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l'inexécution du contrat, d'en fournir la preuve (1). En France, au contraire, la jurisprudence a toujours protesté contre les idées nouvelles, et, repoussant l'idée de présomption de faute (2), considère que l'occupation d'un emploi entraîne l'acceptation des risques professionnels qui s'y rattachent (3).

12.

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Rapprochement avec la jurisprudence en matière de transport de voyageurs. Si la théorie de la garantie contractuelle n'a pas triomphé pour la réparation des accidents industriels, elle semble, au contraire, consacrée, quant à ceux qui atteignent les voyageurs. Il a été décidé, par des arrêts récents, que l'entrepreneur de transports qui prend charge de leur personne, s'oblige à les remettre sains et saufs au lieu de destination; « ils sont donc protégés par la loi du contrat en dehors des dispositions des articles 1382 et suivants du Code civil; le voiturier est responsable du dommage qui vient à être subi, et c'est à lui qu'il appartient de faire la preuve que l'accident est dû à une cause, cas fortuit ou force majeure, qui ne lui est pas imputable (4). »

13. Longtemps on avait admis que la responsabilité du transporteur était délictuelle comme celle du patron, et le revirement de jurisprudence que nous venons de signaler est dû à l'influence du même mouvement de doctrine qui a échoué pour le contrat de louage d'ouvrage (5). Ce succès partiel est dû à ce que, pour le contrat de transport, nous avons un texte, l'article 1784 du Code civil, qui rend les voituriers responsables de la perte et des avaries des choses qui leur sont confiées, à moins qu'ils ne prouvent qu'elles ont été perdues et avariées par cas fortuit ou force

(1) Gand, 18 juin 1887; S. 89, IV, 1; Cass. Belge, 8 janv. 1886; S. 86, IV, 25; Cass. Belge, 28 mars 1889; S. 90, IV, 17

(2) Cass. sol. imp., 31 mai 1886: S. 87, I, 209.

(3) Rouen, 29 juin 1888; S. 89, II, 140.

(4) Paris, 27 juill. 1892; S. 93, II, 93; Trib. Comm., 10 sept. 1893; Gaz. des trib., 23-24 oct.; Paris, 23 juillet 1894, Gaz. Pal., 19 déc.

(5) V. les notes de MM. Lyon-Caen, sous Cass., 10 nov. 1884; S. 85, I, 129, et Labbé sous Toulouse, 5 déc. 1893; S. 94, IF, 57.

majeure. Pour étendre cet article des objets matériels pour lesquels il est écrit, aux personnes, il suffisait de reconnaître, ce qui est évident, qu'il ne constitue pas une disposition dérogatoire au droit commun et faisant peser sur le voiturier une exceptionnelle présomption de faute, qu'il n'y a là qu'une application particulière du principe général de l'article 1147.

14.- Si justifiable que soit cette jurisprudence, et je l'accepte en principe, elle appelle, cependant, à raison de la formule peut-être trop générale par laquelle elle s'affirme, quelques observations du plus haut intérêt pour la question des accidents industriels, que je ne perds pas de vue dans mon apparente digression.

Malgré les facéties usuelles dans le monde des chemins de fer, où l'on définit plaisamment le voyageur un <«< colis qui se charge lui-même. » l'assimilation n'est pas toujours absolument exacte entre les choses et les personnes transportées. Ces dernières peuvent être atteintes dans deux variétés de circonstances qu'il convient de bien distinguer. D'abord il se peut que le voyageur soit tué ou blessé à sa place dans le véhicule, fiacre, omnibus, vagon, c'est ce qui se passera notamment en cas de collision.

Nous dirons que, dans cette hypothèse, il est dans la même situation matérielle et morale, si je puis m'exprimer ainsi, que ses propres bagages, et la théorie de la garantie contractuelle doit s'appliquer avec toutes ses conséquences.

Supposons, au contraire, une personne blessée ou tuée lorsqu'elle traversait une voie, montait dans une voiture ou en descendait, l'article 1784 et l'article 1147 s'appliqueront moins facilement. « Prouvez, dira la victime au voiturier, que vous avez rempli votre obligation de veiller à ma sûreté, de me rendre saine et sauve à l'arrivée. » « Prouvez vous-même, répondra ce dernier, que vous avez rempli les obligations qui vous incombent, que les règlements vous imposent, d'être prudent, de ne pas traverser les voies sans vous renseigner auprès des employés, d'attendre l'arrêt

complet pour monter ou descendre. » Le dialogue peut continuer ainsi indéfiniment, et on ne voit pas de moyen d'éviter à la victime de l'accident la charge de la preuve.

15. Obligations de l'ouvrier dans le contrat de louage d'ouvrage. Ces quelques considérations sur la responsabilité du transporteur nous font toucher le point faible de la théorie si ingénieuse de MM. Sauzet et Sainctelette. Ces auteurs raisonnent toujours comme si le contrat, qui unit l'employeur et l'employé, ne faisait naître, en ce qui concerne la sécurité des personnes, d'obligations qu'à la charge du premier. Il y a là une erreur évidente, et M. Delecroix a très justement appelé l'attention sur les engagements qui pèsent sur les travailleurs eux-mêmes et qui ont été beaucoup trop méconnus. « L'ouvrier, dit-il, souscrit une obligation corrélative de celle du patron; par le seul fait du contrat il s'engage de son côté à observer le règlement de l'atelier, à obéir aux ordres donnés dans l'intérêt de la conservation des personnes et des choses. » Ajoutons qu'il doit observer toutes les précautions qu'impose la prudence. Si un accident survient, la victime, qui l'a peut-être amené par sa propre inexécution du contrat, ne peut, par conséquent, se borner, pour réclamer une indemnité, à invoquer les obligations contractuelles du chef de l'entreprise. On ne pourrait sortir de ce circuit de preuves qu'en faisant intervenir une présomption de faute, qui ne résulte d'aucun texte et que l'on ne pourrait sans injustice faire peser sur l'une des parties plutôt que sur l'autre.

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16. On ne peut admettre une obligation absolue de garantie. Théorie de M. Labbé. Il est donc impossible de poser en principe une obligation de garantie absolue pesant sur l'industriel, quant aux accidents qui peuvent atteindre son personnel. Nous ne pouvons réellement supposer, à défaut de clause formelle d'un contrat, qu'il a entendu prendre un engagement aussi étendu et aussi contraire à la réalité de la vie industrielle. Un des plus éminents jurisconsultes de notre

siècle, mon regretté maître M. Labbé, l'a bien senti et s'est appliqué, avec sa finesse habituelle, à atténuer, pour la sauver, la théorie de la garantie contractuelle compromise par les excès de ses défenseurs.

Voici dans quels termes il convient, d'après lui, de la formuler:

Toutes les fois qu'il existe une corrélation apparente entre un accident et le matériel fourni par le patron, c'est à ce dernier à établir qu'il a rempli, relativement à ce matériel, toutes les obligations qui pèsent sur lui, ce qui revient, en fait, à le rendre responsable de tous les accidents, à moins qu'il ne prouve le cas fortuit ou la faute de la victime. « Nous n'avons jamais cru, ni soutenu, disait M. Labbé (1), qu'un ouvrier blessé pût actionner son patron et lui dire : prouvez que vous avez été diligent, attentif dans l'organisation et la direction du travail, sinon vous serez condamné, sans qu'une corrélation apparaisse entre la négligence, l'incurie du patron et l'accident, source du dommage. Non, c'est, à notre avis, un excès. Cela ne serait admissible que dans la bouche de ceux qui pensent que le patron doit la sécurité ou que l'ouvrier est comparable à un corps certain, que le patron reçoit, garde un temps et doit rendre. Nous n'allons pas jusque-là.

>> Nous disons seulement le patron fournit des cordages, des instruments, des machines, tout un milieu artificiel. Les cordages cassent, les instruments fonctionnent mal, la machine éclate: une blessure en résulte. Au patron incombe la preuve que le cordage était en bon état, proportionné à son service, que les instruments étaient d'une bonne fabrication et bien entretenus et non d'une vétusté à faire craindre un malheur. Il doit prouver le cas fortuit, c'est-à-dire l'événement qui défie la prudence humaine, sinon il est respon

sable. >>

On voit que, dans de telles hypothèses ainsi pré

(1) Note au Sirey, 1889, IV, 2.

cisées, la relation de cause à effet entre l'accident et l'outillage que le maître est obligé de fournir en bon état, est manifeste. C'est au maître, selon nous, à s'assurer que l'outillage est propre à un bon fonctionnement; après l'accident, c'est au maître à démontrer que l'accident est dû non au mauvais état de l'outillage, parce qu'il était en bon état, mais à un cas fortuit.

« Le maître, disait-il ailleurs (1), doit veiller avec le plus grand soin à la bonne construction et au bon entretien des machines; il doit multiplier les moyens de prévention contre les substances malfaisantes; il doit organiser et mettre à portée des secours et des remèdes; il doit se tenir au courant de tous les perfectionnements qui diminuent les chances d'accident. Si un malheur arrive, si un ouvrier est blessé et que la blessure provienne de l'instrument, de l'appareil, de la substance fournie par le maître, celui-ci doit une indemnité, à moins qu'il ne démontre qu'il a rempli les obligations du contrat, c'est-à-dire qu'il a fait tout ce qui relevait de la prudence humaine, afin de prévenir l'accident ou d'en atténuer les déplorables effets, et, comme cette preuve indéfinie est à peu près impossible, cela revient presque à dire : à moins qu'il ne démontre l'intervention d'une force majeure étrangère ou une faute de l'ouvrier. »

C'est dans le même sens que la commission du travail constituée en Belgique a cru devoir mitiger la théorie de M. Sainctelette. Elle prétend faire peser sur le chef d'industrie et de ménage non une garantie. absolue de sécurité, mais l'obligation « de prendre, avec la diligence d'un bon père de famille, toutes les mesures propres à empêcher, autant que possible, que la sécurité de l'ouvrier ou du domestique ne soit compromise pendant l'exécution du travail ou du service, en proportionnant ses mesures au danger plus ou moins grand que celle-ci peut présenter, ainsi qu'à l'âge ou au degré d'apprentissage de l'ouvrier ou du domes

(1) Note au Sirey, 1885, IV, 26.

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