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C'étoit bien une tradition célèbre chez les Juifs, que le monde devoit durer six mille ans, savoir: deux mille avant la loi, deux mille sous la loi, et deux mille sous le Messie. Quelques-uns faisoient remoúter cette tradition au prophète Elie, d'autres l'attribuoient à un rabin qui portoient le nom de co-prophète; mais dans la réalité sur quoi étoit-elle fondée? où sont les monumens qui puissent lui donner du crédit et de l'autorité? Ne faut-il pas y voir une de ces opinions qui, une fois émises d'après quelque conjecture assez légère, ou quelque interprétation Loute gratuite des divines Ecritures, se répandent et sont adoptées sans examen on peut sans scrupule, je crois, la ranger parmi ces fables rabiniques dont le Talmud est rempli.

Il est vrai qu'on la trouve consignée dans un monument respectable de l'antiquité chrétienne, dans l'Epître de saint Barnabé; mais si tous les savans s'accordent à la regarder comme une œuvre précieuse des temps apostoliques, tous ne s'accordent pas à l'attribuer à l'apôtre dont elle porte le nom. Parmi ceux qui en contestent l'authenticité, se trouve Tillemont, et ses raisons valent la peine d'être discutées. Notre auteur s'est donc appuyé sur cette Epître avec trop de confiance: il n'auroit pas dû la citer sans observer en même temps que son authenticité est douteuse; observation qui suffit seule, je ne dirai pas pour en détruire, mais pour en affoiblir beaucoup l'autorité.

On ne doit pas le dissimuler; parmi les écrivains ecclésiastiques des premiers siècles, plusieurs out pensé que chacun des six jours de la création représentoit une période de mille ans, et que le repos

du

septième étoit l'image du repos éternel que Dieu réserve à ses élus à la fin des temps, d'où ils concluoient que la durée du monde étoit borné à six mille ans. Mais il est permis ici de faire usage d'une critique éclairée sans être téméraire, et c'est le cas d'appliquer la sage maxime de l'Apôtre : Examiner tout pour ne retenir que ce qui est bon. Sur quoi se fondoient ces anciens écrivains pour voir dans les six jours de la création la figure de six millénaires? Ils se fondoient uniquement sur le passage suivant de la seconde Epître de l'apôtre saint Pierre : Unum vero. hoc non lateat vos carissimi quia unus Dies apud Dominum sicut mille anni et mille anni sicut Dies unus (1). « Il y a une chose que vous ne devez pas ignorer, mes bien-aimés, qui est, qu'aux yeux du Seigneur un jour est comme mille ans, et mille ans comme un jour ». L'auteur du Traité insiste beaucoup sur ces paroles, et semble les croire décisives : cependant si l'on fait attention au but, au raisonnement de l'Apôtre, on verra combien cette explication est chimérique. En effet, des novateurs osoient accuser Jésus-Christ d'infidélité à ses promesses, alléguant que toutes choses arrivoient suivant leur cours ordinaire, et que rien ne faisoit présager ce second et glorieux avénement qu'il avoit annoncé. Que fait l'Apôtre pour rassurer les fidèles contre ces perfides insinuations? Il leur dit que Dieu saura bien accomplir sa promesse au jour marqué; que s'il diffère son avénement, c'est donner aux hommes le temps de sortir des voies de l'erreur et du vice : qu'au reste

(1) Chap. 1, . 8.

pour

il n'en est pas de celui qui vit dans l'éternité comme des hommes; que rien n'est ni long ni court à ses yeux, et que devant lui un jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un jour. C'est dans le même sens que le Psalmiste avoit dit avec plus d'énergie encore: Mille ans sont devant Dieu comme le jour d'hier, qui n'est plus. Certes, il est bien permis de croire que l'Apôtre ne faisoit pas plus que le Prophète allusion aux six jours de la création.

C'est pourtant sur ce fragile appui que portent les conjectures que l'auteur a tirées du nombre septénaire qui se trouve assez souvent dans les livres de l'ancien et du nouveau Testament. Voici comme il a cru pouvoir raisonner, pag. 112: « Considérons et pesons attentivement ce que nous dit l'Evangile : Après six jours, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les mena avec lui à l'écart, sur une montagne élevée, et là il se transfigura devant eux.... Quel peut avoir été le dessein du SaintEsprit lorsqu'il a inspiré au saint Evangéliste ces paroles: Après six jours. Il paroît que par-là il a voulu nous faire connoître que comme ce fut après six jours que notre divin Sauveur voulut se transfigurer en présence de ses trois apôtres, de même ce sera après six mille ans, qui ne sont devant lui que comme six jours, qu'il se transfigurera à la face de l'univers ». Cette explication allégorique appartient à saint Hilaire. Calmet la cite dans sa Dissertation sur l'Antechrist; elle ne porte que sur le passage déjà cité de saint Pierre. Or, nous l'avons vu, rien de plus ruineux qu'un tel fondement. L'auteur demande d'où vient que l'Evangéliste marque cette circonstance, après six jours; mais on peut en donner une raison assez naturelle,

et qui n'a rien de commun avec celle qu'il a imagi née. On voit par saint Matthieu (1), que Jésus-Christ, après avoir parlé de la gloire future du Fils de l'Homme au jour qu'il apparoîtra aux nations assemblées, environné de toute la milice céleste, annonce à ses disciples que quelques-uns d'entr'eux ne mourront pas qu'ils n'aient vu quelques rayons de cette gloire : or, il ne différa pas long-temps l'exécution de cette promesse, et voilà ce que l'Evangéliste nous apprend, en nous disant que ce fut six jours après l'avoit faite, qu'il se transfigura en présence de trois de ses disciples. Pourquoi donc voir quelque chose de mystérieux dans cette circonstance du récit évangélique.

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Dans le systême qui borne la durée du monde à six mille ans, et qui par conséquent suppose qu'il doit finir dans deux siècles environ, on adopte la chronologie du texte hébreu. Suivant ce calcul nous sommes à l'an 5814; mais si cette chronologie a pour elle un grand nombre de graves autorités, celle des Septante a aussi ses partisans. Or, suivant cette dernière, le monde seroit plus vieux de quatorze siecles au lieu de nous trouver seulement à la fin du sixième millénaire, nous serions parvenus au com→ mencement du huitième; et si ce calcul est le véritable, ce qu'on peut très-bien soutenir sans blesser en rien l'autorité de l'Eglise, que devient le systême de l'auteur?

Tout le monde sait qu'à différentes époques, des bruits sinistres sur la fin prochaine du monde se sont répandus parmi les peuples, et y ont porté la conster➡

(1) Chap. xvII, f. 28,

nation: ces craintes populaires ont été partagées, accréditées, par ce que l'Eglise a eu de plus saints et de plus doctes personnages, qui croyoient voir dans les événemens dont ils étoient les témoins, des signes avant-coureurs du règne de l'antechrist et de la fin des temps. Une chose fort remarquable en cette matière, c'est que déjà, de son temps, l'apôtre saint Paul fut obligé de rassurer les Thessaloniciens contre cette crainte chimérique; on le voit par le second chapitre de sa seconde Epître qu'il leur adressa: il s'y trouve, à ce sujet, un passage qui a fait le tourment des interprètes et des commentateurs. La plupart des Pères ont cru que l'Apôtre avoit enveloppé à dessein sa pensée pour ne pas choquer la délicatesse des Romains; qu'il vouloit donner à entendre que l'avénement de l'antechrist qui devoit précéder la fin du monde, seroit lui-même précédé de la ruine de l'empire romain. Ceux d'entre les modernes qui ont embrassé cette opinion, voyant que l'antechrist n'avoit pas paru, quoique l'empire romain eût, ce semble, été détruit, ont imaginé de dire qu'il subsistoit encore dans celui d'Allemagne. A cette occasion, Melveda, savant Dominicain espagnol de la fin du 16. siècle, s'exprimé dans les termes suivans, dans son Traité de l'Antechrist : « La pensée claire <et certaine de saint Paul et des Pères, est que, puis-' qu'il est certain que l'empire romain subsiste encore aujourd'hui dans l'Allemagne, l'antechrist ne viendra point que ce même empire n'ait été détruit entièrement, et qu'ensuite, cet empire étant détruit, alors paroîtra l'antechrist ». Plein de cette même idée, notre auteur, qui écrivoit il y a deux ans, fait la réflexion suivante, page 177: « Qui ne voit aujourd'hui que

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