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que leurs affaires allaient plus mal dans ce moment, dissimulèrent la chose devant le peuple, mais la laissèrent entendre au prétendu évêque, qui, après la déroute complète de l'armée vendéenne, fut pris par les républicains et guillotiné à Angers le cinq janvier 1794. C'était d'ailleurs un homme d'un caractère doux et humain1.

Avec un peuple de martyrs, la France catholique offrait, comme nous avons vu, un roi martyr: car tel est le jugement qu'a porté de la mort de Louis XVI le pape Pie VI, dans son allocution du dix-sept juin 1793 aux cardinaux réunis en consistoire. Benoit XIV, considérant les circonstances de la mort de Marie Stuart, n'hésite pas à dire qu'elle offre toutes les conditions requises pour un véritable martyre. L'inébranlable attachement de cette princesse à la foi de ses pères, la crainte qu'elle ne voulût la rétablir en Angleterre, si elle venait à succéder à Elisabeth, furent les véritables motifs de l'inique sentence rendue contre elle. Pie VI croit qu'on doit porter le même jugement de la mort de Louis XVI. Sa fermeté à refuser la sanction au décret de déportation contre les prêtres fidèles, alluma contre lui la fureur des révolutionnaires, et le péril de mort le plus imminent ne put triompher de sa résolution. Parmi les charges qu'on fit valoir contre lui, on ne manqua pas d'alléguer ce refus, et sa lettre à l'évêque de Clermont, par laquelle il promettait, aussitôt qu'il serait libre, de rétablir la religion catholique. Que si, après l'avoir refusé d'abord, il a sanctionné la constitution civile du clergé, c'est parce que deux archevêques lui avaient assuré qu'il pouvait le faire. D'ailleurs, cette faute n'a-t-elle pas été bien effacée par sa rétractation et son admirable mort? Le martyre a purifié saint Cyprien, que l'erreur avait aussi surpris. « O jour de triomphe pour Louis, s'écrie le saint Pontife, à qui le ciel a donné la patience dans les plus rudes épreuves et fait trouver la victoire dans les bras de la mort! Oui, nous en avons la confiance, il n'a laissé cette couronne périssable et ces lis sitôt flétris, que pour en recevoir une immortelle tissue de la main des anges 2. » Pie VI observe cependant qu'il ne veut qu'exprimer son sentiment particulier, sans rien définir, sur le martyre du roi Louis; mais un tel suffrage nous suffit pour penser et parler de même.

Comme chef de l'Eglise universelle, Pie VI compâtissait à tous ses membres, à tous ses ministres souffrants. D'après le Dictionnaire historique de Feller, plus de quarante mille prêtres français reçurent une généreuse hospitalité dans les Etats-Romains. Le Pape

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'Feller. 2 Hist. de l'enlèvement et de la captivité de Pie VI, par l'abbé Baldassari. Paris, 1842, p. 31 et seqq.

ne se borna point à prodiguer ses propres ressources; ses touchantes exhortations allaient en même temps dans les contrées lointaines, exciter la charité du clergé et des fidèles en faveur de tant de victimes de la persécution. Dans un bref adressé aux prélats, abbés et ecclésiastiques de toute l'Allemagne, il les engage à ne pas dégénérer de la vertu de leurs ancêtres, si renommés par leur bienveillante hospitalité; il leur propose l'exemple de la nation anglaise et de son illustre monarque, qui s'étaient montrés si généreux dans les secours qu'ils avaient accordés aux proscrits. Mais bientôt l'illustre pontife devait partager lui-même leurs tribulations. Cela était naturel.

Avant de souffrir la prison et la mort pour la foi dont il est le pontife suprême, Pie VI en assure la pureté par un jugement solennel contre le synode janséniste de Pistoie. Le vingt-huit août 1794, il publie la bulle Auctorem fidei. On y cite quatre-vingt-cinq assertions extraites des actes et décrets du synode, et rangées sous quarante-quatre titres, conformément à la différence des matières. Ces assertions sont condamnées chacune avec ses qualifications propres quelquefois même une proposition est flétrie sous les divers sens qu'elle peut présenter. Il y en a sept condamnées comme hérétiques, celle-ci entre autres : « Il s'est répandu dans ces derniers temps un obscurcissement général sur plusieurs vérités importantes de la religion, qui sont la base de la foi et de la morale de Jésus-Christ. » Assertions que l'on trouve dans les écrits de la plupart des derniers janşénistes. La bulle condamne encore comme hérétiques les propositions deux, trois et quatre, entendues dans ce sens, que l'autorité ecclésiastique, exercée par les pasteurs, dérive de la communauté des fidèles; que le Pape tire ses pouvoirs, non de Jésus-Christ, mais de l'Eglise; et que celle-ci abuse de sa puissance en réglant la discipline ecclésiastique. Les autres propositions sont proscrites de même sous différentes notes, et entre autres comme ayant déjà été flétries dans Wiclef, Luther, Baïus, Jansénius et Quesnel, dont l'évêque Ricci de Pistoie n'était qu'un écho. Le Pape déclare en outre qu'il y a plusieurs autres propositions analogues aux quatre-vingt-cinq condamnées, et qui marquent de même le mépris de la doctrine et de la discipline, et surtout une haine profonde contre les Pontifes romains et contre leur autorité. H reproche aux rédacteurs des décrets des expressions peu exactes en parlant du mystère de la Trinité. Il condamne comme téméraire, scandaleuse et injurieuse au Saint-Siége, l'adoption et l'insertion, parmi leurs décrets de la foi, de la déclaration gallicane de 1682, déclaration improuvée et annulée par le Saint-Siége dès

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son origine. Enfin il condamne les actes et les décrets du synode de Pistoie, ainsi que les écrits faits pour sa défense. Telle est, en résumé, la bulle Auctorem fidei. Sauf deux évêques de Toscane, complices de Ricci, elle a été reçue par toute l'Eglise comme un jugement irréformable..

Les prêtres fidèles de France étaient persécutés à cause de leur inviolable attachement au Pape : le Pape devait l'être bien plus. Aussi, comme Mahomet et Luther, l'impiété révolutionnaire se promettait d'anéantir la papauté. La conjoncture était favorable. Un Pape très-vieux, sans aucun appui humain, ayant contre lui la Turquie mahométane, la Russie schismatique, l'Allemagne infectée de protestantisme et de joséphisme, la Scandinavie et l'Angleterre hérétiques, la France révolutionnée et révolutionnant toute l'Europe: le vieux Pape ne peut compter sur l'Espagne, qui vient de faire sa paix avec la république française, ni sur Naples, qui s'apprête sous main à en faire autant. D'ailleurs, l'Espagne, Naples, l'Autriche même laisseront faire, pour peu qu'on leur promette quelque lambeau de l'Italie, en particulier des Etats-Romains. Supposé donc les Français maîtres de Rome à la mort de Pie VI, il n'y aura plus d'autre Pape, ou bien il y en aura un de leur façon. Voilà ce que pensait le directoire de la république française, qui compta parmi ses membres un prêtre apostat, Siéyès, et parmi ses ministres un évêque apostat, Talleyrand.

Napoléon Bonaparte, nommé général en chef de l'armée d'Italie, au mois de mars 1796, adressa cette première harangue à ses troupes « Vous êtes nus, mal nourris. Le gouvernement vous doit beaucoup, il ne peut rien vous donner. Regardez ces belles contrées; elles vous appartiennent. Vous y trouverez honneurs, gloire, richesses... » C'était des plaines du Piémont et de la Lombardie qu'il leur parlait ainsi. Dès le lendemain il les mit en marche pour les y conduire. Et du printemps 1796 à novembre 1797, où il dicta la paix à Rastadt, en la vingt-huitième année de son âge, il avait remporté sur les Piémontais et les Autrichiens les victoires de Montenotte, de Lodi, de Castiglione, d'Arcole, de Rivoli, et profité de ces victoires, non-seulement en habile capitaine, mais en habile politique, supprimant les républiques de Venise, de Gênes, créant et organisant la république cisalpine, concluant avec le roi de Sardaigne, avec le Pape, avec l'Autriche, des armistices, des traités de paix, et enfin la pacification générale de Rastadt, d'où il se rendit à Paris, pour commencer, en 1798, l'expédition d'Egypte, et prendre Malte en passant.

Lorsqu'au printemps 1796, le pape Pie VI apprit les progrès des

Français en Piémont et en Lombardie, il assembla son conseil. D'un avis unanime, on conclut que le gouvernement pontifical n'étant point entré dans la ligue de l'Autriche, du Piémont et des autres puissances contre la France, il fallait se borner à observer les démarches des troupes françaises, et qu'ensuite, si les circonstances l'exigeaient, on pourrait entamer des négociations pour éviter toute invasion hostile. Les actes du Pape, comme chef suprême de l'Eglise, contre la constitution civile du clergé, étant purement spirituels, ne pouvaient être une cause de guerre: d'ailleurs, le gouvernement français avait lui-même abandonné cette constitution schismatique, et n'en faisait plus une loi. Comme prince temporel, Pie VI avait donné des marques non équivoques de sa bienveillance envers la nation française. Un navire français, poursuivi par deux napolitains, étant venu se briser au rivage romain, les marins s'étaient dispersés dans les bois. Le Pape les prit aussitôt sous sa protection, fit réparer leur navire, et les renvoya libres et contents.

Cependant certains Français ne se conduisaient pas trop bien à Rome. Vers la fin de 1792, deux d'entre eux, le sculpteur Ratel et l'architecte Chinard, gravement soupçonnés de vouloir troubler la tranquillité publique, furent arrêtés par la police romaine. Le sieur Mackau, consul de France à Naples, fit de vives instances auprès du gouvernement romain pour qu'on relâchât ces deux individus. Il l'obtint aussitôt, et envoya son secrétaire Basseville en témoigner sa reconnaissance. Basseville, après avoir rempli sa mission, demeura un assez long temps à Rome, sans aucun caractère officiel, retenu, disait-il, par quelques affaires particulières. Cependant le ministre des relations extérieures de France, ne sachant peut-être pas encore avec quelle promptitude le Pape avait relâché les deux prisonniers, lui écrivit à ce sujet une lettre offensante. D'un autre côté, le ministre de la marine enjoignit aux consuls français dans les Etats-Romains d'arborer sur leurs demeures le drapeau de la république française, et à leur chapeau la cocarde nationale. Le Pape, avant d'y consentir, demanda qu'au moins on réparat les injures qu'on avait faites à lui-même. L'effigie du Saint-Père avait été publiquement et ignominicusement brûlée à Paris, sans que le nonce en eût pu obtenir aucune réparation. La province d'Avignon et le comtat Venaissin ont été enlevés violemment au SaintSiége, et unis à la France. L'année précédente, les armes de sa Sainteté furent arrachées de la maison du consul pontifical à Marseille, pendues à la corde d'une lanterne, mises en pièces et livrées aux insultes de la populace, sans que depuis on eût fait aucune réparation ni même permis de replacer les armes consulaires. Enfin

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le Saint-Père a reçu une nouvelle insulte, par la lettre inconvenante et calomnieuse du ministre des affaires étrangères de France, et qui a été rendue publique par la presse. Pie VI ne pouvait donc pas permettre qu'on déployát sous ses yeux les enseignes d'une république qui ne le reconnaissait ni comme pasteur universel, ni comme prince séculier. Le consul français à Naples jeta feu et flamme, dépêcha un sieur Flotte, qui, accompagné de Basseville, déclara au cardinal Zélada que, si dans vingt-quatre heures il n'y avait pas une réponse favorable, on prendrait de telles mesures, qu'à la fin il ne resterait pas dans Rome pierre sur pierre. C'était le douze janvier 1793. Le cardinal leur dit que, le quatorze, il leur notifierait la volonté du Pape, auquel il devait faire un rapport sur cette affaire pour avoir ses derniers ordres.

Avant et après l'arrivée de Basseville, les Français qui demeuraient à Rome avaient indisposé le peuple romain par des festins patriotiques, auxquels avaient assisté des femmes perdues et des hommes décriés ; et cela dans le palais de l'académie de France, où l'on avait orné de guirlandes le buste de Brutus, et fait disparaître les statues ou bustes des rois de France, des Papes et des cardinaux. Des bruits alarmants venus de la même source, et d'insolentes forfanteries, avaient encore ajouté au mécontentement. Les Français commirent aussi une grave imprudence en publiant la lettre du consul français de Naples au cardinal secrétaire d'état, et une autre du même au consul à Rome, où l'on parlait de réunir tous les Français qui se trouvaient à Rome, pour empêcher qu'aucune main sacerdotale ne profanât par son opposition l'exercice de la liberté, qui devait s'effectuer par l'installation des emblémes républicains.

Le gouvernement pontifical, informé d'une conduite si peu réservée et de la grande irritation du peuple, fit exhorter amicalement les deux républicains de s'abstenir de toute démonstration. Au lieu d'acquiescer à ces sages avis, ils annoncèrent hautement qu'ils prendraient la cocarde tricolore, et arboreraient les insignes de la liberté dans la soirée du treize janvier, au plus tard. En effet, ce jour, qui était un dimanche, vers les cinq heures trois quarts, on vit sortir du palais de l'académie de France, situé dans l'endroit le plus fréquenté de Rome, une voiture où se trouvaient Flotte et Basseville, et qui se dirigeait vers la place Colonne. Ces deux personnages, ainsi que le cocher et les valets, portaient de grandes cocardes tricolores, et de l'intérieur de la voiture on agitait un petit étendard républicain. Il n'en fallut pas davantage pour que le peuple, qui se crut insulté, fit éclater son indignation. De grandes

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