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PREFACE

Je dois expliquer l'origine de ce livre. Il y a déjà huit ans que je m'intéresse à la question des accidents industriels. Ma thèse de doctorat, que la Faculté de droit de Paris jugea digne d'un prix, donnait en 1889 une analyse complète du contrat passé entre les patrons et les compagnies d'assurance, tant pour indemniser les ouvriers victimes d'accidents que pour se couvrir eux-mêmes de leur responsabilité civile. Dans l'introduction de cet ouvrage je résumais les législations étrangères et les projets alors en discussion devant nos Chambres.

Trois mois après la soutenance de ma thèse je prenais part, en qualité de secrétaire, à la première session du Congrès international des Accidents du travail, et j'ai depuis suivi attentivement les travaux des deux autres sessions du mème Congrès à Berne, en 1891, et à Milan, en 1894.

L'année suivante M. André Lebon, alors ministre du commerce, de l'industrie, des postes et télégraphes, m'attacha à son cabinet avec mission de suivre les travaux législatifs; le dossier des accidents, si volumineux qu'il excédait la charge d'un homme, me fut confié et je passai les mois de vacances à l'étudier. Malheureusement, le jour même où la discussion reprenait au Sénat, le ministère Ribot était renversé.

Deux mois après s'ouvraient, sur l'initiative de Mlle Dick May, la distinguée publiciste, dont le talent est si apprécié

des lecteurs de la Liberté, les cours du Collège libre des Sciences Sociales. Il était fondé par M. Funck-Brentano, professeur à l'Ecole des Sciences Politiques, sous le haut patronage des ministres alors au pouvoir, MM. Bourgeois et Doumer; de MM. Le Cour Grandmaison et de Lamarzelle, sénateur; MM. Berteaux et Delbet, députés, et de professeurs de l'enseignement supérieur: M. Perrot, directeur de l'Ecole Normale; MM. Aulard, Espinas, Lavisse, de la Faculté des Lettres; Giry, de l'Ecole des Chartes; Jay, de la Faculté de droit, qui en forment le comité de perfectionnement avec MM. Bertillon, chef des travaux de statistique de la ville de Paris, le marquis de Castellane, Debidour, Frank, directeur de la Liberté, Lorin, Nogues, et le dévoué secrétaire du Collège, M. Bergeron.

Grouper l'enseignement des doctrines diverses qui prennent leur source dans notre état moral et économique, le confier, non à des adversaires de ces doctrines, qui malgré eux les dénatureraient, mais à des partisans convaincus qui les exposeront en toute franchise et sincérité, chacun devant garder, avec la liberté de ses opinions, leur entière responsabilité; voilà l'idée mère de cette fondation, la plus originale et la plus féconde de toutes celles qu'a suscitées dans ces dernières années le souci de la question sociale.

C'est ainsi que M. Yves Guyot déploya toutes les ressources de son grand talent pour la défense des principes de l'économie politique orthodoxe qu'il professa dans toute leur rigidité et sans la moindre concession.

Un militant et un érudit du parti socialiste, MM. Rouanet et Révelin, exposèrent les doctrines économiques du collectivisme, tandis que M. le Dr Delbet charmait ses auditeurs et leur faisait partager son respect quasi filial pour Auguste Comte et l'admiration qu'il éprouve pour l'œuvre de ce merveilleux penseur. M. l'abbé de Pascal appliquait à la sociologie la plus pure doctrine du Christ. Enfin, l'École Le Play était représentée par son éminent disciple, M. Delaire.

L'histoire formait une section spéciale avec les remarquables cours de M. Seignobos, sur l'histoire contemporaine des partis d'agitation sociale, M. Métin, sur l'histoire des partis avancés pendant la Révolution, M. Hubert Valleroux, sur le mouvement social en Angleterre.

Mais, de toutes les sections, la plus intéressante et la plus profitable pour le développement intellectuel des auditeurs fut, sans contredit, la section de la méthode. Le directeur du collège y a magistralement exposé les principes de la méthode générale dont la méconnaissance a eu sur la marche des sciences sociales une si déplorable influence; il a démasqué les sophismes sur lesquels reposent la plupart des idées courantes.

M. du Maroussem a montré comment le point de vue concret doit être, dans l'étude des questions sociales, substitué aux raisonnements abstraits, en exposant les procédés monographiques d'enquête qu'il a lui-même développés et perfectionnés dans une expérience de dix années.

M. A. Fontaine, sous-directeur de l'Office du Travail, résumait les méthodes de la statistique du travail et de la richesse; il a su, à force de netteté et de clarté, rendre attrayante une matière aussi aride. Le mème mérite se retrouvait dans le cours de M. le Dr J. Bertillon. Quel puissant intérêt il donnait à ses leçons sur les mariages et les naissances, sujet qui préoccupe si vivement l'éminent démographe qu'il vient de fonder une ligue pour le relèvement de la natalité française, ligue dont nous sommes en droit d'attendre les plus heureux résultats, notamment au point de vue des réformes législatives.

Enfin, je ne dois pas passer sous silence le cours si remarquable de M. Frantz Funck-Brentano. Il a montré, en retraçant à grands traits l'histoire sociale de la France, quelle est la méthode qui peut nous découvrir le sens de l'évolution historique de notre pays.

Ce fut, on le comprend, pour moi, un grand honneur et un grand plaisir, lorsque le Conseil de perfectionnement du

Collège Social m'autorisa, sur la présentation du directeur, à faire quelques leçons sur la question des accidents du travail. M. Funck-Brentano retrouvait en moi la conception des problèmes sociaux et de la méthode qu'il convient de leur appliquer, qu'il devait à ses vastes et longues études.

Pour moi, comme pour lui, la question des accidents du travail devait se ramener à une détermination juridique des responsabilités et je ne saurai mieux faire que de reproduire en tête de cet ouvrage la page suivante, qui en résume les tendances :

« Ce n'est point par des lois incohérentes, aussi contradictoires en elles-mêmes que contradictoires entre elles, que renaîtront l'ordre et la paix sociale, mais c'est par un Code du Travail, parfaitement ordonné en toutes ses parties et spécifiant la responsabilité des actes de tous les travailleurs, peu importe qu'ils manient la bêche ou spéculent avec des millions.

>> Pas plus que l'homme, son travail, qui est lui-même, n'est une marchandise. Apprenez à distinguer la liberté, indispensable au progrès du travail, de tous les abus qui dérivent de l'exercice de cette liberté. Les spéculations véreuses, l'usure commerciale, l'exploitation du travail d'autrui, sont des ruines, non des progrès; reconnaissez-en les caractères et déterminez les responsabilités de leurs auteurs.

» En tout état social, le travail est un appui mutuel, commandé par les nécessités les plus cruelles de l'existence humaine, et les entreprises commerciales, les spéculations financières en sont des formes secondaires et des allègements. Respectez en tous la liberté individuelle, elle est la source de tous les progrès, mais fixez les limites où cette liberté se transforme en sujétion du plus faible au plus fort, du plus honnête à celui qui l'est moins, du plus loyal au plus retors, car ce n'est pas là de la liberté. L'homme ne possède pas à l'égard de son prochain la liberté du mal.

>> Enfin, si les accidents, les maladies, la vieillesse sont une

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