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étude expresse de l'éloquence sacrée, de l'éloquence sacrée, et qu'il la possédât parfaitement'.

C'est en prêchant et en faisant prêcher de cette manière que l'homme de Dieu charmait les pasteurs et les peuples, et dans les missions et dans les retraites. A Ciorani seulement, on voyait réunis à chaque ordination cent trente à cent cinquante clercs de quatorze diocèses du royaume. A la suite de ces exercices, bien des jeunes gens renonçaient à entrer dans les ordres, effrayés qu'ils étaient en considérant les graves obligations du sacerdoce. Les évêques euxmêmes, voyant le profit qu'on en retirait, venaient y prendre part et y assistaient avec une grande partie de leur clergé. Innocent SanSeverino, étant évêque de Montemarano, avait coutume de se rendre à Ciorani avec un grand nombre de ses prêtres. Volpe, évêque de Nocera, et Borgia, évêque de Cava, faisaient de même. Parmi tant de personnages remarquables venus à Ilicéto, l'on cite Campanile, évêque d'Ascole; Onorati, évêque de Trevico; Basta, qui fut évêque de Melfi; Amato, évêque de Lacedogna; et Brancaccio, évêque d'Ostuni et qui était alors grand-vicaire d'Ariano. Tous ces prélats se faisaient accompagner d'abord de la moitié de leur clergé, et, de retour dans leur diocèse, ils envoyaient l'autre moitié. L'évêque de Melfi fut une fois si touché de la grâce pendant ces exercices, qu'il voulait se démettre de son évêché et se faire Carme réformé ; il l'aurait fait s'il n'en eût été empêché par son directeur. Telle était la congrégation du Saint-Rédempteur en 1762, trente ans après qu'elle eut été fondée par saint Alphonse de Liguori.

Agé de près de soixante-six ans, accablé d'infirmités, le grand serviteur de Dieu se croyait au bout de sa course, lorsqu'il se vit lancé dans une nouvelle carrière, appelé à de nouvelles œuvres, à de nouveaux combats. Le neuf mars 1762, il reçut une lettre du nonce apostolique à Naples, qui lui annonçait que le pape Clément XIII l'avait nommé à l'évêché de Sainte-Agathe des Goths. A cette nouvelle, il est comme frappé de la foudre, ses sens se troublent, il ne peut parler: on le trouve tout agité et baigné de larmes. Cependant il se persuade, ainsi que ses confrères, que le Pape n'a voulu que lui donner une marque d'estime et qu'il n'insistera pas. Il écrit donc une lettre de renonciation où, remerciant le Saint-Père de sa bienveillance, il lui expose son incapacité, son grand age et ses infirmités, le vœu qu'il a fait de ne jamais accepter de dignité, le scandale que son acquiescement produirait dans sa congrégation. Le lendemain arrive une lettre confidentielle du car

• Mémoires sur la vie et congrégation de saint Liguori, 1. 2, c. 55.

dinal Spinelli, où on lui mande : Le Saint-Père veut que vous acceptiez immédiatement, pour le tirer d'embarras; plus tard, vous serez libre de renoncer, lorsque les affaires seront plus tranquilles. C'est que pour cet évêché s'était présenté un grand nombre de compétiteurs, parmi lesquels les plus appuyés étaient les moins dignes. Afin de les écarter sans froisser personne, Clément XIII, suivant l'avis du cardinal Spinelli lui-même, nomma Alphonse, dont le mérite éclatant ferait taire toutes les prétentions. Cette confidence mit le saint dans une terrible inquiétude. Il mit tout en œuvre, prières, jeûnes, austérités extraordinaires, pour conjurer ce qu'il appelait une tempête si violente. Et de fait, le quatorze mars au soir, le Pape, touché de ses infirmités et de sa vieillesse, se montra disposé à accepter sa renonciation; mais le lendemain matin, sans qu'on sût pourquoi, il prit une décision contraire. Alphonse en ayant reçu la nouvelle, tomba dans de telles convulsions, que pendant cinq heures il resta sans parole. Lorsqu'il fut revenu à lui, il écrivit au nonce apostolique qu'il était prêt à accepter l'évêché et à se soumettre à toutes les volontés du souverain Pontife. Cependant il tomba si dangereusement malade, qu'un instant on le crut mort. Aussitôt après son rétablissement, il fit le voyage de Rome et de Lorette. Clément XIII l'entretint jusqu'à six ou sept fois, et cela des heures entières. « L'obéissance, lui dit-il, fait faire des miracles; confiez-vous en Dieu, et Dieu vous assistera.> De son côté, Alphonse lui dit pour tout remercîment : « Très-SaintPère, puisque vous avez daigné me faire évêque, priez Dieu pour que je ne perde pas mon âme. » Il fut sacré à Rome le quatorze juin 1762. Le Pape dit ce jour aux cardinaux : « A la mort de monseigneur de Liguori, nous aurons un saint de plus à honorer dans l'Eglise.» Le onze juillet, il entrait dans sa ville épiscopale de Sainte-Agathe des Goths: elle est située entre Bénévent et Capoue, aux confins de l'ancien Samnium, et a remplacé l'antique Saticola dont il est question dans les temps les plus reculés de l'Italie. Les Goths l'ayant réparée, lui donnèrent le nom de Sainte-Agathe. Elle avait eu pour évêque le cardinal de Montalte, qui fut SixteQuint.

Liguori évêque continua sa vie pauvre et pénitente de missionnaire. Voici quel fut, pendant les treize années de son épiscopat, le règlement de sa journée. A son lever, il se donnait une sanglante discipline; suivait une demi-heure d'oraison en commun avec toutes les personnes de la maison ; les heures canoniales, la sainte messe, après laquelle il en entendait une autre en action de grâces. Ensuite il donnait audience à tous ceux qui se présentaient, ou travaillait

à composer des livres. Le mobilier de sa chambre ne consistait qu'en une table à écrire sur laquelle il y avait un crucifix et une image de la sainte Vierge. Sa table, pauvre et frugale pour lui, l'était un peu moins pour ceux de sa famille. Pendant le repas, chacun faisait la lecture à son tour. C'était le plus souvent dans la vie de saint Charles Borromée. Après le dîner, suivant l'usage d'Italie, il accordait à ses gens une heure de repos.: bien souvent lui-même n'en prenait point, mais employait ce temps à l'étude. Il consacrait une demi-heure à lire les vies des saints, suivie d'une demi-heure de méditation, après quoi il récitait vêpres et complies. Le reste de la journée, il se donnait aux affaires ou à l'étude. Le soir enfin, il ne sortait pas, mais continuait son travail sans se permettre aucun relâche. A une certaine heure, il réunissait toute sa maison pour réciter en commun le rosaire, les litanies de la sainte Vierge, que suivait l'examen de conscience. Venait le souper, après lequel Alphonse s'entretenait quelques moments avec son grand-vicaire. Tout le monde s'étant retiré, il reprenait ses occupations scientifiques ou se tenait en oraison. Son estomac n'en souffrait pas, car il mangeait de manière à pouvoir immédiatement se remettre à la prière ou à l'étude.

Le nouvel évêque commença par donner les exercices de la retraite au clergé, et de la mission au peuple de sa ville épiscopale; les fruits en furent des plus consolants: Alphonse les consolida par sa fermeté à réprimer les scandales, et dans le clergé et dans le peuple. Pour réformer son séminaire, qui en avait besoin, il commença par un examen général qu'il présida lui-même, donna ensuite des vacances, à la fin desquelles tous ceux qui voulaient rentrer devaient lui en adresser la demande. Par cette mesure, il élimina de la maison tout ce qui ne convenait point aux règles sévères qu'il voulait y établir. Lui-même choisit le portier, disant : Si la mort entre en nous par les fenêtres, c'est par la porte qu'elle entre dans les séminaires. Il voulait que tous les élèves demeurassent dans la maison: Les externes, disait-il, servent de messagers aux séminaristes, ce qui est très-dangereux pour les mœurs des uns et des autres. Il désigna Tournéli pour la théologie dogmatique, Fortuné de Brescia pour la philosophie. Lui-même assistait aux répétitions et aux thèses. Il y tenait si fort, que quand une indisposition le retenait dans son lit, il voulait que la thèse du mois eût lieu dans sa chambre. L'examen de tous les ordinands se faisait en sa présence. Il était surtout sévère pour l'admission au sousdiaconat: Car, disait-il, si je prononce A, nécessairement je dois dire B. Il lui arriva d'en tenir un jusqu'à cinq heures de suite sur

75 la sellette. Mais s'il veillait ainsi à la science, il veillait encore bien plus à la piété. Enfin, le spirituel ne lui faisait point négliger le matériel: il assainit et agrandit les bâtiments, et eut un soin particulier de la santé des élèves. Lorsque la renommée eut publié toutes ces choses, le séminaire se peupla d'excellents sujets; les étrangers se faisaient gloire d'y envoyer leurs enfants; les sciences et les vertus y florissaient une impartialité parfaite entretenait l'harmonie entre les supérieurs et les élèves, de sorte que les jeunes gens préféraient cet établissement à tout autre ; et de même que le séminaire d'Aversa avait été célèbre, du temps du cardinal Caracciolo, celui de Sainte-Agathe acquit la même réputation sous monseigneur de Liguori.

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Avec la réforme du séminaire, il faisait marcher la réforme du clergé diocésain. Les prêtres peu édifiants, il les faisait venir et leur adressait les remontrances convenables. Le plus grand nombre changea de vie, il en plaça quelques-uns dans des cloîtres, très-peu se mirent dans le cas d'être punis à la rigueur. Il les examinait en particulier sur les rubriques de la messe, et il en trouva plusieurs qui ne les savaient pas : défense à eux de célébrer, jusqu'à ce qu'ils eussent donné preuve de leur savoir. Il examinait les confesseurs sur la théologie morale, et se vit dans la nécessité d'en interdire plus d'un. Dans sa ville épiscopale et les faubourgs, il trouva quatre curés absolument incapables de leur ministère par leur ignorance. Pour sauver leur réputation en les remplaçant par d'autres, il les nomma chanoines. Plusieurs portaient des cheveux bouclés et parfumés: Alphonse blâma et interdit de pareils usages. Il rencontra un prêtre qui avait obtenu de Rome la permission de porter une perruque, toutefois avec l'approbation de l'évêque. Alphonse voulut la voir, et, ne la jugeant pas convenable, il la plongea dans un vase d'eau bouillante, et en fit tomber les boucles. Voilà comme elle doit être, dit-il en souriant, et pas autrement. Il prononça peine de suspense contre celui qui mettait moins d'un quart d'heure à dire la messe. Il publia même un opuscule sur la messe précipitée, afin d'arrêter un pareil désordre.

Il veillait avec grande attention à la propreté des églises et des autels. Une toile d'araignée dans le temple était un sujet de réprimande sévère pour les curés et pour les sacristains. Il aurait désiré plusieurs lumières devant les saints tabernacles; mais il dut se contenter d'une seule à cause de la pauvreté des églises. Dans une paroisse, il ne trouva qu'une chétive lampe sur une fenêtre; il en fut indigné, et la fit remplacer par une lampe de cuivre, suspendue en face de l'autel. Qu'aurait-il donc dit de tant d'églises en d'autres

pays où il n'y a point de lampe devant le saint-sacrement, ou bien, s'il y en a une, elle n'est point allumée?

Dans toutes les paroisses populeuses, il rétablit pour les clercs la conférence des cas de morale. Afin que le même cas fût discuté le même jour par tout le diocèse et qu'aucun prêtre ne pût trouver d'excuse pour ne pas s'y préparer, il fit lui-même un choix de diverses questions, et tous les ans il faisait imprimer dans le calendrier du diocèse la liste des cas pour chaque semaine. Afin d'obliger chacun à se bien préparer avant d'arriver aux séances, il voulut que les noms de tous les membres fussent mis dans une boîte, et que l'on tirât au sort celui qui ferait la conférence; quand le tirage était fait, on remettait le billet dans la boîte; car il importait que le même nom fût plusieurs fois exposé aux chances du sort. Autrement, disait Alphonse, celui dont le nom sera une fois sorti, fermera pour long-temps son livre de morale, assuré qu'il sera de ne plus être appelé avant que tous les noms soient épuisés.

En arrivant dans un pays, il se dirigeait tout d'abord vers l'église principale, où il ouvrait la visite par un discours au peuple, et annonçait l'indulgence plénière pour tous ceux qui, après s'être confessés, communieraient et visiteraient cette église dans le cours de la visite. Lorsque le lendemain de son arrivée était un dimanche ou un jour de fête, et que la paroisse était assez populeuse, il avait coutume d'officier pontificalement. Si cette église n'était pas une collégiale, il avait soin de faire venir à ses frais sept chanoines de sa cathédrale ou de la collégiale la plus voisine, et les séminaristes de l'endroit. Il prêchait pendant tout le cours de la visite. Dès le second jour de son arrivée, il ouvrait dans l'après-midi la mission, qui durait huit jours consécutifs; le peuple ne sortait de l'église que vers les sept heures du soir. Tous les jours il faisait lui-même avec le peuple la visite au saint-sacrement, qui était encore un nouveau sermon. Il rappelait les motifs d'aimer Jésus-Christ et de haïr le péché. La componction était générale, et toutes les paroles portaient leur fruit. Au premier coup de la cloche, tous accouraient en foule à l'église pour entendre, comme ils disaient, le saint qui leur aplanissait la voie du ciel. Il donnait encore chaque matin, pendant ces huit jours, une retraite au clergé, ainsi qu'aux monastères de religieuses qui se trouvaient dans la ville. Après vêpres, il rassemblait les enfants dans l'église, pour leur faire lui-même le catéchisme.

Lorsque le saint évêque cut pris une entière connaissance de l'état de son diocèse, il publia six ordonnances pour la réforme des abus. La première regarde les chanoines, les prêtres de la cathé

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