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leur genre et leur forme ont varié souvent. On ne connoissoit point autrefois les cloches ni les orgues. Or, puisqu'on a suivi pour des objets qui ne parlent qu'aux sens, les progrès des arts, pourquoi ne suivroit-on pas pour des objets qui parlent à l'esprit et au cœur, les progrès des lumières? Les innovations, même dans l'Eglise, quand elles partent de l'autorité légitime, n'ont rien qui doive alarmer la piété des fidèles, surtout lorsqu'elles sont d'un genre qui n'intéresse point la foi; et pour ne point sortir de mon sujet, si l'on n'avoit jamais rien innové dans l'Eglise, T'office divin se borneroit, comme au temps des Apôtres, aux agapes et au Pater.

Voyous cependant si d'autres avantages ne balanceroient pas celui de l'ancienneté.

1o. Le Bréviaire de Paris parcourt tout le Psautier chaque semaine.

Celui de Rome le parcourt à peine une fois dans l'année. Pendant des semaines, des mois entiers, on répète les mêmes psaumes, avec la plus fatigante uniformité; pendant toute la vie, les petites heures et les complies sont les mêmes..

2o. Dans le Bréviaire de Paris, les psaumes sont classés chaque jour de la semaine, suivant leur rapport avec le rang que ce jour tient dans la semaine par excellence, où l'Eternel tira l'univers du néant; dans cette semaine, à-la-fois histoire du présent et figure de l'avenir, où le jour de la création et de la chute de l'homme, est celui de sa rédemption; où le jour du repos mystérieux de l'ouvrier suprême, est celui du repos de son Fils adorable dans la nuit da tombeau; où le jour de la création de la lumière, est celui où le soleil de justice rendit, par sa résurrec

tion, à l'astre du monde, son éclat et sa pureté. Pensée grande et sublime, qui, en mettant sans cesse sous les yeux des prêtres les grandeurs du Dieu créateur, et les bienfaits du Dieu rédempteur, élève leur esprit et leur caur jusqu'à cet être immense. Ainsi, le lundi, jour où la création commence à étaler ses merveilles, l'admirable psaume 103 en retrace avec pompe le magnifique tableau. Ainsi, le jeudi, jour de l'institution du Sacrement adorable, les psaumes ne parlent que de repas, de nourriture, des effusions d'un cœur ravi de réconnoissance dans les communications de son Dieu. Ainsi, le vendredi, les psaumes prophétiques annoncent la mort du Sauveur, Ainsi, à none de ce jour, heure à laquelle le Fils de Dieu expira, le psaume 21 met dans la bouche du prêtre les propres paroles que ce Sauveur adorable prononça lui-même sur la croix, rappelle ses ignominies, et prédit les triomphes qui étoient attachés à sa mort.

Dans le romain, au contraire, les psaumes sont rangés par l'ordre de leurs numéros, c'est-à-dire sans ordre, sans intention, sans intelligence, et n'ont aucun rapport entr'eux, ni à la férie à laquelle ils répondent.

3o. Dans le Bréviaire de Paris, les invitatoires, les psaumes, les antiennes, les versets, les répons, les capitules, tout a un parfait accord; de sorte qu'on peut dire que chaque partie, chaque heure de l'office, est un cours complet sur la fête du jour. L'ancien et le nouveau Testament y sont rapprochés et fondus avec un art si admirable, qu'on ne peut s'aper cevoir dans deux lignes, qu'elles sont tirées de deux livres différens.

Dans le romain, les invitatoires, les psaumes, les

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antiennes, les versets, les répons, les capitules, n'ont aucun rapport entr'eux, ni à la fête du jour. Ils sont même quelquefois tellement placés, qu'ils présentent un sens contraire à celui qu'ils contiennent. En voici un exemple : Dans un nocturne de je ne sais quel office, le lecteur dit : Nolite fieri sicut equus et mulus ; le chœur répond: Quibus non est intellectus. Le lecteur ajoute Gloria Patri et Filio et Spiritui sancto; le choeur répond encore: Quibus non est intellectus. Cette répétition en cet endroit est fort déplacée. Veuton à présent un exemple du même genre dans le Bréviaire de Paris? le voici : Dans l'office de saint Etienne, le lecteur dit : Non poterat resistere sapientiæ et Spiritui; le chœur répond: Qui loquebatur. Le lecteur ajoute: Gloria Patri et Filio et Spiritui sancto; le chœur répond encore: Qui loquebatur. Voilà des analogies et des rapports satisfaisans pour la piété : c'est peutêtre là ce que l'auteur des observations appelle des prétentions à l'esprit; on n'accusera pas le romain de prétentions pareilles.

4o. Dans le Bréviaire de Paris, excepté les hymnes et les oraisons, il n'y a pas un seul mot qui ne soit tiré de l'Ecriture. La main des hommes n'a osé y toucher, que pour choisir, dans ce trésor immense, les fleurs dont elle a distillé le miel. Encore, pour mieux consacrer ces compositions humaines, et les rendre digues de figurer au milieu des inspirations de l'Esprit saint, l'Ecriture sainte est fondue dans quelques hymnes avec un art admirable, sans que la poésie y perde de ses charmes, ni le texte de sa précision. J'en citerai deux exemples, l'hymne de l'Avent et celle de l'Ascension.

Rorate, cæli, desuper, et nubes pluant justum ; ape

riatur terra, et germinet salvatorem. Voilà le texte de l'Ecriture; voici la traduction :

Rorate, cæli, desuper;
Justumque foecundo sinu
Complexa tellus perdito
Orbi salutem germinet.

Viri Galilæi, quid admiramini aspicientes in cœlum? Hic Jesus qui assumptus est à vobis........., sic veniet. Voilà le texte; voici la traduction :

Quid obstupentes, suspicitis polo,
O vos, eumtem, discipuli, Deum?
Ut nunc redemptor scandit astra,
Sic veniet metuendus ultor.

Dans le romain, au contraire, on rencontre trèsfréquemment des versets, des antiennes, des répons qui ne sont point tirés de l'Ecriture; et quand, par hasard, quelques-uns sont pris dans l'Ecriture, il sont si mal adaptés et si souvent répétés dans d'autres offices, qu'ils sont quelquefois un défaut de plus; et on ne peut trop s'étonner que des hommes versés dans l'Ecriture sainte, de savans théologiens, des Papes distingués par leurs lumières, aient trouvé si peu de chose à prendre dans une mine si féconde, qu'ils aient été obligés d'y suppléer de leur propre fond.

5o. Dans les fêtes de l'Annonciation et de la Purification, le Bréviaire de Paris ne voit que l'incarnation du Verbe, et sa présentation au Temple. Pensée grande et conforme à l'intention de l'Eglise dans l'institution de ces augustes fêtes.

Le Bréviaire romain les confond avec les fêtes propres à la sainte Vierge seule, et ne connoît d'autre hymne que l'Ave Maris stella.

6o. Parlerai-je maintenant du choix des leçons, du

goût exquis et de la parfaite latinité des légendes? Parlerai-je surtout de ces hymnes admirables qu'on croiroit plutôt l'ouvrage du fameux lyrique du siècle d'Auguste, que d'un poète françois de nos jours; de ces hymnes qui tour à tour tendres et élevés, réunissent à la fois ce que l'esprit a de plus délicat, le sentiment le plus affectueux, le génie de plus grand, la poésie de plus sublime? J'aurois trop d'avantage si j'établissois un parallèle entre le Stupete gentes, le Statuta decreto Dei, le Linquunt tecta magi, le Promissa tellus, etc., d'une part; et de l'autre, le Desideratus gentibus cujus per alvum fusus est, l'Egressus honestissima virginis matris clausulá, le Lavacra puri gurgitis, le Noctium phantasmata, et le Ne polluantur corpora, et tant d'autres pièces où la simplicité paroît poussée jusqu'à l'excès.

C'est pourtant dans ces pièces que l'auteur des Observations trouve plus d'onction que dans les chefsd'oeuvre de Santeuil et de Coffin. Pour moi, je ne sais où cette onction se cache.

7. A tous ces avantages incontestables, il faut en joindre un qui n'est pas à dédaigner, dans ces temps surtout où la rareté des prêtres fait peser sur quelques prêtres le fardeau réparti autrefois sur un bien plus grand nombre; c'est que l'office de Paris est beaucoup plus court que celui de Rome.

80. Ces avantages, dit l'auteur, peuvent-ils se comparer à ceux qui résultent de cette unanimité de sentimens et d'expressions qui naissent de la seule unité de liturgie?

Non, puisqu'ils les surpassent. D'ailleurs, que sont les mots auprès de Dieu? L'unanimité de sentimens est dans les sentimens, et non dans les paroles. Il est très--désirable, sans doute, qu'il n'y ait qu'une seule

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