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la période moindre qu'il a passé au service de l'entreprise, divisé par le nombre de journées de travail faites par cet ouvrier dans l'une ou l'autre de ces périodes... La pension viagère dont il est question s'entend de trois cents fois le salaire quotidien moyen (1). »

Le texte proposé en seconde lecture par la commission (2) et adopté par le Sénat, s'inspirait visiblement des mèmes idées : « Le salaire quotidien moyen s'entendra de la rémunération accordée par le chef d'entreprise à l'ouvrier soit en argent, soit en nature, pendant les douze mois écoulés avant l'accident, la dite rémunération divisée par 365. »

310.-Le projet de 1893 inaugure un troisième système qui consiste à séparer complètement le salaire quotidien moyen, qui ne doit servir que pour le calcul des indemnités temporaires et des frais médicaux et pharmaceutiques, et le salaire annuel sur lequel seront basées les rentes et pensions viagères ou temporaires.

Pour le salaire annuel, il reste, en 1893 et en 1895, ce qu'il était déjà en 1890, le gain effectif en argent ou en nature réalisé dans l'entreprise pendant les douze mois écoulés avant l'accident. La formule « en argent et en nature » était déjà dans l'amendement Blavier. Les rédactions de 1893 et 1895 rétablissent un paragraphe de l'article 13 du projet voté en 1888, d'après lequel la portion du salaire, payée en nature, est évaluée par le juge suivant les usages du lieu.

3. L'amendement de M. Blavier est le premier texte qui ait prévu le cas où l'accident frappe un ouvrier qui travaillait dans l'usine depuis moins d'une année ; c'était le gain réalisé pendant cette période qu'il fallait diviser par le nombre de journées de travail.

Le texte adopté par le Sénat donnait une solution un peu différente, consistant à assimiler ces ouvriers à ceux qui, touchant un salaire identique, auraient, dans

(1) Sén., 12 mai 1890, J. Oft., p. 412. (2) Sén., 13 mai 1890, J. Off., p. 423.

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la même usine, accompli leur année entière. Enfin, le paragraphe correspondant, voté à la Chambre en 1893 et au Sénat en 1895, reproduisait la même idée sous une forme légèrement modifiée : « ........ La rémunération effective qu'il a reçue depuis son entrée dans l'entreprise, augmentée de la rémunération moyenne qu'ont reçu, pendant la période nécessaire, pour compléter les douze mois, les ouvriers de la même catégorie. » Cette expression a été critiquée par M. Félix Martin : «< S'il y a cinq cents ou mille travailleurs de la même catégorie, vous prendrez une moyenne qui constituera une perte sèche pour les bons ouvriers et un avantage pour les mauvais. D'ailleurs, que doit-on entendre par catégories?» Et il a demandé à la commission de revoir cette rédaction pour la deuxième lecture (1). La commission fit plus: elle supprima le paragraphe, qui ne figure plus dans le texte présenté le 20 janvier 1896.

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312. En 1893, une nouvelle hypothèse vint encore s'intercaler dans le texte relatif à la détermination du salaire, qui s'allongeait ainsi à chaque discussion : c'était celle des industries qui ne fonctionnent qu'une partie de l'année, ce qui est le cas, par exemple, pour les sucreries. Pendant la « campagne » les ouvriers gagnent de très forts salaires, de beaucoup supérieurs à ce que leur rapportent les travaux des champs auxquels ils se livrent le reste du temps; il n'est pas admissible que leurs indemnités soient calculées comme si leurs occupations industrielles duraient 365 ou même 300 jours (2). Voilà la raison d'être du paragraphe suivant : «Dans les industries où le travail n'est pas continu, le salaire annuel est calculé tant d'après la période d'activité de ces industries, que d'après le gain de l'ouvrier, pendant le reste de l'année. » M. Félix Martin critiqua ce texte : « Ce que les ouvriers gagnent en dehors de l'usine, est-ce que cela regarde le patron? Va-t-il les interroger sur ce qu'ils font le reste de l'année, et que

(1) Sén., 28 octobre 1895, J. Off., p. 870.

(2) André Lebon, min. du com., ibid., p. 867 et 871.

décider s'ils travaillent à leur compte?» M. André Lebon, ministre du commerce, a très justement répondu qu'à force de prévoir trop de cas particuliers on aboutirait à des textes absolument inacceptables. C'est certainement cette considération qui a décidé la commission à abandonner le paragraphe en question pour la deuxième lecture; mais cette suppression n'était qu'une question de forme, puisqu'un résultat identique et même plus large était obtenu par une modification du § 1er de l'article 8. « Le salaire annuel s'entend du gain effectif réalisé par la victime soit dans l'entreprise où cet accident s'est produit, soit en dehors de cette entreprise pendant les douze mois qui ont précédé l'accident.>>

313. Nous arrivons maintenant au salaire quotidien. En 1893 la Chambre décidait simplement que les indemnités temporaires et les frais de maladie seraient calculés d'après le salaire quotidien touché par la victime au jour de l'accident. » Mais cette disposition, qui semble si logique en sa simplicité, avait cette conséquence de rehausser l'allocation journalière en cas d'incapacité temporaire. Elle se trouvait établie, en effet, comme si les ouvriers travaillaient tous les jours, alors que la plupart des industries chôment le dimanche et les jours de fête (1). Cette considération détermina M. Cordelet à demander que le salaire quotidien fût calculé en prenant le septième du salaire hebdomadaire (2). M. Félix Martin critiqua avec raison cette période de fixation du salaire comme beaucoup trop courte et demanda qu'elle fût portée à un mois (3). La commission y consentit en proposant la formule suivante « le salaire quotidien s'obtient en prenant le trentième du gain total réalisé par la victime, soit en argent, soit en nature, pendant les trente derniers jours qui ont précédé l'accident. » Nouvelle réclamation de l'infatigable sénateur qui fait remarquer qu'il se peut

(1) Sén., 5 juillet 1895, J. Off., p. 751.

(2) Sén., 28 octobre 1895, J. Off., p. 868. (3) Ibid., p. 869.

que, pendant ces trente derniers jours; l'ouvrier n'ait, par suite de maladie ou de blessure, travaillé que deux ou trois jours et gagné par exemple une somme de 6 francs qui, divisée par trente, ferait 0,20 c., soit une allocation de 10 centimes. Pour lui donner satisfaction le Sénat adopta un amendement de MM. Morel et Wallon ainsi conçu «<.... les trente derniers jours de travail qui ont,... etc. (1). » Enfin la commission, dans la même pensée, ajouta dans le texte présenté le 20 janvier 1896 les mots « déduction faite, s'il y a lieu, des journées de chômage pour cause de maladie ou de blessures. » Il est vrai qu'en même temps elle raccourcissait la période de quinze jours et en reportait le point de départ non plus à l'accident mais au dernier règlement de salaire. 314. — Il est des hypothèses où l'on ne pourra évaluer le gain des trente ou quinze derniers jours; comment, dans ce cas, fixer le salaire quotidien? Sur le vœu exprimé par M. Félix Martin (2), la commission rédigea un texte qui s'inspirait d'une solution déjà admise par M. Blavier, en 1886, pour le cas de marchandage. La rédaction en était assez défectueuse. Après un échange d'observations, elle fut modifiée de la façon suivante : « Si le gain des trente derniers jours de travail qui précèdent l'accident ne peut être évalué, le salaire quotidien moyen se déduira du dernier règlement de compte de l'ouvrier avec le chef d'entreprise (3). »

(1) Sén., 28 octobre 1895, J. Off., p. 869. (2) Sėn., 28 octobre 1895, J. Off., p. 870. (3) Voici le texte de la commission :

« Quand l'ouvrier ne travaille pas à la journée, si le gain du mois qui a précédé l'accident ne peut être calculé, le salaire quotidien moyen s'obtient en divisant le gain total réalisé au dernier règlement de compte avec le chef d'entreprise, par le nombre de jours compris dans la période de temps à laquelle s'applique ce règlement, sous la déduction des journées d'incapacité de travail occasionnée par des blessures ou la maladie. » M. Félix Martin montra que ce système pouvait conduire à de graves injustices. Il se peut, en effet, que, pendant la période de temps à laquelle s'applique le dernier règlement, l'ouvrier n'ait pas travaillé, d'une façon continue, au profit du patron; ainsi, sur une campagne de six mois, il a été occupé dans l'usine pendant cent jours et le reste du temps il s'est livré à des travaux des champs, ou il a dù interrompre sa besogne, par suite du mauvais

315.Est-ce tout? Non, il reste à prévoir le cas où l'accident atteint un apprenti qui n'est encore que peu ou pas payé, mais qui bientôt sera largement rémunéré comme ouvrier d'art. Est-il admissible que le salaire minime qu'il gagne soit la base de la rente d'invalidité à laquelle il a droit. Le texte voté en 1895, après ceux de 1888 et de 1893, décide que l'indemnité sera établie sur le salaire le plus bas des ouvriers valides de la même catégorie, occupés dans l'entreprise. «Voilà une expression bien vague, s'est écrié M. Félix Martin: au Creusot, par exemple, une même équipe de laminage comprend des lamineurs gagnant 10 francs et des aides qui reçoivent 1 fr. 50; est-il admissible que si l'un de ces derniers est blessé il reçoive une rente basée sur le salaire des premiers, celui d'un manœuvre suffirait (1). »

316. Cette disposition est passée du texte de 1895 dans celui du 24 mars 1896. Ceci est d'autant plus curieux qu'elle y constitue la seule disposition relative à la détermination du salaire, encore y fut-elle introduite au cours de la discussion sur la demande de M. Pauliac (2), car, pour la commission, il était imprudent << de poser la règle invariable d'une moyenne légale, » il lui paraissait plus sage de s'en remettre à l'arbitraire des tribunaux (3),

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317. Ouvriers et employés à salaires et traitements élevés. — Une importante limitation aux obligations que le Risque Professionnel doit faire peser sur

temps. Si l'on divise par cent quatre-vingts son gain de cent jours, on arrivera à un salaire bien inférieur à la réalité. Comme il est impossible de prévoir toutes les espèces, MM. Félix Martin et Danelle Bernardin proposaient l'amendement suivant : « Dans les industries où le gain des trente jours de travail qui précèdent l'accident ne peut être évalué, le dernier règlement de compte de l'ouvrier avec le patron servira à déterminer, d'un commun accord ou par voie d'arbitrage, le salaire quotidien moyen de toute la campagne suivante. » D'accord avec le rapporteur, les auteurs de cet amendement y substituèrent la formule citée au texte. (Sén., 21 novembre 1895, J. Off., p. 920.) (1) Sén., 28 octobre 1895, J. Off., p. 871.

(2) Sén., 23 mars 1896, J. Off., p. 303.

(3) C'était déjà l'opinion émise, au nom de la commission, par M. Chovet, le 21 novembre 1895 (J. Off., p. 921).

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