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tution civile du clergé, et vingt-neuf nommés depuis de différentes manières et d'après des formes arbitraires. Ces derniers avaient des titres moins authentiques encore, s'il est possible, et n'avaient été choisis que par des métropolitains avides de perpétuer le schisme, ou par des fractions de clergé incapables de représenter chaque diocèse. Les autres diocèses constitutionnels, au nombre de vingtsix, n'avaient point d'évêques, et n'en étaient que plus tranquilles. Cependant, le vingt-neuf novembre 1801, Pie VII publia une bulle pour l'exécution du concordat; elle commençait par ces mots : Qui Christi Domini. Le Pape y témoignait son regret de ce que plusieurs évêques, ou ne lui avaient point encore envoyé leurs démissions, ou ne lui avaient écrit que pour lui exposer les raisons qu'ils croyaient avoir de différer ce sacrifice. Il avait espéré, disaitil, n'être pas forcé de déroger au consentement de ces évêques. Mais il avait jugé que la situation de la religion, le bien de la paix et de l'unité devaient l'emporter sur toute autre considération, quelque grave qu'elle pût être. Il déclarait en conséquence, et de l'avis de plusieurs cardinaux, déroger au consentement des évêques et des chapitres. Il leur interdisait l'exercice de leur juridiction et déclarait nul tout ce qu'ils pourraient faire en vertu de cette juridiction. Il anéantissait toutes les églises épiscopales existantes alors en France, avec tous leurs droits et priviléges, et créait à leur place soixante nouveaux siéges, partagés en dix métropoles. On fit cadrer cette division avec la division par département, de manière que chaque diocèse comprenait un ou deux et même quelquefois trois départements, et que les soixante siéges s'étendaient sur tout le territoire occupé précédemment par les cent trente-cinq évêchés de France et par les vingt-quatre des pays réunis. Du reste, il n'était nullement question dans la bulle qui Christi Domini des diocèses créés par la constitution civile du clergé. Cette circonscription était regardée comme non avenue, et le Pape n'avait pas eu besoin d'éteindre la juridiction de gens qui n'en avaient pas.

Immédiatement après la ratification du concordat, Pie VII envoya un légat à latere pour en suivre et diriger l'exécution. Ce fut le cardinal Caprara, évêque d'Iési, précédemment nonce à Cologne, à Lucerne et à Vienne. Le cardinal Consalvi, qui avait négocié le traité, s'en retourna près du Pape. Une des premières demandes du légat fut la permission de transporter le corps de Pie VI de Valence. Monseigneur Spina, archevêque de Corinthe, le même qui l'avait accompagné dans son exil et assisté à la mort, l'accompagna dans son retour posthume. Ce fut comme une marche triomphale à travers l'Italie, surtout à l'approche et à l'entrée de Rome. La ville

entière, et même l'Europe entière, en la personne de ses ambassadeurs, faisait partie du cortége funèbre. Comme le trésor pontifical, épuisé par les calamités précédentes, ne pouvait suffire à tout ce qu'on souhaitait faire pour honorer celui qui revenait de l'exil, tout le monde, en particulier l'ambassade de France, fournit avec empressement tout ce qui pouvait convenir. Le dix-huit février 1802, dans la basilique de Saint-Pierre, eurent lieu la messe solennelle, l'oraison funèbre et puis les obsèques, qui furent faites par Pie VII en personne, en présence des ambassadeurs de toutes les puissances chrétiennes. C'était comme une amende honorable de toute l'Europe envers un Pontife qui avait eu à souffrir de toute l'Europe.

Cependant, à Paris, la publication et l'exécution du concordat n'avançaient pas. La principale cause en était à la mauvaise disposition du corps législatif : le premier consul pensa qu'il valait mieux en convoquer un autre. Napoléon avait à combattre de plus d'un côté. A ceux qui ne voulaient d'aucune religion, il faisait voir que la religion est nécessaire pour le bon ordre de la société humaine. A ceux qui poussaient au protestantisme, il répondait que le grand intérêt, la grande force de la France, c'est son unité; y introduire le protestantisme, c'est la briser en deux et la jeter à la queue des nations au lieu de la conserver à la tête. Plusieurs fois, comme il le raconta lui-même plus tard, on fit des tentatives auprès de lui pour l'engager à se déclarer le chef de la religion, en mettant de côté le Pape. On ne se bornait pas là, disait-il à ses compagnons de Sainte-Hélène; on voulait que je fisse moi-même une religion à ma guise, m'assurant qu'en France et dans le reste du monde j'étais sûr de ne pas manquer de partisans et de dévots du nouveau culte. Un jour que j'étais pressé sur ce sujet par un personnage qui voyait là-dessous une grande pensée politique, je l'arrêtai tout court: < Assez, monsieur, assez; voulez-vous aussi que je me fasse crucifier?» Et comme il me regardait d'un air étonné : « Ce n'est pas là votre pensée, ni la mienne non plus; eh bien! monsieur, c'est là ce qu'il faut pour la vraie religion! Et après celle-là, je n'en connais pas ni n'en veux connaître une autre 1. » Cependant, placé à l'école militaire dès l'âge de dix ans, Napoléon sentit plus d'une fois que son instruction religieuse n'avait été ni assez suivie ni assez complète.

Enfin, le nouveau corps législatif étant réuni, le concordat y fut

Conversations religieuses de Napoléon, par le chevalier de Beauterne, p. 111

et 112.

adopté comme loi de l'état le cinq avril 1802. Le conseiller d'état Portalis, avant d'en donner lecture, prononça un discours remarquable où il y a beaucoup de bonnes choses, mais aussi quelquesunes d'inexactes. Il fit adopter en même temps une série d'Articles organiques qui tendaient à mettre le clergé sous la dépendance absolue du gouvernement, et dont on n'avait rien dit dans les négociations du concordat : c'était un reste de la duplicité janséniste qui dirigeait certains personnages influents. Le Pape réclama contre; avec le temps, plusieurs de ces articles ont été abrogés ou expressément ou par le non usage. Tout ce que le gouvernement gagne par ces mesures de défiance, c'est de repousser la confiance et l'affection de ce qu'il y a de meilleur dans le clergé. Le neuf avril, le cardinal Caprara, légat à latere, eut une audience publique du premier consul et commença ses fonctions: on lui reproche de n'avoir pas toujours eu toute la fermeté désirable dans un représentant du chef de l'Eglise universelle. Bonaparte nomma aussitôt à plusieurs des siéges récemment institués, et les autres furent successivement remplis de la même manière. Dix-huit des anciens évêques furent appelés à gouverner de nouveaux diocèses. Malheureusement un ministre en crédit fit nommer aussi douze des anciens constitutionnels: quelques-uns d'entre eux s'étaient réconciliés ou se réconcilièrent sincèrement avec le Saint-Siége; mais trois ou quatre ne firent pas plus d'honneur au gouvernement ni de bien à leur diocèse qu'ils ne témoignèrent de véritable soumission au Pape. La nomination la plus remarquable fut celle de l'ancien évêque de Marseille, le vénérable de Belloy, au siége de Paris. Il avait quatrevingt-douze ans et en vécut encore sept, et mourut à cent ans moins six mois, vénéré de ses nouveaux diocésains.

Enfin, le jour de Pâques, dix-huit avril 1802, à Notre-Dame de Paris, la nouvelle église de France, ressuscitée par la grâce de Dieu et par l'autorité du Saint-Siége, célébra sa propre résurrection avec celle du Sauveur. Le cardinal-légat, représentant du vicaire de Jésus-Christ, chanta la messe solennelle. Les consuls s'y étaient rendus en grande pompe. Un cortége nombreux, composé des premières autorités, les y accompagnait. Vingt évêques nouvellement institués prêtèrent serment. M. de Boisgelin, un de ces prélats, qui venait de passer de l'archevêché d'Aix à celui de Tours, prononça un discours analogue à la circonstance; il montra la Providence dirigeant en secret la marche des événements et les amenant au but marqué dans ses décrets. Les choses parlaient encore plus éloquemment que l'homme. Les assistants ne pouvaient en croire leurs yeux. Il y a peu d'années, ils avaient vu l'impiété triomphante

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Page 536, ligne 26, deux siècles, lisez un siècle.

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