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unité nationale était ébréchée par une minorité dissidente, luthériens, calvinistes, sociniens, Grecs schismatiques, qui fourniront sans cesse à la Russie, à la Suède et à la Prusse, moyen et prétexte d'intervenir, d'augmenter les troubles déjà si faciles dans un royaume électif, où la noblesse est tout et le peuple rien, et d'en consommer ́enfin la ruine. Auguste II avait de bonnes qualités, mais ses mœurs ne pouvaient que rendre la royauté méprisable et accroître la démoralisation générale déjà tant favorisée par l'hérésie et l'incrédulité moderne. Outre sa femme légitime, qui lui donna un fils, il eut un nombre incroyable de concubines et de bátards. La Pologne était une monarchie républicaine, il entreprit d'en faire une monarchie absolue: de là des mécontentements, des fédérations pour s'y opposer. Il fut question de nouveau d'appeler au trône le fils de Sobieski; mais Auguste eut l'adresse de le faire enlever avec son frère Constantin. De plus, il fit alliance avec le czar de Russie, Pierre Ier, tant pour se fortifier contre l'opposition polonaise que pour reconquérir certaines provinces sur la Suède, d'autant plus que le roi de Suède était jeune (il n'avait que dixhuit ans). Mais c'était Charles XII: le trente novembre 1700, il tua trente mille Russes à Narwa, battit le roi Auguste à Riga, puis à Clissow, et eut, l'an 1705, envahi la plus grande partie de la Pologne ses troupes occupaient Varsovie: une diète déclara le trône vacant, on l'offrit au troisième fils de Sobieski, Alexandre, qui refusa. Sur la proposition de Charles XII, qui était incognito dans la ville, on élut Stanislas Leczinski, noble polonais, qui ne refusa pas. Mais, peu après, le nouveau roi faillit être enlevé dans Varsovie même par son compétiteur Auguste, qui avait pour lui le nonce du Pape, et qui fut néanmoins réduit à se retirer en Saxe. Charles XII l'y poursuivit et le força, l'an 1707, à renoncer solennellement à tous ses droits sur la couronne de Pologne. Cette renonciation d'Auguste n'était pas plus libre que l'élection de Stanislas, faite en la présence des baïonnettes suédoises. Charles XII ayant été battu par les Russes, à Pultawa, l'an 1709, Auguste rentra en Pologne et Stanislas en sortit. Le premier mourut roi de Pologne le premier février 1733. Le roi de France, Louis XV, voulut replacer sur le trône polonais Stanislas, dont il avait épousé la fille, Marie Leczinska. Mais Stanislas arriva trop tard et avec trop peu de Français; il fut obligé de s'enfuir une seconde fois. Auguste III, fils d'Auguste II, étant soutenu par la Russie et l'Autriche, fut élu à la place de son père, et mourut en 1765, après avoir vu la Saxe ravagée par le roi de Prusse, Frédéric II, et la Pologne divisée de plus en plus par les intrigues de la Russie. Dans un traité avec la Prusse,

onze avril 1764, à Saint-Pétersbourg, il y eut un article secret pour entretenir l'anarchie en Pologne, principalement par le liberum veto, accordé à chaque noble polonais, qui pouvait ainsi, par sa seule opposition, arrêter toutes les décisions des diètes ou assemblées nationales. Le dernier roi de Pologne, dernier sous plus d'un rapport, fut le comte Stanislas Poniatowski. Attaché à l'ambassade polonaise à Pétersbourg, il fut du nombre de ces libertins auxquels se prostituait Catherine II et avant et après qu'elle eut étranglé son époux Pierre III. Auguste III étant mort en 1763, Catherine II écarta du trône de Pologne son fils Frédéric-Léopold, envoya des troupes à Varsovie et fit élire Poniatowski, le complice de ses adultères. Et ce n'était qu'un jeu pour empoisonner et étrangler la Pologne, comme elle avait empoisonné et étranglé son mari. De là, dès l'année 1773, sur la proposition du roi philosophe de Prusse, un premier démembrement de la Pologne entre la Russie, la Prusse et l'Autriche. Il ne restait du royaume polonais qu'un fantôme, encore lui donna-t-on une constitution qui devait augmenter les troubles et les rendre irremédiables. De là, en 1795, un second partage de la Pologne entre la Russie, la Prusse et l'Autriche. Poniatowski ne conserva que Varsovie avec la moindre partie du royaume. Encore, l'année suivante, vingt-cinq novembre 1794, trentième anniversaire de son couronnement, Catherine II le força-t-elle de souscrire le traité de partage total et définitif, et de donner son assentiment à la destruction de son royaume. Elle l'obligea même de renoncer pour toujours à tous ses droits, et de déposer la couronne, prix de ses adultères.

La Pologne périt ainsi par la méchanceté d'une femme et par la lâcheté d'un homme. La monarchie autrichienne allait avoir le même sort une femme la sauva malgré toutes les puissances de l'Europe.

'Menzel. Hist. moderne des Allemands, t. 12. p. 3.

S VII.

Etat de l'Allemagne. Gouvernement révolutionnaire de Joseph II. Voyage de Pie VI à Vienne. Les BRIGANDS de Schiller, tableau fidèle de l'Europe intellectuelle et politique à cette époque.

L'empereur Charles VI, dernier descendant mâle de Rodolphe de Habsbourg, mourut le vingt octobre 1740. Comme il ne laissait point de fils, il voulut que la succession de ses états fût assurée à sa fille Marie-Thérèse, et, dans cette vue, il s'efforça de faire garantir par les différentes puissances la pragmatique-sanction qui réglait cet objet. Des alliances et des contre-alliances se formèrent relativement aux affaires de la maison d'Autriche; enfin, la pragmatique fut successivement reçue par les états héréditaires, par la diète de l'empire, et adoptée par toutes les puissances de l'Europe. L'an 1736, et d'après le désir de son père, Marie-Thérèse épousa François, duc de Lorraine, devenu grand-duc de Toscane, et qui fut ainsi la tige de la nouvelle maison impériale de Lorraine-Autriche. D'une beauté remarquable, Marie-Thérèse fut une tendre, fidèle et chaste épouse. Elle eut huit enfants, parmi lesquels les empereurs Joseph II et Léopold II, et la reine de France Marie-Antoinette. A la mort de son père, elle pouvait espérer d'entrer paisiblement dans ses droits, puisqu'ils avaient été garantis par toute l'Europe. Il en fut autrement. La pragmatique-sanction, tant de fois invoquée et ratifiée depuis vingt-cinq ans, fut tout à coup considérée comme non avenue. Les électeurs de Bavière et de Saxe, qui avaient épousé ses cousines, furent les premiers à lui disputer l'héritage de ses pères. Le roi d'Espagne, Philippe V, réclama les couronnes de Hongrie et de Bohême. Enfin, le roi de Sardaigne réclama le duché de Milan. Tous parlaient au nom des princesses autrichiennes, leurs femmes ou leurs mères, malgré les reconciations qu'elles avaient faites à leurs droits. Le roi philosophe de Prusse, Frédéric II, réclama quatre duchés de Silésie, et les envahit à main armée. La France, voyant le moment favorable pour abaisser l'Autriche, promit à l'électeur de Bavière de lui procurer la couronne impériale. Les rois d'Espagne, des Deux-Siciles, de Prusse, de Pologne et de Sardaigne accédèrent à cette ligue offensive; et enfin, pour empêcher que la Russie ne donnát des secours à Marie-Thérèse, on disposa la Suède à déclarer la guerre à cette puissance. Rien ne

semblait plus devoir s'opposer au démembrement de la monarchie autrichienne : le partage en était déjà fait par les puissances alliées. L'électeur de Bavière devait avoir la Bohême, la Haute-Autriche, le Tyrol et la Souabe autrichienne; l'électeur de Saxe, la Moravie avec la Haute-Silésie; et le roi de Prusse, tout le reste de cette province. Quant à la Lombardie, elle était destinée à un infant d'Espagne. On ne laissait à la jeune reine que la Hongrie avec la BasseAutriche, les duchés de Carinthie, de Styrie, de Carniole, et les provinces belgiques. Les premières opérations militaires promirent l'exécution facile de ce plan. A la tête d'une armée française et revêtu du titre de lieutenant-général du roi de France, l'électeur de Bavière s'avance rapidement. Il se fait couronner archidue d'Autriche à Lintz, roi de Bohême à Prague, et bientôt après empereur d'Allemagne à Francfort, sous le nom de Charles VII.

Dans un danger aussi imminent, on vit Marie-Thérèse, qui entrait dans sa vingt-quatrième année, déployer un courage au-dessus de son âge et de son sexe. Obligée de quitter Vienne, déjà menacée d'un siége par ses ennemis victorieux, elle court en Hongrie. Elle assemble les quatre ordres de l'état à Presbourg, et, tenant entre ses bras son fils aîné (qui fut depuis Joseph II), elle leur adresse ces paroles en latin : « Abandonnée de mes amis, persécutée par mes ennemis, attaquée par mes plus proches parents, je n'ai de ressource que dans votre fidélité, votre courage et ma constance. Je mets entre vos mains la fille et le fils de vos rois, qui attendent de vous leur salut. » A ce spectacle, les nobles hongrois, qui, depuis deux cents ans, n'avaient cessé de repousser le joug de la maison d'Autriche, font éclater l'enthousiasme et le dévouement le plus sincères. Ils tirent leurs sabres et s'écrient : « Mourons pour notre roi Marie-Thérèse ! »

A cette époque-là même, Marie-Thérèse, qui était enceinte, apprenant chaque jour les progrès de ses ennemis, mandait à la duchesse de Lorraine, sa belle-mère : « J'ignore s'il me restera une ville pour y faire mes couches. Mais le terme de ses infortunes approchait. Des bords de la Drave et de la Save il sort des peuples, inconnus jusqu'alors, qui se joignent aux fidèles Hongrois. Le costume singulier, l'air farouche de ces Pandours, de ces Talpaches et de ces Uhlans répandaient l'effroi presque autant que leurs cruautés. Le comte de Kevenhuller, à leur tête, recouvre l'Autriche, et bientôt même se voit maître de la Bavière. Les malheurs mêmes de Marie-Thérèse combattent pour elle. Les femmes d'Angleterre en sont si profondémeut touchées, qu'elles lui offrent un subside, tandis que le parlement lui en vote un plus considérable.

Le roi de Prusse, qui le premier avait commencé l'attaque, est le premier à déposer les armes au milieu de la campagne de 1742, moyennant qu'on lui cédât la Silésie et le comté de Glatz: c'était un calcul d'intérêt. Son exemple est bientôt suivi par le roi de Pologne, électeur de Saxe. Le roi de Sardaigne fit plus : il abandonna la coalition pour épouser la querelle de Marie-Thérèse. Mais il fallut qu'elle reconnût aussi ce service par des cessions de territoire. Le roi d'Angleterre, Georges II, fit éclater pour la jeune reine un zèle moins intéressé. Il amena lui-même à son secours une armée composée d'Anglais, de Hanovriens et de Hessois; et, pour rappeler le motif premier de la guerre, il donna à cette armée le nom de pragmatique. Tout changea de face: les désastres du nouvel empereur sont aussi rapides que l'ont été ses succès. Il n'a plus que la ville de Francfort pour asile. Mais tout à coup une nouvelle coalition se forme par la politique de la France. Le perfide roi de Prusse, qui s'était fait payer si chèrement la paix, envahit la Bohême pendant que cent mille Français pénètrent dans le Brisgau, et que l'empereur Charles VII revenait triomphant à Munich. Mais tout à coup ce prince meurt en janvier 1745, et son fils n'a rien de plus pressé que de conclure une paix particulière avec la reine. Il renonce à toute prétention, et se contente d'être maintenu dans la possession de ses états paternels. Le trône impérial était vacant: Marie-Thérèse sut trouver encore assez d'influence pour y faire asseoir le grand-duc de Toscane, son époux, qui prit le nom de François I. Il fut reconnu par le roi de Prusse lui-même, qui fit de nouveau sa paix à des conditions encore plus avantageuses que la première. C'était le plus juif des rois de ce temps-là.

Le traité d'Aix-la-Chapelle, 1748, mit un terme à des hostilités qui ensanglantaient l'Europe depuis huit ans. Marie-Thérèse, qui, au commencement de cette longue et terrible lutte, s'était vue sur le point d'être entièrement dépouillée, put se croire enfin assurée de la possession paisible des plus belles parties de son immense héritage. Elle mit tout ses soins à y effacer les traces de la guerre, à ranimer l'agriculture, à faire fleurir le commerce et les arts. Les ports de Trieste et de Fiume furent ouverts à toutes les nations: Ostende reçut des navires chargés des productions de la Hongrie. Des canaux, ouverts dans les Pays-Bas, apportèrent jusque dans le sein des villes les richesses des deux Indes. Les grandes routes y disputèrent de beauté à celles de France. Vienne fut agrandie et embellie; des manufactures de draps, de porcelaine, de glaces, d'étoffes de soie s'établirent dans ses faubourgs. Les sciences eurent à se féliciter de la fondation de plusieurs universités et colléges. Le

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