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AU RÉDACTEUR.

Monsieur, j'ai beaucoup entendu parler dans ma jeunesse de la perfectibilité naturelle de l'esprit humain, et vous savez comme tout s'est perfectionné depuis vingt-cinq ans, et comme nous avons marché à grands pas vers une amélioration sensible dans l'ordre religieux, moral et politique. Les progrès que nous y avons faits sont si évidens, les mœurs y ont tellement gagné, les bonnes doctrines ont tellement prévalu et les faux systêmes ont été si rares et si mal accueillis, que les détracteurs de la perfectibilité ont été réduits au silence. Le bien qui se faisoit sous leurs yeux étoit la meilleure preuve de celui qui pouvoit se faire, et le présent étoit un gage et un garant de l'avenir. Aujourd'hui on parle moins, que je sache, de la perfectibilité indéfinie, qui, apparemment, a passé de mode; car tout est mode dans ce pays. Mais depuis quelque temps j'entends beaucoup parler des idées libérales et du progrès des lumières. Je suppose que ceux qui mettent en avant ces expressions pompeuses, savent quelle acception ils y attachent. Quant à moi, qui ne suis pas si éclairé, j'ai cherché à m'en former une idée juste, et j'ai fait, à part moi, quelques réflexions qui ne m'ont pas donné absolument le même résultat que je vois généralement adopté. Je me suis demande d'abord si les lumières étoient pour toutes les classes, s'il étoit à désirer que les cordonniers fussent éclairés et les tailleurs savans, s'il étoit utile aux maçons et aux vignerons de savoir étudier dans les livres, et si les gens de métier en général devoient être si habiles, et il m'a semblé qu'il étoit contre l'intérêt de la société de donner à tous ces gens-là des goûts et des penchans qui ne peuvent s'accorder avec leur profession, et qui la leur feront regarder comme vile et comme méprisable. Un homme de métier, auquel vous donneriez la passion des livres, perdroit par là même son état; il y a cent à parier contre un qu'il deviendroit un fort mauvais littérateur. Ainsi le beau profit qu'il feroit. Il se dégoûteroit de son métier et échoueroit dans ses nouveaux penchans. Voilà le service que vous lui auriez rendu avec les lumières que vous lui auriez données. Croyez-vous que le peuple qui lit soit plus heureux ou meilleur que celui qui ne lit pas? Pour moi, je ne vois pas sans effroi, en passant devant une boutique, un apprenti occupé à lire. A l'inspection seule du format, je gagerois que c'est quelque mauvais roman, quelque pièce de théâtre bien immorale, quelque recueil de chansons licencieuses. Le goût de ces sortes de productions lui fait à la fois deux torts notables. Il le pervertit et il l'empêche de travailler. Vous me direz que cet apprenti peut lire de bons ouvrages, dont, comme on sait, le nombre abonde si fort. Mais je vous demanderai à mon tour quels sont les plus répandus des bons ou des mauvais, quels sont les plus recherchés. Sur cent livres qui voient le jour chaque année, il y en a à peine un d'excellent. La moitié est tout-à-fait mauvaise. Le reste est médiocre. Toutes les chances sont -pour que notre apprenti tombe sur les moins bons de tous. Il laissera ce qui est sérieux, instructif et honnête, pour courir après ce qui est gai ou même grossier. Dans la comparaison entre un roman et un chefd'œuvre, vous pensez aisément qui aura la préférence. Espércz-vous

pour

que ces lectures le rendront plus assidu dans son attelier, plus labo rieux, plus docile envers ses parens, plus probe? Hélas! si plus de lumières ne rendent pas meilleurs ceux mêmes qui ont tout le temps de lire et de choisir leurs lectures, si les trois quarts des bibliothèques sont composées de manière à pervertir l'esprit et le goût, si ceux qui ont le plus de livres, loin d'être les plus vertueux, n'en sont que plus habiles à déguiser les vices, quel sera l'effet de la lecture sur des esprits peu exercés, mal dirigés dans leurs choix, plus portés par la corruption de notre nature à saisir le mal que le bien, qui ne sentiront pas le vice d'un mauvais raisonnement, mais qui seront très-accessibles à l'influence d'un sophisme, d'une raillerie, d'un mauvais exemple, qu'ils trouveront mis à leur portée dans des livres comme il y en a tant? Les lumières qu'ils acquerront ne serviront qu'à les égarer. Que chacun reste dans son état. Que ceux-là travaillent, que la nature a faits travailler. Que ceux à qui leur situation permet d'acquérir des lumières, nous montrent par leur exemple qu'elles sont bonnes à quelque chose. Qu'elles les rendent plus moraux, plus religieux, plus appliqués à remplir tous les devoirs dans la société, alors nous croirons à l'efficacité de ce mobile. Mais tant que nous verrons des gens qui se croient les plus éclairés se montrer les moins attachés à la religion, aux principes des mœurs, aux règles de la société, alors nous serons fondés à croire que les progrès des lumières n'est rien moins que celui de la raison, et que ces idees libérales qu'on exalte beaucoup, pourroient bien n'être que des idées pauvres en résultat, vides de bons effets. Il y a des charlatans de plus d'une sorte. Les uns débitent leurs recettes dans les rues, les autres les étalent dans les livres. Chacun y met le plus de pompe et de jactance qu'il peut. Les procédés et le but se ressemblent assez. En dernière analyse, examinons les faits. Depuis vingt-cinq ans que les idées libérales sont le plus invoquées, què de bouleversemens, de crimes, de folies! quelle effroyable consommation d'hommes! tous les gouvernemens ébranlés, toutes les institutions chancelantes, tous les principes méconnus, tous les liens brisés, voilà nos progrès. Quels siècles de barbarie offrent plus d'atrocités! quels temps d'ignorance ont vu plus d'excès de tout genre! Nous avons blanchi sous les lumières; elles ont tout inondé comme un torrent; mais la société en est-elle plus stable, la religion plus révérée, les mœurs plus pures, tous les devoirs mieux connus et mieux suivis? Ce sont des questions auxquelles chacun peut répondre. Mais je crains beaucoup que la masse des lumières ne nous ait donné en ce genre rien de mieux que les quinquets, que les idées libérales ne soient des formules convenues qui en imposent dans un livre, mais qui n'obligent à rien dans la pratique; que ce langage fastueux ne soit dans le fond qu'un moyen de dissimuler notre pauvreté; qu'il n'en soit de nous comme du Bas-Empire, où l'on cachoit sous de grands noms la décadence de l'Etat, où on créoit une nouvelle dignité quand on perdoit une province; que de même nous ne cherchions à nous dédommager par la pompe des mots de ce qui nous manque du côté de la réalité, et que nous n'affections d'autant plus les beaux sentimens que nous nous en éloignons davantage, à peu près comme l'égoïste est celui qui parle le plus de sa sensibilité, l'a vare de sa dépense, et le fripon de sa probité.

SUR une livraison du Censeur.

IL faut que nous le confessions; nous ne lisons point la plupart des brochures qui pullulent chaque jour, grâce à la manie générale d'écrire, et à la fureur de faire parler de soi. Celles qui nous sont tombées sous la main nous ont dégoûté des autres, et quand de nombreuses occupations ne nous en feroient pas une loi, nous nous abstiendrions par inclination de parcourir cette série de pamphlets de toutes les couleurs, qui divaguent dans tous les sens, qui prêchent tous les systêmes, qui tendent à faire revivre tous les partis, et dont le moindre inconvénient est de fatiguer le lecteur honnête, d'ennuyer l'homme sage, et de choquer les esprits droits. Avec cette résolution que nous avons prise, il est probable que nous aurions ignoré l'existence du Censeur, si on n'avoit pris soin de nous en adresser un exemplaire, avec le désir sans doute que nous en fissions mention. Cette espèce de journal, car il paroît par souscription, est destiné, dit le titre, à l'examen des actes et des ouvrages qui tendent à détruire ou à consolider la constitution de l'Etat. Les auteurs étendent leur censure sur tout, sur les lois présentées par le Prince, sur la conduite des ministres, sur tous les actes du gouvernement. Ils se sont constitués les contrôleurs nés de tout ce qui se dit et ce qui se fait. On ne leur demandera pas de qui ils tiennent leurs pouvoirs et leur mission. Le zèle n'en a pas besoin, et ils ous répondroient sans doute que dans un moment Tome II. L'Ami de la R. et du R. No. 45.

V

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de danger tout citoyen est soldat, et qu'il doit être permis à tout ami de son pays d'émettre ses idées et ses vœux sur ce qu'il croit bon et utile. Nous ne voulons point attaquer ce principe. Nous ne dirons point dans un vaisseau il faut laisser la manoeuvre que ceux qui en sont chargés, et que ce seroit un désor dre étrange, si, tandis que le capitaine ordonne cun se mêloit de commander aussi en sens contraire, et vouloit mener aussi le gouvernail à sa guise, et diriger tous les mouvemens. Il est probable que ces nouveaux pilotes ne manqueroient pas aussi de donner des bonnes raisons pour justifier leur zèle. Ils diroient qu'ils sont assez intéressés au sort du vaisseau pour avoir le droit d'énoncer leur avis; que dans le danger chacun a droit de montrer le remède, et si ces passagers ou ces matelots étoient des gens de letires ou des avocats, habitués à manier la plume ou la parole, il n'y a pas de doute qu'ils prouveroient très-bien leur droit de censure; mais il n'y a pas de doute aussi qu'avec ce beau systême le vaisseau n'iroit pas le mieux du monde, et qu'un équipage ainsi composé auroit peine à éviter un triste naufrage.

Je ne veux pas appliquer en tout cette comparaison aux écrivains qui dissertent à perte de vue sur les matières de gouvernement, qui contrôlent tout ce qui se fait, qui ont la bonté de crier l'un dans un sens, l'autre dans un autre, et qui accouchent pério→ diquement de conseils qu'on ne leur demande pas, de plaintes, de projets, de reproches dont on les dispenseroit fort bien. Cependant je cherche quelle différence il y a entre les uns et les autres, et j'avoue que je n'ai encore pu trouver ce que ces derniers pourroient dire de raisonnable en leur faveur, que

les premiers ne pussent aussi alléguer pour motiver leur zèle. Je suis même porté à croire que l'activité inquiète des uns et des autres est presque aussi funeste et aussi dangereuse sur terre que sur mer, et que le vaisseau de l'Etat, qui est bien aussi important qu'une barque, a besoin d'autant de ménagement, d'ordre, de concert et d'obéissance, et que les clameurs de tous les passagers ne peuvent qu'embarrasser la manœuvre, gêner le capitaine, effrayer l'équipage, et exposer le bâtiment à faire une fâcheuse fin.

Quoi qu'il en soit de la justesse de notre comparaison, l'esprit qui préside à la rédaction du Censeur n'est pas équivoque. Les auteurs professent un noble amour pour la liberté, et une profonde horreur pour le despotisme. Ils poursuivent ce dernier fléau avec un courage infatigable. Ils arborent les étendards d'une opposition persévérante. Ils dénoncent les ministres comme suivant un systéme de rétrogradation, et cherchant à investir le Roi d'un pouvoir illimité. Ils les accusent de conspiration contre les droits de la nation. Ils nous donnent à craindre de retomber sous le triple despotisme des Rois, des grands et des prétres, et ils proclament comme des hommes probes et courageux, les écrivains qui excitent la nation à revendiquer les droits qu'on lui raviroit injustement. On ne sait si on se trompe quand on entend un tel langage. On se croit reporté aux beaux jours de 1792, où on où on parloit aussi de despotisme, et des droits de la nation, et des attentats des ministres. On se demande si rien n'a donc pu nous corriger, s'il y auroit encore des rêveurs à systêmes, des professeurs de révolutions, pour qui les leçons du passé sont perdues, et qui, s'endurcissant contre l'expérience, emportés par une ef

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