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Principes de vie et de guérison que renferme l'Eglise catholique, non-seulement pour elle, mais pour toutes les nations malades, particulièrement la France et l'Allemagne. Progrès et souffrances de la religion en Corée, en Chine et au Tongking. Sainte mort de Louise de France et de saint Alphonse de Liguori.

La seule Eglise de Dieu, unie à son chef visible, le vicaire de Jésus-Christ, le successeur de saint Pierre, renferme des principes de vie et de guérison, non-seulement pour elle, mais pour toutes les nations malades. Tandis que nous voyons toutes les dynasties dégénérer sur les trônes du siècle, nous voyons sur le trône de saint Pierre de vieux Pontifes se succéder dans une éternelle jeunesse : nous voyons rayonner autour d'eux de saints et savants personnages, et cela jusque dans les familles royales. Il est vrai, ces Pontifes se voient contrariés par tous les rois catholiques : c'est pour qu'ils se rappellent de ne pas mettre leur confiance dans les princes, mais en Dieu, et en leur propre activité, aidée de sa grâce. Joseph Ier de Portugal, Louis XV de France, Charles III d'Espagne, Ferdinand IV de Naples, se sont coalisés pour forcer la main à Clément XIV, lui faire licencier les plus vaillants soldats de l'Eglise, le premier régiment de ses gardes, en un mot la compagnie de Jésus : ils ont entraîné dans leur conspiration Marie-Thérèse d'Autriche, qui ne résiste plus à l'esprit novateur de son fils Joseph II. Les Jésuites, ainsi condamnés par tous les rois catholiques, décriés par les jansénistes et les philosophes, délaissés de tout le monde, même du Pontife romain, les Jésuites s'abandonnent eux-mêmes. Et cependant Dieu conservera à son Eglise cette semence de bénédiction et lui fera produire dès-lors des fruits abondants de salut.

Frédéric II, roi de Prusse, roi hérétique et philosophe incrédule, écrivait le sept juillet 1770 à Voltaire : « Ce bon Cordelier du Vatican (Clément XIV) n'est pas aussi hargneux qu'on se l'imagine. Pour moi, j'aurais tort de me plaindre de lui; il me laisse mes chers Jésuites, que l'on persécute partout. J'en conserverai la graine précieuse pour en fournir un jour à ceux qui voudront cultiver chez eux cette plante si rare1. » Ainsi donc, c'est un roi

'OEuvres de Voltaire, t. 65, p. 408.

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hérétique et incrédule qui conserve les Jésuites à l'Eglise, malgré tous les rois catholiques et un peu malgré le Pape. Et c'est au chef de l'incrédulité moderne qu'il se vante et se félicite de ce bonheur. Il lui en déduira même les motifs dans une lettre du dix-huit novembre 1777. « Vous voulez savoir ce que sont devenus les Jésuites chez nous (en Silésie)? J'ai conservé cet ordre tant bien que mal, tout hérétique que je suis, et puis encore incrédule. En voici les raisons. On ne trouve dans nos contrées aucun catholique lettré, si ce n'est parmi les Jésuites; nous n'avions personne capable de tenir les classes; nous n'avions ni pères de l'Oratoire ni puristes; le reste des moines est d'une ignorance crasse : il fallait donc conserver les Jésuites ou laisser périr toutes les écoles. Il fallait donc que l'ordre subsistât pour fournir des professeurs à mesure qu'il venait à en manquer, et la fondation pouvait fournir la dépense à ces frais. Elle n'aurait pas été suffisante pour payer des professeurs laïques. De plus, c'était à l'université des Jésuites que se formaient les théologiens destinés à remplir les cures. Si l'ordre avait été supprimé, l'université ne subsisterait plus et l'on aurait été dans la nécessité d'envoyer les Silésiens étudier la théologie en Bohême. Ce qui aurait été contraire aux principes fondamentaux du gouvernement. Toutes ces raisons valables m'ont fait le paladin de cet ordre. Et j'ai si bien combattu pour lui, que je l'ai soutenu, à quelques modifications près, tel qu'il se trouve à présent: sans général, sans troisième vœu et décoré d'un nouvel uniforme que le Pape lui a conféré'. »

Frédéric, comme hérétique et incrédule, n'aimait pas les Jésuites; mais il les trouve utiles, il les aime, comme roi, parce qu'il a du bon sens : ce qui montre combien en avaient les rois et princes catholiques, qui s'en privaient de gaîté de cœur, pour se livrer aux ministres de la philosophie, au risque de voir un jour leurs propres descendants expulsés du trône et même du sol paternel, errer à travers l'Europe, mendiant quelque hospitalité princière ou même quelque place de professeur domestique, en attendant mieux ou pis.

Frédéric II sentait le besoin de rendre la maison de Brandebourg populaire en Silésie. Cette contrée, nouvellement annexée à son empire, était catholique, et le roi respectait sa croyance. Elle tenait du fond des entrailles à la société de Jésus, qui, depuis longues années, y présidait à l'éducation de la jeunesse. En Pologne, la société exerçait une légitime influence, et Frédéric n'osait pas briser

1 (Euvres de Voltaire, t. 66, p. 301.

tant de liens religieux. Il craignait de froisser les masses dans ce qu'elles ont de plus cher la liberté de conscience et le droit de la famille. Malgré les supplications de ses favoris de France et de ses convives de Potsdam, il résolut de préserver d'un suprême naufrage les débris de l'institut. En conséquence, il défendit de publier dans ses états la bulle de suppression de Clément XIV. Non content de cet acte officiel, il écrivit de sa main, le treize septembre 1773, à l'abbé Columbini, son agent à Rome, une dépêche ainsi conçue : « Abbé Columbini, vous direz à qui voudra l'entendre, pourtant sans air d'ostentation ni d'affectation, et même vous chercherez l'occasion de le dire naturellement au Pape et au premier ministre, que, touchant l'affaire des Jésuites, ma résolution est prise de les conserver dans mes états tels qu'ils l'ont été jusqu'ici. J'ai garanti au traité de Breslau le statu quo de la religion catholique, et je n'ai jamais trouvé de meilleurs prêtres à tous égards. Vous ajouterez que, puisque j'appartiens à la classe des hérétiques, le Pape ne peut pas me dispenser de l'obligation de tenir ma parole ni du devoir d'un honnête homme et d'un roi 1. » Cette dernière phrase renferme plus d'une pointe, car elle peut dire : Comme hérétique, je n'ai pas besoin que le Pape me dispense de mes devoirs d'honnête homme, je m'en dispenserai assez de moi-même, toutes les fois que je le jugerai à propos; témoin le partage de la Pologne.

Cependant le philosophe d'Alembert témoignait la crainte que les princes, encouragés par le roi de Prusse, ne se déterminassent à solliciter de lui quelques Jésuites. Frédéric lui répond, le quinze mai 1774 : « Tant de fiel entre-t-il dans l'âme d'un vrai sage? diraient les pauvres Jésuites, s'ils apprenaient comment, dans votre lettre, vous vous exprimez sur leur sujet. Je ne les ai point protégés tant qu'ils ont été puissants; dans leur malheur, je ne vois en eux que des gens de lettres qu'on aurait bien de la peine à remplacer pour l'éducation de la jeunesse. C'est cet objet précieux qui me les rend nécessaires, puisque, de tout le clergé catholique du pays, il n'y a qu'eux qui s'appliquent aux lettres. Ainsi n'aura pas de moi un Jésuite qui voudra, étant très-intéressé à les conserver. » Le même prince écrivait à Voltaire, le dix-huit novembre 1777 : < Souvenez-vous du père Tournemine, votre nourrice (car vous avez sucé chez lui le doux lait des Muses), et réconciliez-vous avec un ordre qui a porté et qui, le siècle passé, a fourni à la France des hommes du plus grand mérite 2. »

'Crétineau-Joly. Hist. de la compagnie de Jésus, t. 5, c. 5, p. 465. p. 467 et 468.

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Toutefois, malgré cette protection de Frédéric, comme les Jésuites n'avaient pas de noviciat en Prusse, leur existence allait n'y être que viagère. Une puissance schismatique, l'impératrice de Russie, leur procurera plus de stabilité. Le quatorze octobre 1772, Catherine II prenait possession de la partie polonaise nommée la Russie-Blanche. La compagnie de Jésus tenait depuis long-temps quatre colléges à Polotsk, à Vitepsk, à Orcha et à Dunabourg; deux résidences à Mohilow et à Mierziacza, et quatorze missions. Deux cents Jésuites, répandus dans ces provinces, y formaient l'enfance aux belles-lettres et à la piété, l'âge mûr à tous les devoirs sociaux. En 1721, Pierre Ier avait chassé à tout jamais de l'empire les prêtres de la compagnie de Jésus. Catherine annonça qu'elle dérogeait aux lois du czar Pierre. La bulle de suppression par Clément XIV ayant été connue en Russie, sans y être publiée officiellement, les Jésuites résolurent de s'y soumettre. Mais Catherine's'y opposa, et obtint de Clément XIV lui-même, le sept juillet 1774, un rescrit au princeévêque de Warmie, par lequel il autorisait les Jésuites de Prusse et de Russie à demeurer dans l'état où ils étaient jusqu'à décision nouvelle. En même temps, Stanislas Siestrzencewicz, évêque de Mohilow, reçut juridiction sur tous les catholiques de la Russie. Le quinze avril 1778, la congrégation de la Propagande transmit à cet évêque un décret pontifical de Pie VI, l'investissant de pouvoirs illimités. Il devait, durant trois années, exercer sur les réguliers toute espèce de juridiction, examiner, changer, modifier leurs constitutions, et même renouveler ou créer. Pie VI accordait ainsi implicitement la faculté d'établir un noviciat, que Catherine avait demandé pour les Jésuites. L'opposition acharnée du roi d'Espagne ne permettait pas d'accorder plus. En conséquence, l'évêque de Mohilow, revêtu des pouvoirs de légat apostolique, accorda aux Jésuites de Russie, par un mandement du trente juin 1779, la permission d'établir un noviciat et d'y recevoir des novices. Un ministre de l'impératrice écrivit la même année à un ministre du Pape : « Votre excellence sentira aussi bien que moi quels avantages les catholiques de la Russie-Blanche peuvent retirer d'un établissement qui seul doit procurer une éducation raisonnable et dissiper les ténèbres que la superstition a répandues sur le culte du peuple et d'une partie du clergé. Par sa place, par sa dignité dans l'Eglise et ses lumières, votre excellence appréciera bien mieux que moi l'étendue du mal qui en résulte pour la religion. Le seul moyen d'y remédier efficacement et constamment était de confier l'éducation de la jeunesse à un corps pieux, éclairé et permanent. Par quels encouragements et quelles récompenses pour

rions-nous espérer d'attirer dans la Russie-Blanche un nombre suffisant d'hommes instruits pour remplir des vues aussi sages? Il n'y avait qu'une résolution comme celle de l'expulsion des Jésuites du midi de la chrétienté pour opérer dans le nord le reflux heureux de ces hommes voués par état à la culture des sciences et des lettres. Ainsi, les recueillir et leur offrir une patrie en dédommagement de celle qui les rejette, 'rassembler en même temps les membres épars de la société qui se sont trouvés chez nous, et ne perpétuer leur association que dans la vue de l'instruction publique, comme le déclare expressément ma cour, me paraît un acte de sagesse autant que d'humanité, et nullement une infraction dans le système hiérarchique et spirituel de la cour de Rome. »

Au mois de mars 1785, un ancien Jésuite, Benilawski, vint à Rome, envoyé de Catherine II. Il demandait trois choses; l'érection de l'évêché de Mohilow en archevêché, l'investiture accordée à Stanislas Siestrzençewicz avec la coadjutorerie pour Benislawki, et l'approbation de tout ce que les Jésuites avaient fait jusqu'à l'élection du vicaire général de leur institut inclusivement. Il remit à Pie VI une lettre autographe de Catherine, dans laquelle l'impératrice s'exprimait ainsi :

« Je sais que votre Sainteté est très-embarrassée; mais la crainte convient mal à votre caractère. Votre dignité ne peut point s'accorder avec la politique, toutes les fois que la politique blesse la religion. Les motifs d'après lesquels j'accorde ma protection aux Jésuites sont fondés sur la raison et sur la justice, ainsi que sur l'espoir qu'ils seront utiles à mes états. Cette troupe d'hommes paisibles et innocents vivra dans mon empire, parce que, de toutes les sociétés catholiques, c'est la plus propre à instruire mes sujets et à leur inspirer des sentiments d'humanité et les vrais principes de la religion chrétienne. Je suis résolue à soutenir ces prêtres contre quelque puissance que ce soit; et, en cela, je ne fais que remplir mon devoir, puisque je suis leur souveraine et que je les regarde comme des sujets fidèles, utiles et innocents. Qui sait si la Providence ne veut pas faire de ces hommes les instruments de l'union si long-temps désirée entre l'église grecque et la romaine? Que votre Sainteté bannisse toute crainte, car je soutiendrai de tout mon pouvoir les droits que vous avez reçus de Jésus-Christ. »

C'est ainsi que l'impératrice de Russie, Catherine II, parlait en 1783 au pape Pie VI. Il accorda par bulles apostoliques les deux premiers points, l'érection de Mohilow en archevêché, et la promotion de l'évêque actuel à la dignité d'archevêque. Mais quant à la compagnie de Jésus réunic dans la Russie-Blanche, il se con

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