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n'étaient pas plus chrétiens que Mahomet, quelques-uns pas même

autant.

Quant aux incrédules proprement dits, qui se donnaient le nom de philosophes, et à qui ceux de France allaient emprunter leurs impiétés, nous avons déjà vu par l'un d'eux, Jean-Jacques Rousseau, que penser de leurs systèmes. Les principaux incrédules de l'Angleterre furent Shaftesbury, Bolingbroke, Toland, Tindal, Collins. Les deux premiers étaient de riches et voluptueux milords, à qui une philosophie irreligieuse venait fort à propos. Toland, né en Irlande, mais apostat du catholicisme, a laissé en Angleterre une mémoire peu honorable. Comme il se trouvait souvent dans une extrême misère, il vendait sa plume aux partis politiques. Swift n'en parle que comme d'un misérable. Aussi le même Swift disait-il : Je ne sais comment il se fait que, quand le Pape nettoie son jardin, il nous jette les orties par-dessus la muraille. Collins, ami intime de Locke, n'a pas laissé une mémoire plus honorable que Toland. L'arien Whiston lui reproche de s'être fait admettre à prêter serment sur la Bible, et de n'avoir pas manqué de participer à la cène pendant plusieurs années consécutives, quoiqu'il fit profession de ne croire ni à la cène, ni à la Bible, ni même à la Providence. L'auteur de la Biographie britannique, le latitudinaire Kippis, le regarde comme un écrivain sans bonne foi, sans scrupule dans les citations, les faisant servir à ses preuves sans s'embarrasser du sens des auteurs, et qui a été pris plus d'une fois en faute à cet égard par ses adversaires. Tindal, né vers 1657, se fit catholique sous Jacques II, et renonça à cette religion lorsqu'il s'aperçut qu'elle ne le conduirait pas à la fortune. Il était mal famé pour ses mœurs, dit la Biographie britannique. Même l'athée Naigeon le regarde comme un auteur médiocre, plus occupé à éblouir par un ton affirmatif qu'à discuter sagement, et dont les idées sont vagues, inconsistantes et mal ordonnées. A ces principaux incrédules on peut joindre Thomas Chubb, qui d'apprenti gantier se fit écrivain philosophe1.

L'incrédulité se propageait donc en Angleterre, et commençait à compter, surtout à Londres, de nombreux partisans. On y avait été, comme à Paris, en proie au délire d'une cupidité aveugle. Un émule de Law, le chevalier Blount, avait donné naissance à un système absurde et ruineux, qui avait séduit une foule crédule. La nation parut aussi livrée à un esprit de vertige. Toutes les professions, tous les emplois étaient négligés. Un agiotage scandaleux

'Picot. Mémoires, t. 4.

avait remplacé les travaux ordinaires, Pendant l'enivrement que produisit cette illusion, le luxe, le vice et la débauche furent poussés jusqu'à l'extravagance. Les nouveaux riches, éblouis de leur opulence éphémère, donnaient dans les excès d'un faste ridicule, et affectaient du mépris pour la religion et les mœurs. Il se répandit même qu'il s'était formé une société de jeunes libertins qui s'engageaient par des serments affreux. Ils avaient, dit-on, donné à leur association le nom du feu d'enfer, comme pour se moquer des terreurs de la religion, et la débauche et l'impiété se prêtaient chez eux un mutuel support. Les choses en vinrent au point que, le neuf mai 1721, le roi Georges Ier ordonna aux magistrats de rechercher et de punir les assemblées de blasphêmateurs'. En 1729, Thomas Woolston, bachelier de l'université de Cambridge, fut condamné par les magistrats à une forte amende pour ses Discours impies et scandaleux : n'ayant pu payer la somme, il mourut en prison. En 1757 et 1742, le médecin Morgan et Dodwell, fils du théologien, publièrent de nouveaux écrits contre la foi chrétienne.

Cependant on vit, même parmi les ministres anglicans, quelques apologistes estimables de la religion. Tels furent Thomas Sherlock, évêque anglican de Londres, qui écrivit contre Collins six Discours sur l'usage et les fins de la prophétie, et contre Woolston, Les Témoins de la résurrection de Jésus-Christ examinés suivant les règles du barreau. Leland, ministre presbytérien en Irlande, mort en 1766, écrivit contre Tindal, Morgan et Dodwell. Ses principaux ouvrages sont Examen des principaux déistes anglais du dixseptième et du dix-huitième siècle, 2 vol. in-8°, et la Nouvelle démonstration évangélique, ou l'Avantage et la nécessité de la révélation démontrés par l'état de la religion dans l'ancien paganisme, 4 vol. in-12. Samuel Chandler, autre ministre presbytérien, mort en la même année 1766, s'est distingué par ses Réflexions sur la conduite des déistes modernes dans leurs derniers écrits contre le christianisme, et par sa Défense de l'antiquité et de l'autorité des prophéties de Daniel et de leur application à JésusChrist.

Mais plusieurs choses manquaient à Chandler, ainsi qu'aux autres apologistes anglais. Ils n'avaient pas une idée nette des vérités fondamentales du christianisme : comme de la nature et de la grâce, de la raison et de la foi, de l'ordre naturel et de l'ordre surnaturel ou de la Révélation proprement dite par là même il leur était impossible de bien éclaircir les difficultés. En second lieu, ils ne

'Picot. Mémoires, an 1721.

possédaient pas l'ensemble des vérités chrétiennes, mais seulement quelques-unes, isolées des autres; par là, ils n'étaient pas en état de les défendre toutes contre des ennemis qui les attaquaient toutes et de toutes parts. Enfin, pour bien défendre une ville, il faut que les soldats qui la gardent s'entendent bien entre eux et avec le commandant de la place; autrement, ils s'exposent à tirer les uns sur les autres, et à faciliter les attaques de l'ennemi, au lieu de les repousser. Voilà ce que les docteurs de l'église anglicane ne comprenaient point pendant le dix-huitième siècle; aujourd'hui, ils commencent à le comprendre et à Cambridge et à Oxford; aussi commencent-ils à tourner leurs yeux vers le commandant de la cité, vers le chef visible que Dieu a donné à son Eglise, et les conversions deviennent-elles innombrables.

Une conversion singulière, qui eut lieu vers la fin du dix-huitième siècle, fut celle d'Elisabeth Pitt, parente du célèbre ministre d'Angleterre de ce nom, et née à Londres. Ayant perdu dès le bas åge son père et sa mère, elle fut élevée dans la religion anglicane par une grand'tante qui lui parlait souvent de la vie religieuse et des personnes à qui elle l'avait vu pratiquer. La jeune Elisabeth conçut un grand désir de voir quelque monastère de religieuses, pour le connaître par elle-même. Elle allait jusqu'à désirer qu'elle pût embrasser cet état sans renoncer à la religion anglicane, à laquelle elle était fort attachée. Elle perdit sa tante à l'âge de vingttrois ans, prit le goût du grand monde, et ne montra plus d'autres inclinations jusqu'à l'âge de trente-deux ans, où elle fit une maladie mortelle. Le premier janvier 1785, étant convalescente, elle eut un songe qu'elle raconte ainsi elle-même :

<< Je m'imaginais entrer dans un couvent dont toutes les religieuses portaient une croix d'argent sur la poitrine. Je fus conduite au chœur, où je les vis toutes placées en ordre. A leur tête, j'en aperçus une qui était le vrai portrait de ma grand'tante. On me dit d'entrer, et on me le dit par trois fois, en ajoutant: Ne craignez point; c'est une véritable amie que vous trouverez dans cette personne. Vous aurez de la peine à lui rendre vos sentiments, mais que cette difficulté ne vous arrête point. J'entrai. Du chœur, on me conduisit dans un appartement qui m'était destiné. L'escalier qui y conduisait se trouva si mauvais, que je fus contrainte, pour m'y soutenir, de prendre une corde qui servait de guide. J'entendis alors une voix qui me disait encore que je mourrais dans cette maison. Cette parole fit une grande impression sur mon esprit, et l'attention que j'y prêtais me donna beaucoup de mécontentement contre moi-même. Ce songe me revint les deux nuits suivantes. >

TOME XXVI.

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Mademoiselle Pitt fut la première à en rire avec les personnes à qui elle le raconta dès le lendemain. Huit mois après, elle eut la curiosité de voir la France, afin d'en apprendre la langue. Un négociant de Saint-Valery lui indiqua le couvent de la Visitation d'Abbeville, où il avait deux enfants. « J'y arrive, dit-elle (le vingtsept septembre 1785), je vois les religieuses avec leur croix d'argent. Présentée à la supérieure, qui était madame de Maison, je reconnais à son visage le portrait de ma grand'tante. J'avoue que je fus si frappée de cette ressemblance, que je me sentis prête à tomber en faiblesse. Je ne fis d'ailleurs en ce moment nul cas de mon songe tenant alors de l'incrédulité de Thomas surnommé - Didyme, je ne pus y ajouter foi. La vie religieuse que je devais embrasser, à en croire ce qui m'avait été dit, me paraissait trop contraire à la liberté anglaise, dans laquelle j'avais vécu jusque-là. Bien loin de penser que je dusse mourir dans cette maison, plusieurs choses me donnèrent, dès le premier jour, envie de la quitter, entre autres la vue de l'escalier tournant par où l'on me conduisit à la chambre que je devais occuper. »

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Ses premières pensées furent de repartir sans délai. On l'engagea de différer un peu ; elle y consentit. Son éloignement diminua, et, au bout de deux jours, elle prit le parti de rester, mais uniquement pour apprendre la langue. On lui donna une religieuse capable de la former à parler français. Bientôt, après avoir parlé de grammaire, on vint à parler de religion. Elle entra dans une discussion régulière et avec la religieuse et avec un ecclésiastique qui parlait assez bien l'anglais. Elle fut surtout frappée des raisonnements qu'on lui fit sur ces paroles de Jésus-Christ: Et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation des siècles. Et les portes de l'enfer ne prévaudront point contre mon Eglise. Enfin, après de grands combats et de longues perplexités, elle ne put résister plus long-temps à la lumière ni aux mouvements du Saint-Esprit. Elle se rendit à l'église, et, prosternée au pied de l'autel, elle fit cette prière : « Seigneur, je veux sauver mon âme. Si la religion protestante est la vraie religion, faites-moi mourir avant que j'en embrasse une autre. Si, au contraire, la religion catholique est la vraie, laissez-moi la vie, et donnez-moi la force de l'embrasser, avec la grâce de suivre tout ce qu'elle enseigne. » Elle se lève comblée de joie quelques instants après, et pleinement décidée à faire profession de la foi catholique, qu'elle avait déjà dans le cœur. La cérémonie eut lieu le vingt-trois février 1786, jour anniversaire de son baptême, cinq mois après son entrée au couvent. Elle prit même le voile de religieuse le trois juillet. Pendant son noviciat,

elle fut obligée de faire un voyage en Angleterre, dans l'intérêt d'une jeune orpheline. Sur mer, le vaisseau essuya une furieuse tempête. Tous les voyageurs, au nombre de cent cinquante, se crurent à leur dernier moment. Sœur Elisabeth Pitt demeurait fort tranquille. Un seigneur anglais ne put s'empêcher de lui dire: A votre air de tranquillité, on dirait que vous êtes catholique. — Je suis effectivement catholique, répondit-elle, et très-ferme dans ma foi. Après avoir terminé les affaires qui l'avaient appelée à Londres, elle revint à Abbeville, recommença son noviciat, fit profession et devint, par sa piété et sa ferveur, le modèle de la communauté'.

• Tableau général des principales conversions qui ont eu lieu parmi les protestants et autres religionnaires depuis le commencement du XIX• siècle, par l'abbé Rohrbacher, 2 édition, 1841, t. 2.

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