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>> 1° Au conjoint non séparé ni divorcé, et sans enfants; >> 2o S'il y a des enfants mineurs, moitié au conjoint, moitié aux enfants;

» 3o En totalité aux enfants si le conjoint est prédécédé ;

» 4o A défaut d'enfants, moitié au conjoint, moitié aux ascendants dont la victime était l'unique soutien. »

284. · C'était la consécration des idées de M. Félix Martin, et cependant il se plaignit vivement de ce qu'on eût déformé son système, et il qualifia le texte nouveau de « barême odieux au début et fantastique à la fin (1). Outre des critiques de détail que je néglige, il reprochait au texte de la commission d'attribuer aux divers ayants droit des rentes énormes. « Ainsi, disait-il, le conjoint jouira d'une rente viagère égale à 33 0/0 du salaire (31 pour les femmes et 35 pour les hommes). Si le conjoint est prédécédé, la rente d'un enfant unique sera 66 0/0. Supposons qu'il approche de la majorité, il touchera peut-être par jour cinq ou six cents fois le salaire de son père. »

Précisant encore plus cette critique, il montrait que si le père gagnait 3 fr. 50 par jour, un enfant de 17 ans recevrait une rente de 8 francs (2). S'il ne lui restait

une incapacité permanente et absolue; mais le premier a un patron humain, qui constitue immédiatement la rente légale; la victime meurt, la femme et les enfants bénéficient de la reversibilité; l'autre industriel est retors, suscite toute sorte de difficultés et de retards, l'ouvrier succombe avant que sa pension soit réglée, le patron n'aura à verser que les deux tiers du capital de la pension, soit 6,000 fr. au lieu de 9,000; c'est une prime au patron inhumain qui aura intérêt à laisser mourir l'ouvrier, et comme souvent les chefs d'entreprise font soigner les blessés par des médecins à leur choix, ils seront exposés aux accusations les plus terribles. Aussi les industriels préféreront mon système qui les mettra à l'abri du soupçon, en accordant aux ayants droit la totalité et non pas seulement les deux tiers de ce qu'aurait obtenu leur auteur. La nouvelle rédaction (Sén., 12 mai 1890, J. Off., p. 409) qui fut votée par le Sénat, est ainsi conçue: «En cas de mort avant le règlement de l'indemnité, les deux tiers de la pension qu'aurait obtenue la victime, seront transformés en rentes viagères ou temporaires au profit des ayants droit ci-après désignés à l'exclusion de tous autres. >>

(1) Sén., 6 fév. 1890, J. Off., p. 63 et suiv.

(2) Sėn., 25 mars 1890, J. Off., p. 349.

plus qu'un an avant d'atteindre sa majorité, il recevrait 20 francs par jour, produit de la division d'un capital de 6.000 francs par 300 jours (1).

285. Voilà, certes, des résultats fort critiquables; mais ils sont, je le crains, la conséquence logique du système. M. Félix Martin a su les éviter en fixant un maximum pour la rente de chacun des ayants droit, ce maximum étant, dans la première rédaction, fixé à 2 fr. 50 par jour et, dans la seconde, au quart du salaire. Mais, il faut bien le reconnaître, cette limitation nécessaire est la destruction même du principe que l'on a consacré avec tant de solennité de la fixité de l'indemnité en cas de mort. Du moment que vous limitez la pension payée à chacun des ayants droit, vous faites varier, suivant la situation de la famille lésée, l'obligation de l'industriel. La diversité de la rente se retrouve, faisait remarquer très justement le premier rapporteur, aussi bien dans le contre-projet que dans la rédaction venue de la Chambre; la seule différence consiste en ce que le premier de ces textes consacre un maximum unique, plus élevé que les divers maxima du second (25 0/0 au lieu de 10, pour les ascendants, et de 20 pour le conjoint et les enfants (2)). Ce qui aboutit, en fait, à une aggravation des charges qui pèseront sur l'industrie.

Or, sans doute, M. Tolain était tout disposé à augmenter les indemnités, mais il estimait prudent pour le législateur de se montrer modeste et de ne pas aller, dès le début, à l'extrême limite des concessions possibles (3).

286. Le Sénat fut plus logique que M. Félix Martin, dont il rejeta l'amendement pour ne pas revenir à un système qu'il avait abandonné à son instigation. Mais le texte adopté par le Sénat en 1890 étant très

(1) Blavier, Sén., 27 mars 1890, J. Off., p. 364. (2) Tolain, rapp., 2 juill. 1889, J. Off., p. 858.

(3) Sėn., 2 juillet 1889, J. Off., p. 856 et 859. Il convient cependant de remarquer que M. Félix Martin calculait la pension d'invalidité sur la base de moitié du salaire au lieu des deux tiers.

défectueux, pour les raisons que j'ai exposées et pour bien d'autres encore, la Chambre, en 1893, n'en tint aucun compte et reprit, pour base des discussions, la rédaction qu'elle avait adoptée en 1888.

Le texte qu'elle vota a été depuis accepté en 1895 par le Sénat.

287. Malheureusement tout fut remis en discussion par le renvoi à la commission, le 30 janvier 1896, du contre-projet Bérenger. J'ai déjà dit comment ce contre-projet a été définitivement écarté, mais le texte qu'on lui a substitué ne valait guère mieux. Je ne reviens pas sur la critique que j'ai cru devoir en faire (V. plus haut, n° 219), et me borne à en rappeler la partie qui nous intéresse pour le moment. « Si l'accident a entraîné la mort, l'indemnité à accorder à l'époux survivant, aux enfants légitimes ou naturels reconnus, et aux ascendants, ne pourra dépasser le maximum fixé par le paragraphe précédent. » Le texte adopté, en outre de quelques différences de détail sur lesquelles nous reviendrons, comporte un minimum fixé, pour chaque ayant droit, à 20 0/0 du salaire; la commission proposait seulement le chiffre de 10 0/0 qui fut jugé insuffisant. D'autres critiques très graves s'élevèrent contre le système qui a triomphé. Il permettrait en effet au juge, ainsi que l'ont très justement observé MM. Blavier et Félix Martin (1), d'allouer à la veuve ou à un seul orphelin une rente égale à celle que peut obtenir l'ouvrier devenu invalide. Cela est absolument inadmissible pour deux raisons: d'abord, à un taux égal, la pension entraînerait pour l'industriel une charge bien plus lourde, si elle reposait sur la tête, non de l'ouvrier mais de sa veuve, qui est généralement plus jeune que lui et dispose d'une survie probable beaucoup plus longue, puisqu'elle n'est pas mutilée. En outre et surtout, la famille de la victime ne peut, au cas de mort, prétendre à une indemnité aussi forte que celle qui lui serait nécessaire pour entretenir

(1) Sén., 23 mars 1896, J. Off., p. 299-361.

son chef incapable de tout travail (V. plus haut no 276). Il est donc regrettable que le Sénat n'ait pas cru devoir se rallier à l'un des deux amendements de MM. Blavier et Félix Martin (1), et j'espère que la Chambre des députés reviendra aux formules adoptées en 1888, 1893 et 1895.

288. Le conjoint. - Il convient donc d'examiner d'un peu plus près les détails de ces rédactions. Ils mettent en première ligne le conjoint de la victime.

Des projets primitifs, ceux de MM. Félix Faure, Martin Nadaud et de Mun, ne mentionnaient que la veuve de l'ouvrier tué, et l'indemnité, établie en capital, était limitée à deux années de son salaire annuel. Le projet Blavier attribuait à la veuve une rente égale au tiers de ce salaire. Cette rente fut réduite. à 20 0/0 dans l'article 4, § 2, du texte présenté, au nom de la commission, par son rapporteur, M. Duché, aux discussions de la Chambre en 1888. Mais ce texte innovait sur les précédents en ce qu'il prévoyait la mort d'une ouvrière mariée, dans son article 7, qui attribuait en ce cas au mari, aux enfants du mariage, cette indemnité fixe de deux années de salaire. La différence que le projet consacrait ainsi entre les deux sexes, quoique moindre que dans les propositions précédentes, fut vivement critiquée par M. Basly notamment, qui craignait qu'elle n'eût pour résultat d'engager les industriels à remplacer

(1) Voici le texte proposé par M. Blavier: « Si l'accident a entraîné la mort, l'indemnité à accorder à l'époux survivant, aux enfants mineurs, légitimes ou reconnus, ou, à leur défaut, aux ascendants qui auraient droit à une pension alimentaire, est soumise aux conditions suivantes : 1o Aucune des pensions individuelles ne pourra être supérieure à 20% ni inférieure à 10% du salaire de la victime, et l'ensemble des pensions évaluées en capital ne pourra dépasser la valeur du capital correspondant à une pension calculée, au profit de la victime, sur la base de la moitié de son salaire... >>

Voici celui de M. Félix Martin : « Si l'accident a entraîné la mort, la réparation du dommage causé à l'époux, aux enfants légitimes ou naturels reconnus et aux ascendants, est soumise aux conditions suivantes 1° aucune des pensions individuelles ne pourra être supérieure à 50 % du salaire de la victime; 2° l'ensemble des pensions évaluées en capital ne pourra dépasser le capital représentatif d'une pension viagère de moitié du salaire, calculé d'après l'âge de la victime.. >>

dans leurs ateliers les hommes par les femmes, qui les exposeraient à des indemnités moindres ou nulles (1). La Chambre se laissa convaincre, et adoptant un amendement de M. Audiffred (2), attribua une rente égale à 20 0/0 du salaire de la victime à la veuve ou au mari veuf, impotent.

Cette dernière épithète, qui subsiste encore dans le contre-projet de M. Félix Martin, est remplacée, dans le texte du Sénat en 1890, par la formule « incapable de subvenir à ses besoins » qui, elle-même, ne figure plus dans toutes les rédactions postérieures qui portent « au conjoint survivant ou à l'époux », et qui ajoutent «< à condition que le mariage ait été célébré antérieurement à l'accident »>, disposition qui me paraît bien inutile et qui, d'ailleurs, ne figure plus dans le texte du 21 mars dernier.

Elles prévoient également le cas de divorce et de séparation, ainsi que celui de nouveau mariage. Le divorce et la séparation font perdre tout droit à la rente au conjoint contre lequel le divorce a été prononcé. Cette déchéance a été introduite dans le texte voté, en 1888, sur un amendement de M. Trouard-Riolle (3). Le texte voté en 1895 contient, dans l'article 4, § 10, cette disposition :

« Cette rente ne sera due au conjoint divorcé ou séparé de corps que jusqu'à concurrence du chiffre que lui aurait permis de réclamer, soit le jugement qui aura prononcé, le divorce ou la séparation de corps, soit la convention qui en aura été la suite. »>

On a également prévu le cas où le conjoint renté se remarierait. « En cas de nouveau mariage la veuve, dit le texte de 1888, recevra une somme égale à trois fois le montant de la rente qui lui aura été attribuée en vertu de l'article précédent, et cette rente prendra fin à dater du nouveau mariage. » Cette disposition, empruntée aux pratiques des sociétés de secours

(1) Ch., 19 mai 1888, J. Off., p. 1451.

(2) Ch., 2 juill. 1888. J. Off., p. 1960. M. Jourdain, rapp. au Congrès de Paris, I, p. 438, a combattu également toute distinction, pour l'époux survivant, entre l'homme et la femme.

(3) Ch., 2 juill. 1888, J. Off., p. 1967.

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