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DANS notre numéro XXVII nous citâmes, contre le systême de la souveraineté du peuple, un écrit du Père Quesnel, où il professe l'ancienne et bonne doctrine. Deux amis de Port-Royal nous ont adressé des lettres à ce sujet. L'un nous remercie d'avoir rendu justice à son patron, tandis que l'autre, qui soupçonne apparemment que nous ne sommes pas de ses admirateurs, nous reproche d'avoir laissé du doute sur le sentiment de l'école de Port-Royal, touchant l'obéissance due aux souverains. L'un et l'autre nous envoient de nouveaux témoignages de la manière de voir de leurs amis à cet égard. Ils paroissent fort zélés sur ce point, et ils s'étonnent que nous ayons tenu quelque compte des accusations d'un homme qui, c'est l'expression d'une des lettres, qui souille tout ce qu'il touche, et qui est désavoué par toutes les ames honnétes. Nous n'aurions pas osé parler sur ce ton d'un tel personnage, mais nous pouvons bien, sans scrupule, lui appliquer les dénominations que lui donnent ceux mêmes au parti desquels il cherche à se rattacher. Le même correspondant, ancien magistrat, qui paroît instruit et zélé, prouve que ce même homme a tronqué un passage de Pascal. Pour faire croire que Pascal pensoit comme lui, M. G. rapporte cette pensée du célèbre écrivain, que c'étoit un grand mal de contribuer à mettre un Roi dans une république, et d'opprimer la liberté des peuples à qui Dieu l'a donnée, sans ajouter ce qui suit immédiatement, que c'étoit une espèce de sacrilege de violer le respect que l'on doit à la puis'sance royale dans les Etats où elle est établie. Notre Tome II. L'Ami de la R. et du R. No. 58. N

correspondant relève cette petite supercherie de M. G. et nous le dénonce comme un citateur infidèle. Mais il ne faut pas être trop sévère. Auroit-il voulu sérieusement que M. G. avouât que c'étoit une espèce de sacrilege de violer le respect dú à la majesté royale ; qu'il se fît ainsi son procès à lui-même, et qu'il se reconnût coupable? Peut-on raisonnablement exiger que M. G., qui a si fort coopéré à la révolution, qui a si bien prêché la liberté, qui a dit de si belles choses sur la haine des rois, aille aujourd'hui chanter la palinodie, et confesser publiquement ses torts? Cela ne conviendroit ni à son caractère ni à ses principes. Il a été patriote, il doit l'être toujours; les honnêtes gens ne se rétractent pas; et quand on n'aura à lui reprocher que de tronquer un passage, d'altérer un texte, ce sont là, en révolution, des bagatelles dont il ne faut pas faire tant de bruit, et dont nous ne songeons nullement à faire un crime à M. G. Nous sommes beaucoup plus modérés et plus raissonnables, et nous convenons qu'il est injuste de lui demander de la fidélité dans ses citations, de la bonne foi dans ses raisonnemens, de l'exactitude dans ses reproches, de la mesure dans ses discours, ainsi que le prouvent ceux qu'on trouve de sa façon dans la collection du Moniteur ou des procès-verbaux de la Convention.

Après avoir réfuté M. G., notre correspondant vient à nous, qui ne nous attendions pas à être accolés à cet écrivain. Il nous reproche d'avoir jeté des nuages sur les sentimens de l'école de Port-Roval relativement à la fidélité due aux souverains, et làdessus il nous écrase d'une foule de passages tous plus forts et plus précis les uns que les autres. Il en cite d'Arnauld, de Nicole, de le Tourneux, de Colbert,

de Caylus, de Duguet, de Gourlin, qui reconnoissent tous le principe de l'obéissance aux rois. Nous ne leur avons point contesté ce mérite, et nous serions disposés à convenir qu'ils étoient, purs et irréprochables sur ce point, sans qu'on pût en tirer un grand avantage en leur faveur. Il y a plus; l'opposition entre leur enseignement et leur pratique seroit un argument contr'eux. En faisant à l'ancien magistrat qui plaide leur cause la concession qu'il demande, ne pourrions-nous pas lui en demander une à notre tour? Nous lui abandonnerons l'enseignement de ses amis, s'il consent à nous abandonner leur pratique. Ils ont pu blié hautement le principe de la soumission aux puissances; je le veux. Ils l'ont publié même sur les toits, cela est possible. Pourquoi faut-il que leur école y ait été si peu fidèle dans la pratique? Pourquoi faut-il qu'on voie ce parti toujours aux prises avec l'une et l'autre, puissance? Que lui en eût-il coûté d'être un peu moins sévère dans sa théorie, et de l'être un peu plus dans sa conduite? L'histoire du dernier siècle nous le présente dans un état de lutte et d'hostilité contre deux autorités également déclarées contre lui. Pourquoi ce refus persévérant de se soumettre à des décrets authentiques et multipliés, et à des lois rendues en conformité de ces décrets? Pourquoi les mêmeş hommes montroient-ils à la fois une opposition si constante aux décisions du saint Siége, dont ils reconnoissoient l'autorité, et à la volonté du souverain, dont ils proclamoient les droits? Ne, diroit-on pas qu'ils étoient partisans de l'obéissance à peu près comme du silence respectueux; et que de même qu'ils n'observèrent jamais celui-ci dans le temps qu'ils en faisoient un principe et un appui pour leur cause,

ainsi ils ne se crurent point obligés de déférer aux lois du Prince quand elles contrarioient leurs préjugés? Ce sont des questions que nous nous permettons d'adresser à notre correspondant. Il nous accuse un peu légèrement; il prétend que nous n'avons pas lu les ouvrages que nous citons, ce qui n'est pas poli. Nous avons aussi bien que lui dans notre bibliothèque le livre dont il nous rapporte des passages, et nous y avons trouvé des preuves de l'esprit de cabale et d'intrigue de l'homme qu'il défend. Mais toute l'histoire du dernier siècle nous a montré encore mieux dans les disciples de ce même homme, des gens perpétuellement en opposition avec les deux autorités qui gouvernent le monde. Les Mémoires sur l'Histoire ecclésiastique pendant le XVIII. siècle, sont remplis, à cet égard, de faits auxquels on n'a pas répondu et auxquels on ne peut pas répondre, parce que ce sont des faits, et qu'ils sont nombreux, avérés et concluans.

NOUVELLES ECCLÉSIASTIQUES.

ROME. Ce matin, dimanche 7 août, cette ville a été témoin d'un événement qui fait encore le sujet de toutes les conversations, et qui aura sans doute des suites importantes. On savoit que la veille le Pape avoit appelé près de lui les cardinaux et plusieurs prélats, et qu'à la suite d'un consistoire, qui avoit duré six heures, il avoit été expédié des courriers pour plusieurs cours. On s'attendoit donc à quelque mesure d'un intérêt général. L'espérance publique n'a pas été trompée. Le 7, S. S. s'est rendue, en pompe, de son palais du Mont-Quirinal à l'église de Jésus, dans

l'ancien couvent des Jésuites. Les troupes bordoient la haie, et le peuple s'étoit porté en foule sur le passage du saint Père. Arrivé à l'église, le souverain Pontife y célébra la messe à l'autel consacré sous l'invocation de saint Ignace de Loyola. Il entendit ensuite une messe d'actions de grâces, et se rendit à la salle de la congrégation des nobles. Il se plaça sur un trône, et là, entouré du sacré collége, des prélats et des évêques qui avoient été convoqués, il fit lire, par un maître des cérémonies, une bulle solennelle qui commence par ces mots : Sollicitudo omnium ecclesiarum, pour rétablir la Société de Jésus. Plus de cinquante Jésuites étoient présens, et ont été admis au baisement des pieds. A leur tête étoit le P. Pannizoni, qui remplira les fonctions de général jusqu'à l'arrivée du P. Borzozowski, général actuel, qui se trouve en Russie. S. S. portoit sur son visage l'expression de la joie. Il sembloit que ce moment effaçoit à ses yeux le souvenir de ses malheurs. Les cardinaux prenoient part à sa satisfaction. Lorsqu'ils se furent retirés, le cardinal Pacca, qui remplit les fonctions de secrétaire d'Etat en l'absence du cardinal Consalvi, fit lire un édit de S. S., qui ordonne la restitution des capitaux existans des biens des Jésuites, et des dédommagemens pour ceux qui auroient été aliénés. Le marquis Ercolani, trésorier, rendit un décret exécutoire. Les Jésuites ont été en conséquence, dès aujourd'hui, mis en possession de leurs trois belles maisons de Rome. Leur rétablissement a produit une grande sensation dans cette capitale. Le peuple a témoigné sa joie par de nombreuses acclamations. Les Jésuites qui sont ici ont été accueillis avec empressement. On remarque parmi eux des hommes d'un

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