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sailles de même espèce. Nous avons vu comment Robespierre tourna contre Louis XVI le principe que Louis XIV avait tourné contre le Pape.

Au milieu de ses travaux pour la restauration législative et administrative de la France, au milieu de tant de complots contre sa personne, Bonaparte, premier consul, faisait mouvoir quatre armées pour l'exécution d'un vaste plan qu'il avait conçu. L'armée d'Italie, forte de quatre-vingt-dix mille hommes, commandée par Brune; l'armée gallo-batave, de vingt mille hommes, commandée par Augereau; l'armée d'Allemagne, de cent quarante mille hommes, à la tête de laquelle était Moreau ; l'armée des Grisons, de quinze mille, que Macdonald commandait, et un corps de réserve de dix mille hommes sous les ordres de Murat: telles étaient les forces disponibles de la France. Ces deux cent soixante-quinze mille hommes menaçaient l'Autriche et Vienne, sa capitale; Vienne, que Bonaparte, malgré la rigueur de la saison, avait résolu de prendre. Le vingt-quatre novembre 1800, tous les corps s'ébranJèrent et repoussèrent devant eux les partis d'ennemis qui, malgré des résistances, furent forcés à la retraite. Le cinq décembre, Moreau gagna la célèbre bataille de Hohenlinden, presque sous les murs de Vienne. Le vingt-cinq décembre suivant, il y eut un armistice puis, le neuf février 1801, paix de Lunéville entre la France et l'Autriche; le vingt-huit mars, traité de paix entre la France et le roi de Naples ; le vingt-neuf septembre, entre la France et le Portugal; enfin, le vingt-cinq mars 1802, paix d'Amiens, entre la France et l'Angleterre. C'est ainsi que la France et l'Europe, après neuf années d'une guerre acharnée, furent ramenées sous l'empire de la paix.

Une pacification encore plus importante, qui couronne toutes les autres et qui commence une nouvelle ère dans l'histoire de l'Eglise catholique, c'est la paix, la réconciliation de la France révolutionnée avec le centre de l'unité, le successeur de saint Pierre, par le concordat de 1801. La première ouverture en fut faite par le vainqueur de Marengo. Le dix-neuf juin 1800, cinq jours après cette fameuse bataille, Bonaparte disait au cardinal Martiniana, évêque de Verceil, que son intention était de bien vivre avec le Pape et même de traiter avec lui pour le rétablissement de la religion en France. Cette déclaration de Bonaparte avait été si spontanée, si claire, si précise, au milieu des immenses détails de son administration militaire, que le même jour le cardinal Martiniana écrivit au premier consul qu'il acceptait la commission qu'on lui donnait de témoigner de si bonnes dispositions pour les affaires du

Saint-Siége. Le vingt-six juin, le cardinal fit connaître au Pape cette détermination. Le dix juillet, Pie VII lui répondit directement de Rome, où il venait de faire son entrée, qu'il ne pouvait pas recevoir une nouvelle plus agréable: « Vous pouvez dire au premier consul, terminait-il sa lettre, que nous nous prêterons volontiers à une négociation dont le but est si respectable, si convenable à notre ministère apostolique, si conforme aux vues de notre cœur. » Le prélat Consalvi, qui, pour déterminer le conclave à nommer un Pape conciliant, avait prédit que les Français ne tarderaient pas à rentrer en Italie, fut nommé cardinal pour suivre ces négociations à Rome. Monseigneur Spina, archevêque de Corinthe, le même qui avait accompagné Pie VI prisonnier en France, et qui lui avait fermé les yeux à Valence, fut accrédité à Paris. Un bref du treize septembre annonça à tous les évêques français les espérances du Pape: ou proposa un concordat, et, au mois de mars 1801, le premier consul envoya à Rome comme ministre plénipotentiaire, mais sans lettre de créance, M. Cacault, son collègue au traité de Tolentino, plus que jamais connu pour être un diplomate sage. Il y arriva le huit avril; il vit le cardinal Consalvi le jour même et fut présenté au Pape le lendemain. Lorsqu'il avait pris congé du premier consul, ce plénipotentiaire lui avait demandé comment il fallait traiter le Pape. « Traitez-le, répondit le guerrier, comme s'il avait deux cent mille hommes. Vous savez qu'au mois d'octobre 1796, je vous écrivais combien j'ambitionnais plus d'être le sauveur du Saint-Siége que son destructeur, et que nous avions à cet égard, vous et moi, des principes conformes. » Le plénipotentiaire français eut pour secrétaire de légation le chevalier Artaud, historien du Pape Pie VII.

Les affaires, qui avaient marché d'abord avec quelque célérité, éprouvèrent bientôt des entraves de toutes parts. L'empereur d'Allemagne et le roi de Naples voyaient avec peine que le Pape allait se réconcilier avec la France et y trouver peut-être un appui contre eux. A Paris, le premier consul voulait sincèrement un concordat, mais ses ministres n'en voulaient guère. Quelques-uns de ses géné raux, élevés dans les principes de l'incrédulité voltairienne ou même sans aucun principe, ne voulaient d'aucune religion. D'autres voulaient qu'il se fit lui-même créateur d'une religion nouvelle. D'autres poussaient au protestantisme. Le clergé schismatique ou constitutionnel, qui avait vu beaucoup de ses évêques et de ses prêtres se déshonorer par une apostasie publique; le clergé constitutionnel, repoussé par la masse de la nation, faisait tout son possible pour pallier sa nullité et se donner de l'importance; les évê

ques qui lui restaient tenaient des assemblées qu'ils appelaient des conciles, publiaient des circulaires qu'ils appelaient encycliques : le plus remuant était le régicide Grégoire, évêque civil de Loir-etCher. Les évêques catholiques, dès le commencement du schisme, avaient offert leur démission à Pie VI, afin qu'il pût remédier plus aisément aux maux de leur patrie. Depuis ce temps, quelques-uns étaient morts, les autres dispersés à l'étranger ou cachés en France. Le gouvernement demandait une nouvelle circonscription de diocèses, adaptée à celle des départements; il le demandait, nonseulement pour l'ancienne France, mais encore pour la Savoie, la Belgique et les électorats de Mayence, de Trèves et de Cologne, qui faisaient partie de la France nouvelle. Car, chose remarquable, ces mêmes électeurs qui naguère, forts de leur qualité de princes de l'Eglise et de l'empire, faisaient une guerre de schisme au Pape, se voyaient ou allaient se voir dépouillés de leur double puissance, et leurs électorats mêmes supprimés. Tels étaient les éléments divers et confondus de ce nouveau chaos. Il s'agissait d'une opération unique dans l'histoire ; il s'agissait, par un même acte, d'anéantir tout un monde et d'en créer un autre ; il s'agissait, par un seul acte, d'anéantir tous les évêchés existants de la nouvelle France, et d'en créer de nouveaux à leur place. A qui demander cet acte de toute puissance ecclésiastique? Dans l'état présent des choses, impossible de recourir à un concile général, insensé même de penser à un concile national. Il n'y a sur la terre qu'une seule autorité pour faire ce qu'on demande, c'est celui-là même à qui le ToutPuissant a dit : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise; et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux. Celui-là même à qui les évêques de France et des bords du Rhin, pour plaire à la puissance temporelle, contestaient plus ou moins la plénitude de sa puissance spirituelle et divine, c'est lui que la puissance temporelle pressera de tout délier dans leurs diocèses et de tout lier dans des diocèses nouveaux, tout, y compris les diocèses mêmes. En sorte qu'à tout jamais il sera vrai et notoire que la nouvelle église de France n'existe que par Pierre. Et nunc, reges, intelligite: Et maintenant, princes de la terre et princes de l'Eglise, comprenez les sévères leçons de l'Eternel et de son Christ.

Cependant à Paris et à Rome on discutait les articles du concordat, d'après des conventions faites entre le plénipotentiaire français Cacault et le gouvernement du Saint-Siége. Tout d'un coup le plénipotentiaire reçoit ordre de Paris de quitter Rome et de se retirer à Florence auprès du général en chef Murat, si avant trois

jours on n'avait pas signé le concordat dont on discutait les articles dans les deux cours. Le plénipotentiaire reconnut sur-le-champ l'inconséquence de ces ordres. Il résolut d'aller de sa personne à Florence, et de laisser à Rome son secrétaire, auquel il dit entre autres : « Nous ne sommes ni l'un ni l'autre de mauvais chrétiens. J'ai bien vu ce que vous avez été jusqu'ici, moi je suis un révolu– tionnaire corrigé : voilà comme, après les guerres civiles, les hommes de partis différents sont souvent, à côté l'un de l'autre, désarmés et amis. » Il alla immédiatement trouver le cardinal Consalvi, lui lut la dépêche qu'il venait de recevoir, et lui conseilla de partir dès le lendemain pour Paris. < Vous plairez au premier consul, vous vous entendrez; il verra ce que c'est qu'un cardinal homme d'esprit, vous ferez le concordat avec lui. Si vous n'allez pas à Paris, je serai obligé de rompre avec vous, et il y a là-bas beaucoup de ministres qui ont conseillé au directoire de déporter Pie VI à la Guyane. Il y a des conseillers d'état qui raisonnent contre vous ; il y a des généraux railleurs qui haussent les épaules. Si je romps avec vous, Murat, autre Berthier, marchera sur Rome; une fois qu'il sera ici, vous traiterez moins avantageusement qu'aujourd'hui... Arrêtons une disposition de choses qui sera satisfaisante', et qui rappellera même Paris à la raison. »

Cacault eut le même jour une audience de Pie VII, qui lui dit : << Monsieur, vous êtes une personne que nous aimons avec une grande tendresse. Ce conseil que vous nous donnez vous-même, de ne pas signer un concordat en trois jours, est une action admirable dans votre position. Mais Consalvi à Paris, Rome abandonnée, et nous demeuré seul dans ce désert!!! Très-saint Père, reprit le ministre, j'engage ma foi de chrétien et d'homme d'honneur, que je donne ce conseil de moi-même, qu'il ne m'a été suggéré par personne, que mon gouvernement n'en sait rien, que je n'agis ici que dans l'intérêt des deux cours, et peut-être plus dans l'intérêt de la vôtre que de la mienne. Le premier consul vous honore; il m'a dit Traitez le Pape comme s'il avait deux cent mille hommes. Il vous reconnaît une grande puissance. Apparemment qu'aujourd'hui il s'en voit le double autour de lui, car il ne parle plus sur un certain pied d'égalité. S'il se donne l'avantage, une noble confiance vous le rendra. Privez-vous de Consalvi quelques mois ; il vous reviendra bien plus habile. »

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Napoléon reçut froidement, le cardinal Consalvi, qui en route avait fait une étourderie diplomatique; mais peu à peu il lui témoigne de la bienveillance, de l'amitié, de la confiance même; enfin il lui propose des projets de concordat hardis, presque protestants,

[ Livre 90. au moins jansénistes, les modifie, tombe à la fin lui-même, ainsi qu'il l'a dit plusieurs fois, sous le charme des grâces de la sirène de Rome, et termine la rédaction de cette convention appelée aujourd'hui concordat de 1801. Ce fut une minute traduite de l'italien en français, et remise par le cardinal Consalvi, qui servit de première base. Les différents articles furent commentés par le premier consul, qui les lisait souvent, qui les étudiait à part, quoique paraissant n'y pas prendre autant d'intérêt; les deux autres consuls aussi manifestèrent des sentiments favorables. Joseph Bonaparte se montra ce qu'il était redevenu depuis les scènes de Rome, homme doux, judicieux, calme et conciliant. Le traité définitif fut converti en articles français, sur lesquels le père Caselli composa le texte latin. Voici ce concordat tel qu'il a été publié officiellement :

Sa Sainteté le souverain pontife Pie VII et le premier consul de la république française ont nommé pour leurs plénipotentiaires respectifs sa Sainteté, son éminence monseigneur Hercule Consalvi, cardinal de la sainte Eglise romaine, diacre de Sainte-Agathe ad Suburram, son secrétaire d'état; Joseph Spina, archevêque de Corinthe, prélat domestique de sa Sainteté et assistant au trône pontifical, et le père Caselli, théologien consultant de sa Sainteté, pareillement munis de pleins pouvoirs, en bonne et due forme. Le premier consul, les citoyens Joseph Bonaparte, conseiller d'état ; Crétet, conseiller d'état; Bernier, docteur en théologie, curé de Saint-Laud d'Angers, munis de pleins pouvoirs. Lesquels, après l'échange des pleins pouvoirs respectifs, sont convenus de ce qui suit :

Convention entre sa sainteté Pie VII et le gouvernement français.

Le gouvernement de la république reconnaît que la religion catholique, apostolique-romaine, est la religion de la grande majorité des citoyens français. Sa Sainteté reconnaît également que cette même religion a retiré et attend encore en ce moment le plus grand bien et le plus grand éclat de l'établissement du culte catholique en France, et de la profession particulière qu'en font les consuls de la république. En conséquence, d'après cette reconnaissance mutuelle, tant pour le bien de la religion que pour le maintien de la tranquillité intérieure, ils sont convenus de ce qui suit :

Art. 1. La religion catholique, apostolique-romaine, sera librement exercée en France. Son culte sera public, en se conformant aux règlements de police que le gouvernement jugera nécessaires pour la tranquillité publique. Art. 2. Il sera fait par le Saint-Siége, de concert avec le gouvernement, une nouvelle circonscription des diocèses français. Art. 3. Sa Sainteté déclarera aux titulaires des

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