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Marseille ce que Fouquier faisait à Paris. Devant le tribunal, Fouquier se défendit avec toute l'astuce d'un homme vieilli dans la chicane: il osa parler de son innocence; il rejeta tout sur Robespierre, sur les comités, sur la convention; il ne se donna que pour un instrument passif et aveugle. « Condamnerait-on une hache? osa-t-il dire. » Il fut guillotiné le sept mai 1795, avec une douzaine de ses complices. L'apostat Lebon, condamné le cinq octobre suivant, se défendit de la même manière. Quand le bourreau vint le revêtir de la chemise rouge dont on couvre les assassins, il dit: « Ce n'est pas moi qui dois la porter; il faut l'envoyer à la convention nationale; » et il disait vrai. Carrier, condamné dès le seize décembre 1794, représenta également qu'il n'avait fait qu'obéir à la convention. « Les décrets m'ordonnaient d'incendier et d'exterminer. J'ai instruit journellement de mes opérations le comité de salut public et la convention. Quand je suis revenu prendre place parmi mes collègues, ils m'ont félicité, et aujourd'hui ils me mettent en jugement! Pourquoi blâmer aujourd'hui ce que vos décrets ont ordonné? La convention veut-elle donc se condamner ellemême? Je vous le prédis, vous serez tous enveloppés dans une proscription inévitable. Si l'on veut me punir, tout est coupable ici, jusqu'à la sonnette du président. » En effet, la convention proscrivit les chefs, terroristes: Collot d'Herbois et Billaud-Varennes furent déportés à la Guyane française, dans les déserts de Sinnamary, où ils n'eurent de consolations et de soins que ceux qui leur furent prodigués par les sœurs de la Charité établies en ce pays. Les autres chefs du parti jacobin, après avoir triomphé un moment, en mai 1795, succombèrent peu de jours après et périrent de mort violente. La convention victorieuse publia une nouvelle constitution où elle établissait, comme pouvoir exécutif, un directoire de cinq membres, et comme pouvoir législatif, deux conseils : celui des Cinq-Cents, qui proposait et discutait les lois; celui des Anciens, qui les acceptait ou les rejetait. La convention fit plus : elle décréta que les deux tiers de ses membres seraient nécessairement élus pour la prochaine législature. Cet empiètement sur la liberté des élections provoqua des résistances. Le treize vendémiaire an III de la république, cinq octobre 1795, il y eut une grande insurrection de la bourgeoisie parisienne : les sections, devenues favorables aux royalistes, marchèrent en armes contre la convention. Mais un officier d'artillerie, qui commandait la force armée sous le député Barras, repoussa les insurgés et assura la victoire à la convention, qui tint sa dernière séance le vingt-six octobre et fut remplacée par le directoire et les deux conseils législatifs.

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L'officier d'artillerie qui décida cette phase de la révolution était Napoléon Bonaparte ou Buonaparte, né à Ajaccio en Corse, le quinze août 1769, quelques mois après la réunion de cette île à la France, d'une famille noble, mais dont l'origine est incertaine. Co qu'il y a de sûr, c'est que le nom de Buonaparte est celui de plusieurs familles très-anciennes de Trévise, de Bologne, de Gênes. Son père, Charles Buonaparte, après avoir fait son droit dans l'université de Pise, épousa Letitia Ramolino, qui le rendit père de treize enfants, huit desquels, cinq garçons et trois filles, lui ont survécu et ont occupé les trônes de nations puissantes. En 1768, Charles, avec sa jeune famille et son oncle Napoléon, se rendit à Corte, auprès de son ami et parent, le général Paoli, pour défendre l'indépendance de sa patrie, menacée par les Français. Les Corses succombèrent et Paoli quitta le pays. Pendant les dernières expéditions, qui furent les plus malheureuses, Charles Buonaparte vit sans cesse auprès de lui sa jeune et belle épouse affronter et partager, sur les montagnes et les rochers les plus escarpés, tous ses dangers et toutes ses fatigues, et préférer des souffrances au-dessus de son sexe et de son âge à l'asile que le conquérant de l'île lui faisait offrir par l'intermédiaire d'un de ses oncles, alors membre du conseil supérieur nouvellement institué par le gouvernement français. Deux mois après la réunion définitive de la Corse avec la France, la jeune femme mit au monde son deuxième fils, qui fut nommé Napoléon, en souvenir de son grand-oncle, mort l'année précédente. Comme on voit, dès avant sa naissance, le jeune Napoléon avait été familiarisé avec les périls et les fatigues de la guerre. Son père fut nommé un des premiers magistrats d'Ajaccio et de toute la province. Député de la noblesse de Corse à Paris en 1777, il obtint trois bourses: l'une pour Joseph, son fils aîné, au séminaire d'Autun; la seconde, pour Napoléon, à l'école militaire de Brienne; et la troisième, pour sa fille Marie-Anne, depuis Elisa, princesse de Lucques. En 1785, le père se rendit à Montpellier, pour consulter les médecins sur une maladie grave, et mourut dans cette ville d'un ulcère à l'estomac, dans les bras de son fils aîné Joseph et de son beau-frère l'abbé Fesch, depuis cardinal. Il avait eu un autre ecclésiastique dans sa famille, son oncle, l'archidiacre Lucien 1.

Napoléon reçut, dans la maison paternelle, les premiers éléments d'une éducation très-ordinaire. L'histoire ne peut citer de son

1 Biogr. univ, t. 59, supplément, art. Charles Buonaparte, et t. 74, art. Napoléon.

enfance aucun de ces prodiges dont on se plaît à entourer le berceau des grands hommes. « Je ne fus, a-t-il dit lui-même, qu'un enfant obstiné et curieux. » Il était à peine sorti du premier åge, et il ne savait pas même parler français, lorsqu'il entra, l'an 1778, à l'école militaire de Brienne. Il y fit sa première communion avec la piété la plus sincère. Et plus tard, souvent même dans ses plus grands succès, au milieu de ses victoires, pendant qu'il était empereur, roi, maître de l'Europe, il aimait à dire que le jour le plus heureux de sa vie était celui de sa première communion, qu'il se rappellerait toujours l'aspect de cette cathédrale d'Ajaccio, où il s'était prosterné devant Dieu avec tant de foi et d'humilité. Si, au milieu des agitations de la guerre et de la politique, il pratiqua peu les devoirs de la religion, du moins il la respecta et la protégea toujours; et jamais on ne le vit se déshonorer par les blasphêmes, par les stupides dénégations du parti révolutionnaire. Il aimait en particulier le son des cloches. A l'école de Brienne, il eut pour professeurs les religieux minimes ou de saint François de Paule. Son début ne fut pas brillant. Transporté si jeune loin de sa famille, au milieu d'autres enfants dont les habitudes, et jusqu'à la langue, lui étaient étrangères, il leur parut sombre, bizarre, et souvent ils l'assaillirent de leurs railleries, même de leurs injures. Le jeune Corse, irrité, les repoussait avec humeur et quelquefois avec colère. Réduit ainsi à vivre dans l'isolement, et sans doute aussi par un penchant naturel, il devint studieux, et fit des progrès assez rapides dans les mathématiques, où il eut pour répétiteur Pichegru, depuis célèbre général des armées républicaines. En 1783, il fut admis à l'école militaire de Paris, où il montra les mêmes dispositions et obtint à peu près les mêmes succès. Son goût pour les évolutions militaires s'y manifesta dans l'hiver de 1784, où, sous sa direction, les élèves simulèrent un siége en règle avec de la neige. Un de ses professeurs le nota ainsi alors: Corse de nation et de caractère, il ira loin si les circonstances le favorisent. Deux ans après, il fut nommé lieutenant d'artillerie, capitaine en 1792, n'ayant pas encore vingt-trois ans. Témoin des événements du dix août, loin d'y prendre part dans les rangs des révolutionnaires, il témoigna son indignation de l'audace du peuple et de la faiblesse de Louis XVI. Il a dit que, s'il avait été général au moment de la révolution, il se serait attaché au pouvoir royal; mais que, simple officier, il avait dû suivre la cause de la démocratie. Au mois de septembre, par suite de la suppression des maisons royales, il ramena sa sœur Marie-Anne de Saint-Cyr à Ajaccio. Peu après se ralluma la guerre civile en Corse : Paoli arbora de nouveau le drapeau de l'indépen

dance. La famille Bonaparte s'étant déclarée pour les Français, vit ses maisons pillées, ses biens confisqués: Napoléon, qui commandait un bataillon de volontaires, courut de grands dangers; il se réfugia sur le continent, avec sa mère et ses sœurs. Napoléon, qui ne restait pas long-temps dans un même endroit, fit plusieurs fois le voyage de Paris, et publia même quelques écrits. Confirmé chef Ide bataillon en 1793, il fut envoyé commandant d'artillerie au siége de Toulon, où, par la connivence des habitants royalistes, les Anglais étaient entrés comme alliés, mais où ils se conduisaient en maîtres, ne permettant pas même au frère de Louis XVI, qui était à Gênes, d'y venir aborder. Les Français assiégeaient Toulon pour en chasser les Anglais. A peine arrivé, le jeune commandant fit décider l'attaque d'un fort qui dominait la rade : s'étant mis à la tête des troupes, il les mena plus d'une fois à la charge, fut grièvement blessé, mais vint à bout de son entreprise, et obligea les Anglais d'évacuer la place, décembre 1793. Il fut nommé général de brigade, employé à l'inspection des côtes de la Méditerranée, puis envoyé dans le Génois pour étudier les forteresses de ce pays. Lorsqu'il vint à Paris pour rendre compte de sa mission, il trouva tout changé par la chute de Robespierre. Il fut lui-même destitué de ses fonctions, et arrêté pour être traduit devant le comité de salut public; cependant il obtint sa liberté, mais vécut dans une grande gêne, jusqu'au moment où Barras lui confia le commandement de la force armée pour protéger la convention nationale contre les sections insurrectionnelles de Paris. La convention reconnaissante le proclama général de division, et lui donna le commandement en chef de l'armée de l'intérieur. Le neuf mars 1796, il épousa Joséphine Tascher de la Pagerie, veuve du général de Beauharnais, guillotiné le vingt-trois juillet 1794. Huit jours plus tard, Napoléon Bonaparte fut nommé général en chef de l'armée d'Italie. C'est là que nous le retrouverons, déployant le génie d'un vrai conquérant, à la fois guerrier et politique, et se concertant enfin avec le chef de l'Eglise universelle, pour replacer la France, l'Europe et le monde sur les vraies bases de l'ordre social.

Les gouvernements révolutionnaires qui se succédaient en France proclamaient tous la liberté des cultes, mais aucun ne la respectait dans les catholiques. Ainsi, le cinq mai 1793, l'assemblée législative ordonne la réunion des prêtres fidèles dans les chefslieux de district sous la surveillance des municipalités. Le vingtsept mai, décret de déportation contre les prêtres fidèles : tout prêtre accusé par vingt citoyens sera déporté. Ce décret n'ayant été sanctionné par Louis XVI, n'eut pas force de loi. Louis XVI

pas

ayant été suspendu de ses fonctions le dix août, l'assemblée décrète définitivement la déportation des prêtres catholiques. Le huit février 1793, nouveau décret de déportation contre les prêtres qui ne veulent point adhérer au schisme. A Nancy, on incarcéra aux Carmélites, aux Tiercelins, au Refuge, à la Conciergerie, plusieurs centaines de prêtres pris sur divers points du département de la Meurthe. Il y en eut plus de cent dans le seul couvent des Carmélites, qui primitivement n'était destiné qu'à loger vingt religieuses. Le jour même de l'Annonciation, vingt-cinq mars 1794, un gendarme vint leur signifier l'ordre de partir pour la Guyane française, d'après une lettre du ministre, dans laquelle il ordonnait, pour purger la France du fanatisme religieux, de les conduire sans délai, de brigade en brigade, dans l'un des deux ports de Rochefort ou de Bordeaux. Cependant, sur le grand nombre de détenus, il n'y en eut que quarante-huit de désignés pour la déportation. On vit de la tristesse, mais parmi ceux qui ne devaient point partir : un entre autres, jeune encore, était inconsolable, voyant qu'il était excepté et que son frère plus âgé était du nombre des partants; il voulait partir à sa place, et ce ne fut que parce que tous ses confrères lui firent voir l'inutilité de sa démarche, qu'il ne présenta pas pour cela de pétition. Des quarante-huit déportés, trente-huit moururent de maladie et de misère dans la rade de Rochefort, savoir: Sept Cordeliers, quatre Capucins, quatre Tiercelins, trois Chartreux, trois Trappistes, trois Carmes, deux Bénédictins, deux Prébendés, deux chanoines réguliers, deux chanoines de cathédrale, un secrétaire de l'évêché de Nancy, un vicaire de paroisse, un Récollet, un Minime, un Dominicain, un Frère des écoles chrétiennes. Dix survécurent au martyre de la déportation, notamment MM. Michel et Masson, qui ont été successivement supérieurs du grand séminaire de Nancy, et sont morts, le premier, curé de la cathédrale, le second, chanoine de la même église. Le premier, qui n'était que diacre à cette époque, a laissé un journal de leur déportation, qui a été imprimé. Ils partirent de Nancy, sur des charrettes, le premier d'avril, par une pluie battante, en présence de leurs amis et parents, à qui on ne permit pas de les embrasser pour la dernière fois. Avant leur départ, on eut soin de les fouiller et de leur enlever tout l'or et l'argent qu'on put découvrir sur eux; on ne leur laissa que les assignats.

Au pont de Toul, sur la Moselle, ils eurent un échantillon de ce qui les attendait le long de la route : la populace les accueillit avec des huées, criant qu'on les jetât à l'eau: on les déposa dans un

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