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l'Etat est de garantir la vie et la santé des travailleurs. Si les industriels se refusent à prendre les mesures jugées indispensables, il doit les y contraindre par tous les moyens possibles: amendes, dépôt d'un cautionnement, fermeture de l'atelier, condamnation à la prison au besoin. Il se ferait leur complice s'il les encourageait à persister dans leur coupable indifférence et leurs criminels calculs, en les déchargeant de leur si lourde responsabilité aux frais des contribuables. De toutes les questions ouvrières, celle des accidents du travail est peut-être la seule que l'on puisse résoudre sans engager, même éventuellement, les finances de l'Etat. Réservons pour d'autres problèmes les ressources financières dont nous disposons et qui ne sont déjà que trop insuffisantes.

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Dispositions des projets.

Nous avons vu,

464. dans notre chapitre III (no 82), que la difficulté de la preuve imposée à la victime est encore aggravée par ce fait que les circonstances matérielles de l'accident ne sont pas immédiatement relevées. Lorsque le procès s'engage de longs mois après, l'état des lieux est bien souvent modifié; la machine, qui a tué ou blessé, a été réparée ou remplacée par l'industriel intéressé à la reprise du travail et peu soucieux des constatations de nature à faire apparaître sa responsabilité. La police n'intervient que dans des cas particulièrement graves. Les enquêtes auxquelles elle se livre ont le double. défaut de n'être pas contradictoires et de ne présenter que peu de garanties quant à leur valeur technique.

Sous l'empire d'une législation qui législation qui consacrera le Risque Professionnel, la recherche des causes du sinistre présentera certes un intérêt bien moindre qu'aujourd'hui. Néanmoins, le législateur devait rendre obligatoire la déclaration des accidents, et réglementer les formes de l'enquête à laquelle ils donneront lieu.

Aussi, tous les projets votés au Parlement contiennent des dispositions à ce sujet. Ce sont les articles 14 à 17 du texte voté par la Chambre, le 10 juillet 1888, les articles 6 à 9 du projet sénatorial du 20 mai 1890, les articles 12 à 16 adoptés par la Chambre le 10 juin 1893, les articles 10 à 12 de la rédaction du Sénat du 5 décembre 1895, et l'article 6 de celle du 24 mars 1896.

465. Obligation de déclarer les accidents. - Doiton rendre obligatoire la déclaration de tous les accidents sans exception? C'est ce que faisait la Chambre en 1888, et c'est également la règle posée par le Sénat, le 24 mars 1896 (art. 6). Il a été justement critiqué par M. Blavier, comme entraînant pour l'industriel une gène intolérable et inutile; la déclaration ne se comprend que pour les accidents qui apparaissent comme devant entraîner une incapacité de travail d'une certaine durée, huit jours par exemple (1).

Les textes de 1890, 1893 et 1895 n'imposent la déclaration que pour les accidents « ayant occasionné une incapacité de travail (2). »

466. Elle est faite par le chef d'industrie ou son représentant, dans un délai qui est généralement de quarante-huit heures (3).

Quelle est l'autorité chargée de la recevoir? C'est le juge de paix, dans le projet de 1896 (4), et le maire, dans tous les autres (5). Les deux textes de 1893 et 1895 exigeaient en outre qu'avis de l'accident fût donné à l'inspecteur départemental du travail.

(1) Sén., 24 mars 1896, J. Off., p. 307. Le rapporteur répondait (ibid.) qu'il est bien difficile de déterminer si l'accident qui vient de se produire entraînera une incapacité de moins de huit jours. Si l'accident est de très minime importance, le chef d'entreprise s'affranchira de la déclaration, sous sa responsabilité, mais nous ne pouvons formuler dans la loi un principe aussi vague.

(2) M. Blavier proposait « une blessure d'un ou plusieurs ouvriers » (Sén., 12 mai 1890, J. Off., p. 416). V. la réponse du rapp., p. 417.

(3) Seul le projet de 1888 établissait un délai de vingt-quatre heures. M. Frédéric Passy proposa de le doubler, et M. Le Gavrian de le por ter à trois jours pour l'industriel habitant hors de la commune où s'est produit l'accident (Ch., 7 juill. 1888, J. Off., p. 2021.)

(4) En ce sens, amendement Lacour, Ch., 7 juillet 1888, J. Off., p. 2021.

(5) Amend. Félix Martin (Sén., 12 mai 1890).

<< Tout accident survenu au personnel des industries visées par l'art. 1or devra être, par le patron ou son représentant, l'objet d'une déclaration au maire qui la consigne sur un registre spécial. En même temps ou dès que faire se pourra, devra être produite une attestation médicale relatant l'état du blessé et les suites probables de ses lésions. Semblable déclaration pourra être faite par la victime ou ses ayants droit. Récé pissé des déclarations et des certificats sera rendu séance tenante aux déposants.

La déclaration doit être accompagnée d'un certificat médical constatant l'état du blessé, les suites probables de la blessure (1), l'époque où il sera possible d'en connaître les résultats définitifs, et fourni par le patron ou, à son défaut, par la victime ou ses ayants droit (2). 467. Enquête. Lorsque les accidents apparaissent graves, c'est-à-dire comme ayant amené ou pouvant amener la mort, l'invalidité ou une incapacité permanente de plus de vingt jours, ils donneront lieu à une enquête, faite sur communication du maire, par le juge de paix du canton où s'est produit l'accident (3).

L'enquête porterait sur les points suivants : la cause, la nature et les circonstances de l'accident, la nature des blessures ou lésions, le nom des blessés et

(1) M. Cordelet proposait « la durée présumée de l'incapacité de travail » (Sén., 12 mai 1890, J. Off., p. 416), pour ne pas rendre obligatoire l'intervention d'un médecin dans tous les petits accidents. M. Lacombe proposait (ibid., p. 417) l'amendement suivant que le rapporteur repoussait en disant qu'il ne faut pas enlever au patron le sentiment, que c'est son devoir d'appeler le médecin. « Si un médecin a été appelé auprès du blessé, son rapport sera produit à l'appui de la déclaration. Au cas contraire, le maire ou le juge de paix, lorsqu'il aura été saisi, pourra, sur la demande soit du blessé, soit des personnes de sa famille, soit même d'office, prescrire la visite d'un médecin qui fournira son rapport dans le plus bref délai.

(2) Amend. Cordelet adopté par la commission (Ibid., p. 416).

(3) Ceci a été vivement contesté par M. Félix Martin (Sén., 28 oct. 1895, J. Off., p. 872 et suiv.). « Voici un chauffeur de la compagnie de Lyon qui est blessé légèrement à Nice; il revient à Paris, et c'est le juge de paix de Nice qui fera l'enquête. » Aussi, proposait-il << au juge de paix du canton où est situé l'établissement industriel; si l'accident est survenu en dehors du canton où est situé l'établissement industriel, le maire doit transmettre copie de la déclaration et du certificat médical au juge de paix du canton où l'accident s'est produit. Ce juge de paix procède immédiatement à la partie de l'enquête comprise sous les nos 1, 2 et 3 ci-dessus et, dans le plus bref délai, en transmet les résultats au juge de paix du canton où est situé l'établissement industriel. >> Cf. la réponse de M. Godin, ibid.

M. Félix Martin proposait au Sénat, le 12 mai 1890 (J. Off., p. 419), l'amendement suivant :

Art. 7. - « Le maire transmettra sur le champ copie du registre au juge de paix qui devra procéder à une enquête, aux fins de rechercher les responsabilités : 1° s'il y a eu mort d'homme; 2° si la lésion peut entrainer la mort ou une incapacité de travail de plus de trois mois; 3° quelle que soit la durée probable de l'invalidité, si la responsabilité de l'accident est contestée. »>

des tués, et le lieu où ils se trouvent, l'état des personnes pouvant prétendre à indemnité, le salaire de la victime (1). L'enquête se compléterait, au besoin, par une expertise médicale.

L'enquête doit avoir lieu contradictoirement 2). Le texte voté en 1888 n'en indiquait pas les formes; mais le Sénat adopta un amendement de M. Chovet renvoyant, sur ce point, aux deux premiers paragraphes de l'article 39 du Code de Procédure civile (3). En 1893, le renvoi se complète par la mention des articles 36, 37 et 38 (4).

468. Textes en vigueur sur la déclaration des accidents. Fait incroyable et cependant trop vrai, les députés et sénateurs, lorsqu'ils discutèrent, en 1893 et 1895, les dispositions que je viens d'analyser, avaient complètement oublié l'existence de deux lois votées peu de temps auparavant et qui obligeaient les industriels à déclarer « tout accident survenu dans les manufactures, fabriques, usines, chantiers, ateliers de toute sorte,» la loi du 2 novembre 1892 sur le travail des enfants, des filles mineures et des femmes dans les établissements industriels (art. 15), et celle du 12 janvier 1893, sur l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels (art. 11) (5). En préparant la rédaction qu'elle proposa le 20 janvier 1896, pour la

(1) M. Godin (Sén., 28 oct. 1895, J. Off., p. 873) trouvait ce mandat trop étendu, il proposait de le restreindre à : 1o la cause, la nature et les circonstances des accidents; 2° le salaire quotidien et normal de la victime. Il est inutile de rechercher l'état civil des blessés et de leur famille et, quant à la nature des lésions, elle ne peut être constatée que par une expertise médicale. Cf. les réponses et observations de MM. Ratier, Tillaye, Scheurer-Kestner et Floquet, ibid., p. 873 et 874.

(2) Amendement Félix Martin, Sén., 12 mai 1890, J. Off., p. 419. Article 8. « L'enquête aura lieu contradictoirement en présence des parties intéressées ou elles dûment convoquées d'urgence. Si la victime est hors d'état de comparaître et que son droit à indemnité est contesté, le juge de paix se transportera à son domicile pour lui donner lecture de ses observations et recueillir ses dires. Le juge de paix pourra toujours commettre un médecin et des experts pour l'assister dans son enquête. »

(3) Chovet, Sen., 13 mai 1890, J. Off., p. 424 et 425.

(4) Sur la proposition de M. Sibille, Ch., 5 juin 1893, J. Off., p. 1615. (5) Voici le texte identique de ces deux articles: « Tout accident ayant occasionné une blessure à un ou plusieurs ouvriers, survenu

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