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rope, sans avoir cherché à rien connaître, à rien étudier, à rien voir. Revenu à Turin en 1772, un amour violent et mal placé lui inspira le goût de la poésie. Il composa une espèce de tragédie de Cléopâtre, avec une petite pièce où il se moquait lui-même de sa tragédie. Le succès de ce double essai fit d'Alfiéri un vrai poète : il refit ses études classiques et composa un grand nombre de tragédies, qui lui ont mérité le premier rang parmi les poètes tragiques de l'Italie. Après avoir été long-temps agité par des passions désordonnées, il arrêta enfin son choix sur une femme aussi illustre qu'estimable, suivant le Dictionnaire de Feller: c'était la princesse de Stolberg, épouse du dernier des Stuarts, arrière-petit-fils de Jacques II, frère du cardinal d'Yorck, et appelé communément le prétendant d'Angleterre. Devenue veuve en 1785, elle s'unit à Alfiéri par un mariage secret, qui cessa d'être tel à leur retour de Paris et lorsqu'ils se fixèrent à Florence. Alfiéri y mourut le huit octobre 1803, revenu de bien des préventions philosophiques à des pensées plus chrétiennes 1.

La musique est sœur de la poésie. La plus ancienne ode ou hymne que nous connaissions, c'est le cantique triomphal de Moïse sur le passage de la mer Rouge. Or, Moïse et les enfants d'Israël chantaient à l'Eternel ce cantique. En même temps Marie, la prophétesse, sœur d'Aaron, prit un tambour en sa main; toutes les femmes la suivaient avec des tambours et des danses, et elles répondaient à Moïse et aux fils d'Israël. Les psaumes ou odes prophétiques de David, David les composait et les chantait sur la harpe. Ses chefs de musique religieuse, Asaph, Idithun, étaient eux-mêmes des prophètes. Nous avons vu le prophète Elisée, consulté par les rois de Juda, d'Israël et d'Edom, demander un joueur de harpe; et, pendant que cet homme chantait sur sa harpe, la main de Jéhova fut sur Elisée, et il prophétisa. Dieu ne se communique pas toujours à ses prophètes, mais quand il lui plaît, et comme il lui plaît. Elisée voulait donc se préparer au souffle divin, comme un instrument bien d'accord. Mais quel rapport entre le son d'une harpe et le concert d'une âme avec Dieu? Un rapport intime. D'après les sages de l'antiquité et les Pères de l'Eglise, en particulier saint Augustin, la musique que Dieu a donnée aux hommes est une image, un écho de celle qu'il exécute lui-même dans son immense éternité. L'univers entier est une magnifique harmonie où l'éternelle Sagesse, atteignant d'une extrémité à l'autre, dispose tout avec douceur, nombre et mesure. C'est elle qui produit dans un nombre musical l'armée des cieux :

Feller et Biog, univers.

ainsi entend l'évêque d'Hippone une parole d'Isaïe1. Pour ramener l'homme dans cette céleste harmonie, l'éternelle Sagesse unit dans sa personne la nature divine et la nature humaine 2; ce qu'elle demande, c'est que nous soyons à l'unisson avec elle. Aussi un saint évêque et martyr, Ignace d'Antioche, compare le corps mystique de la Sagesse incarnée, l'Eglise catholique, à une harpe mélodieuse qui rend la louange à Dieu par le Christ 3. Jean n'a-t-il pas vu les élus dans le ciel, tenant des harpes de Dieu et chantant le cantique de l'Agneau". Enfin, chaque fidèle est une lyre composée de deux pièces, le corps et l'âme, qui agissent l'un sur l'autre comme les cordes sur la lyre et la lyre sur les cordes 5. Dans Saül, premier roi des Juifs, cette lyre en désaccord était le jouet de l'esprit méchant. Le jeune David, par l'harmonie extérieure de sa harpe, rétablissait l'harmonie intérieure de Saül et le soustrayait à l'influence de l'esprit méchant. Augustin, au contraire, en même temps que les cantiques de l'Eglise charmaient ses oreilles, sentait la vérité divine se couler dans son cœur, y allumer la dévotion, y produire des fontaines de larmes. Il ne faut donc plus s'étonner que le disciple d'Elie, par une harmonie sainte, voulût disposer son âme à une communication prophétique avec Dieu.

Mais y a-t-il des doctrines plus musicales que d'autres? Par exemple, les sectes photiennes, luthériennes, calviniennes, janséniennes, ont-elles produit beaucoup de chefs-d'œuvre de musique religieuse, telles que les messes de l'Italien Palestrina, ses offertoires, ses lamentations, son stabat? Les sectateurs de Luther et de Calvin, ayant rejeté le sacrifice chrétien prédit par les prophètes et qui devait s'offrir en tout lieu, ont rompu l'harmonie entre l'ancien et le nouveau Testament, entre le ciel et la terre: pour eux, il n'y a plus ni messes de vivants, ni messes de morts, ni offertoires, ni salut : leur dieu même répugne au chant et à l'harmonie; car comment croire, espérer, aimer et chanter un dieu luthérien ou calviniste, qui, après avoir fait de nous des machines, nous punit du mal qu'il opère lui-même en nous ? Leur grande musique, c'est la guerre de trente ans, la division des peuples, la ruine des monastères. Quant aux jansénistes, leurs enfants naturels, leur musique particulière, ce sont les convulsions en l'honneur du diacre Pâris; ces convulsions s'apaisent, non plus comme celles de Saül, par la harpe mélodieuse de David, mais à coups de bûches et de chenets. Quant à la poésie et à la musique chrétiennes, filles

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Epist. 165, n. 13. Isaie, 40, 26.- Aug. de Trinit., 1. 4, n. 4.
Epist. Ignat. ad Ephes., etc.

ad Ephes., etc.

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Apoc., 15.

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de celles de David et de Moïse, leur terre natale est la très-catholique Italie. Dès le seizième siècle, nous y avons vu Palestrina, surnommé le prince de la musique, dont les chefs-d'œuvre sont un des trésors de la basilique de Saint-Pierre à Rome. Dans le dixhuitième siècle, nous y voyons Marcello, Pergolèse, Paisiello, Piccini, Cimarosa, auxquels on peut joindre Mozart, Haydn et d'autres Allemands, qui vinrent se perfectionner parmi les Italiens.

Marcello naquit à Venise, en 1686, d'une famille noble. Pour lui inspirer de bonne heure le goût de la poésie, son père ne lui accordait rien que l'enfant ne l'eût demandé en vers. Le jeune Marcello ne montrait pas moins de disposition pour la musique. Son père lui ayant défendu de s'en occuper et l'ayant même mené à la campagne, pour lui procurer du relâche, le jeune homme trouva moyen de composer, à la dérobée, une messe pleine de beautés du premier ordre. Il eut alors permission de suivre son penchant. Son chef-d'œuvre est un recueil de psaumes à une, deux, trois ou quatre voix. Dès le moment où ces chants sacrés se firent entendre, ils excitèrent un enthousiasme universel. La hardiesse, le grandiose de l'expression, le style tantôt brûlant de véhémence, tantôt rempli d'une onction religieuse et touchante, ont mérité que l'on dit de Marcello qu'il était non-seulement le Pindare et le Michel-Ange des musiciens, mais qu'il avait été inspiré comme le prophète lui-même. Pergolèse, dont le nom seul est un éloge, naquit en 1704 au royaume de Naples, et fut admis, à l'âge de treize ans, dans un conservatoire destiné aux enfants pauvres. Ses chefsd'œuvre sont un Stabat et un Salve Regina. Il composa le Stabat au pied du Mont-Vésuve, où il mourut à l'âge de trente-trois ans. Paisiello, né à Tarente en 1741, destiné au barreau, étudia chez les Jésuites. Dans les solennités religieuses, il se distingua par la beauté de sa voix et la justesse de son oreille. Un ecclésiastique lui ayant donné quelques leçons de chant, il quitta la jurisprudence pour la musique, et composa bientôt des messes, des psaumes, des oratorios. Tous les pays de l'Europe ont admiré ses œuvres. Mais, dit-on, pour l'apprécier, il fallait l'entendre improviser sur le clavecin. L'inspiration, l'enthousiasme l'élevaient au-dessus de la sphère des idées musicales; mais il en descendait lorsque la réflexion le ramenait aux calculs de la composition, et, quoique toujours admirable, il n'était plus alors qu'un grand musicien. Il connaissait tellement la nature de son talent, qu'il ne manquait jamais de faire le matin cette courte prière avant de se mettre au piano: Sainte Vierge, obtenez-moi la grâce d'oublier que je suis musicien !

Paisiello a laissé, dans la bibliothèque de la chapelle du roi de France, vingt-six messes, dont plusieurs sont des chefs-d'œuvre, tels que celles de la Passion et de Noël, et son motet Judicabit in nationibus, remarquable par sa couleur sombre tragique, ainsi que son Miserere et son oratorio de la Passion. Dans un autre motet, où il peint les grandeurs de Dieu, il semble s'être élevé au-dessus de lui-même. En entendant les pittoresques et terribles tableaux de cette musique imitative, si bien adaptés aux paroles sacrées qu'elle anime, l'impie croirait entendre la marche formidable de son juge, le bruit de son char de feu et son jugement irrévocable. Tout à coup succède une musique brillante des chœurs aériens. Dans ce moment, les chants de Paisiello, dignes de la voix du prophète, prédisent l'envoi de l'esprit créateur, la terre renouvelée et le bonheur de la vie future. Tout semble resplendir, et l'on est frappé de l'éclat de cette harmonie auguste. Mais, en exprimant les images les plus frappantes et une prodigieuse variété de sentiments élevés, ces mêmes chants conservent toujours leur naturel et leur grâce. - Paisiello mourut à Naples, le cinquième de juin 1816, à l'âge de soixante-quinze ans. Une messe de mort, trouvée dans ses papiers, fut exécutée à ses funérailles'.

Piccini, né en 1728 à Bari, au royaume de Naples, et si connu par sa guerre musicale avec l'Allemand Gluck, commença également par une messe à l'âge de quinze ans. Cimarosa, né à Naples en 1754, et dont le principal chef-d'œuvre est le sacrifice d'Abraham, mourut à Venise en 1801. A Rome, les musiciens exécutèrent une messe de Requiem que Cimarosa avait composée dans sa jeunesse, et dont le style, la simplicité et la mélodie rappellent le fameux Stabat de Pergolèse. Mais la messe de Requiem qui passe pour le chef-d'œuvre de la musique religieuse, c'est la messe de Mozart, exécutée la première fois pour lui-même, lorsqu'il mourut à Vienne, en 1791, à l'âge de trente-six ans révolus. Il était né à Salzbourg le vingt-sept janvier 1756. Dès l'âge de trois ans, il reçut de son père les premières notions musicales. Il en avait à peine six lorsqu'il composa de petites pièces de clavecin, qu'il exécutait lui-même d'une manière fort agréable. Son père l'ayant conduit à Vienne en 1762, l'empereur François Ier voulut voir cet enfant extraordinaire : charmé de ses talents précoces, il le nomma son petit sorcier et daigna l'associer aux jeux de l'archiduchesse MarieAntoinette, depuis reine de France. Mozart n'avait pas encore huit ans quand il parut, en 1763, à la cour de Versailles. Il toucha

' Biographie univers.

l'orgue à la chapelle du roi et se montra dès-lors l'égal des plus grands maîtres. En 1770, à l'âge de quatorze ans, il se rendit à Rome pour y assister à toutes les solennités de la Semaine-Sainte. Ses désirs furent remplis à peine arrivé, il courut à la chapelle sixtine pour y entendre le fameux Miserere d'Allegri. On sait qu'il est défendu, sous des peines sévères, de donner ou prendre copie de ce morceau. Prévenu de cette défense, le jeune Allemand se place dans un coin et prête l'attention la plus scrupuleuse. Au sortir de l'église, il note la pièce entière. Le Vendredi-Saint, il y eut une seconde exécution du Miserere. Mozart tenait sa copie dans son chapeau, et s'assura de la fidélité de sa mémoire. Le lendemain, il chanta ce Miserere dans un concert, en s'accompagnant du clavecin. Ce trait prodigieux fit la plus grande sensation à Rome. Le pape Clément XIV voulut que cet enfant extraordinaire lui fût présenté; et, loin de le réprimander d'avoir transgressé sa défense, il lui fit l'accueil le plus gracieux '.

Vers l'an 1792, un paquebot ramenait des voyageurs d'Angleterre en France. Le temps était calme, on causait, on riait dans l'entrepont: un bon homme d'Allemand disait son chapelet dans un coin de la salle. Tout à coup un orage s'élève, le navire est fortement ballotté, les vagues heurtent contre ses flancs et s'élancent même par-dessus on ne causait plus, on ne riait plus, on avait grand' peur. Notre Allemand, tout au contraire, riait aux éclats, courant de côté et d'autre, représentant par ses gestes et sa voix le mouvement du navire, le bruit des vagues, et s'écriant : C'est cela, mon bon maître Nicolo; si seulement tu étais ici! Cependant l'orage s'apaisa, et les passagers demandèrent à cet homme ce qui l'avait mis de si bonne humeur au milieu de la transe commune. - C'est un souvenir de ma jeunesse, dit-il. Etant à Vienne, Nicolo Porpora, mon maître, me dit un jour de mettre en musique une tempête sur mer. Comme je n'en avais jamais vu, je le priai de m'en donner quelque idée. Aussitôt il se mit à faire la pantomime que vous m'avez vu faire par une agréable réminiscence. On voulut alors

savoir le nom de ce diseur de chapelet. Il répondit avec honhomie : Je m'appelle Joseph Haydn. A ce nom, tous les passagers se levèrent pour saluer le grand musicien de l'Europe. C'était effectivement Joseph Haydn, autrefois enfant de choeur à la cathédrale de Vienne.

Il naquit le trente-un mars 1752, au village de Rohrau, sur les frontières d'Autriche et de Hongrie. Son père, pauvre charron, sa

Biographie univers.

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