Calvin et Luther font de l'homme une machine et de Dieu un tyran cruel, qui nous punit, non-seulement du mal que nous ne pouvons éviter et que lui-même opère en nous, mais encore du bien que nous faisons de notre mieux. Tel est donc le fond du jansénisme un homme-machine, un dieu pire que Satan, en qui ce sera piété de ne pas croire. Nous avons vu un magistrat contemporain dire à l'historien Fleury, qui le rapporte et l'approuve: « Le jansénisme est l'hérésie la plus subtile que le diable ait tissue. Ils ont vu que les protestants, en se séparant de l'Eglise, se sont condamnés eux-mêmes, et qu'on leur avait reproché cette séparation; ils ont donc mis pour maxime fondamentale de leur conduite de ne s'en séparer jamais extérieurement, et de protester toujours de leur soumission aux décisions de l'Eglise, à la charge de trouver tous les jours de nouvelles subtilités pour les expliquer, en sorte qu'ils paraissent soumis sans changer de sentiments 1. »

Cette subtilité diabolique en imposera plus ou moins à des hommes de lettres, à des magistrats, à des évêques, même au célèbre évêque de Meaux, Bossuet, qui, sans jamais approuver le jansénisme, n'en verra pas tout le venin, ni ne le combattra comme le devait un Père de l'Eglise. La nouvelle hérésie s'enracinera surtout dans la capitale de la France, par la connivence d'un archevêque cardinal : de Paris elle infectera, plus ou moins, bien des diocèses, bien des congrégations religieuses. De là des innovations dans l'office divin et la liturgie, malgré les défenses de l'Eglise romaine, mère et maîtresse de toutes les églises, comme pour façonner l'esprit des peuples au schisme et à l'indifférence en matière de religion.

'Nouv. opusc. de Fleury, p. 227.

De là, parmi les fidèles, un éloignement toujours plus marqué pour les sacrements de l'Eglise. Car, dans la nouvelle hérésie, c'était une perfection chrétienne de s'en abstenir.

En 1727 mourut un diacre janséniste, nommé Pâris. Il s'était mis d'abord faiseur de livres, puis faiseur de bas. Mais ce qui le rendit bien autrement vénérable dans la secte, c'est qu'il passa une fois jusqu'à deux ans sans communier, et même sans faire ses Pâques. Enfin, ce qui prouve l'héroïsme de ses vertus, il résista opiniâtrément à l'Eglise catholique, apostolique et romaine. Notre Seigneur dit bien : Si quelqu'un n'écoute pas l'Eglise, qu'il vous soit comme un païen et un publicain. Les jansénistes ont ainsi corrigé la maxime de notre Seigneur : Si quelqu'un de nous n'écoute pas l'Eglise, qu'il vous soit comme un saint et un apôtre. En conséquence, le diacre Paris fut, par les siens, déclaré un saint janséniste. Et comme les saints, qui vivent et meurent soumis à l'Eglise, doivent avoir fait des miracles avant d'être canonisés, le premier saint du jansénisme, ayant vécu et étant mort insoumis à l'Eglise, devait opérer des miracles d'autant plus incomparables. Voici donc les miracles qu'on lui fit faire. Il avait été inhumé dans le petit cimetière de Saint-Médard à Paris. Donc, les dévots de la secte affluent sur sa tombe, s'agitant, se débattant, criant, hurlant comme des énergumènes premier miracle. Un grand nombre étaient guéris de maux qu'ils n'avaient pas second miracle. Ainsi un malade est guéri de son impuissance à marcher, après avoir fait à pied une lieue et demie pour venir au cimetière. Autre miracle: cent vingt témoins jansénistes avaient signé que la fille Lefranc avait été guérie subitement d'un mal sans remède. M. de Vintimille, successeur du cardinal de Noailles dans l'archevêché de Paris, ayant fait faire une enquête par des médecins, ils constatèrent deux choses: 1o que le mal n'était pas naturellement inguérissable; 2o que la fille Lefranc n'en avait pas été guérie. Un miracle encore plus curieux peut-être, est celui de la veuve Delorme. Le quatre août 1731, ayant eu des pressentiments de paralysie, elle se fait conduire sur le tombeau du saint janséniste, elle s'y couche, et la paralysie l'y saisit en effet. Un miracle d'un autre genre est le suivant. Le vingt mars 1737, un vitrier, travaillant de son état dans l'église de Saint-Médard, se permit des propos contre le diacre et sa vertu. On lui annonça que le saint pourrait bien le faire repentir de sa témérité. Effectivement, dès le soir même, l'indiscret ouvrier put voir de ses yeux les vitres de sa maison mises en pièces par des pierres et des morceaux de tuile; et il passa pour indubitable parmi les jansénistes qu'il ne s'était jamais opéré de miracle plus éclatant que celui-là, et que le

TOME XXVII.

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bienheureux Pâris était revenu au monde pour casser des vitres. Tels étaient les prodiges qui faisaient courir une partie des habitants de la capitale, entre autres le bon Rollin, recteur de l'université de Paris 1.

Cependant l'archevêque de Paris ayant déclaré faux le miracle de la fille Lefranc, les jansénistes interjetèrent appel et résolurent de frapper un coup d'éclat par quelque miracle fameux et incontestable. Un boiteux, nommé Bescherand, se fit porteur de l'appel qu'on interjetait du mandement archiepiscopal, puis se présenta sur le tombeau du diacre, ne doutant pas que son infirmité ne disparût à la fin de la neuvaine; mais il s'en passa deux, et sa jambe ne se redressait point. Alors les convulsions le prirent; des mouvements violents, des sauts, des élancements, des agitations furieuses, tel était le caractère de ces sortes de scènes. Il fut décidé par les jansénistes qu'elles équivalaient au miracle attendu. Pendant que Bescherand donnait ce divertissement à la foule des curieux, des scribes décrivaient exactement toutes les variantes de ses convulsions, et ces descriptions s'envoyaient dans les provinces. Cependant le boiteux restait toujours tel. Ce n'est pas qu'il ne s'opérât dans sa jambe des changements notables; il y eut telle séance où il fut constaté par les jansénistes, qu'à force de sauter, elle avait allongé d'une ligne, prodige dont on eut soin d'instruire dans de pompeuses relations. Ce convulsionnaire se donna long-temps en spectacle, sans s'en trouver mieux. Tous les jours il venait se mettre sur le tombeau, et là, représentant l'Eglise, il se déshabillait, et recommençait ses sauts et ses gambades. Les louanges qu'on lui donnait, l'accueil et les caresses qu'il recevait, firent naître à d'autres le désir d'avoir des convulsions. Ils en eurent; la folie gagna, et la tombe devint un théâtre où accouraient des malades et des gens en santé qui briguaient l'avantage d'être convulsionnaires. On voyait des hommes, ne gardant de leurs habits que ce qu'ils ne pouvaient absolument ôter, s'agiter comme des furieux. On voyait des femmes éprouver les secousses les plus violentes, tantôt assises sur les genoux des hommes, tantôt debout entre leurs bras. On n'osait les laisser à elles-mêmes, il fallait les tenir; elles se seraient tuées, disait-on, tant l'esprit de Dieu qui les agitait avait besoin d'être réglé par la main des hommes. On en voyait d'autres se coucher sur la tombe, et se secouer avec tant de violence, qu'il fallait être à leurs côtés pour prévenir des inconvénients,

'Picot. Mém. pour servir à Phist, ecclés. pendant le dix-huitième siècle, an 1731.

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