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PENSÉES de Descartes, sur la Religion et la Morale; par M. Emery, ancien supérieur-général de la Congrégation de Saint-Sulpice, et supérieur du séminaire de ce nom (1).

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Il y a quelques années que cet ouvrage est publié.' Les circonstances ne permirent pas de le faire connoître suffisamment. Il est assez important pour qu'on y revienne aujourd'hui, et nous nous proposons de donner, dans trois articles séparés, quelques détails sur Descartes, sur ces Pensées, et sur l'éditeur respectable à qui on doit ce Recueil, et dont la mémoire est chère aux amis de la religion.

Parmi les ouvrages qu'a publiés M. Emery, et qui sont tous consacrés à des matières religieuses, il en est trois, et il en méditoit un quatrième, où il se proposoit un but bien digne de son zèle, de ses connoissances et de sa piété. Dans l'état où est maintenant la religion en France, quoique, parmi ceux qui professent de l'attachement pour elle, on puisse compter des hommes très-distingués, telle est néanmoins l'opinion fausse et injuste d'une classe trop nombreuse de la société, qu'on s'y obstine à la regarder comme le partage des petits esprits, bonne seulement à conte

(1) Un très-gros vol. in-8°. ; prix, 7 fr. et 8 fr. franc de port. A Paris, chez Adrien Le Clere, quai des Augustins, n°. 35. En y ajoutant 1 fr. 50 c., on le recevra avec le portrait de l'auteur, même format, et très-bien gravé en taille-douce. Tome II. L'Ami de la Relig. et du Roi. No. 28. C

nir le peuple, et qu'un orgueil, prétendu philosophique, croiroit se rabaisser, s'il se plioit à ses pratiques, ou qu'il accordât sa croyance aux dogmes qu'elle enseigne.

Ces trois ouvrages dus au zèle de M. Emery, sont les Pensées de Leibnitz, celles de Descartes, que nous annonçons, et le Christianisme de François Bacon, chancelier d'Angleterre; desquels il résulte que ces trois grands hommes, non-seulement professoient la religion chrétienne, et se faisoient gloire de la pratiquer, mais encore n'y trouvoient rien que la vraie philosophie se pût croire autorisée à rejeter. A ces trois ouvrages, M. Emery comptoit en ajouter un quatrième, et se proposoit d'exposer les sentimens de Newton sur le même objet. Mais il n'a point eu le temps de terminer ce travail, et on n'a trouvé sur ce sujet des papiers que des notes très-incomplètes. Il paroît qu'il ne faisoit que commencer à s'occuper à rassembler les matériaux qui lui étoient nécessaires. Un de ses amis s'est proposé, dit-on, de suppléer à ce que M. Emery n'avoit pu faire. En attendant, ceux qui connoissoient un peu les écrits de Newton, n'hésiteront pas à le compter au nombre des admirateurs et des amis de la révélation, et à joindre le ténoignage de ce grand homme à celui des trois autres. Il sera donc vrai, comme le dit M. Emery, « que Descartes, Bâcon, Leibnitz et Newton, c'est-à-dire, ce qu'on compte de plus illustre et de plus distingué dans la philosophie et les sciences, ont fait une profession constante et sincère de la religion chrétienne, et qu'elle voit marcher humblement sous ses enseignes les quatre grands chefs de la philosophie moderne ». Quel esprit, quelque haut qu'il soit, pour

roit être assez présompteux pour rougir de suivre de pareils exemples?

M. Emery se propose même un autre but, qui, bien que subordonné à l'autre, a pourtant son importance et tient à la gloire nationale; c'est de faire connoître Descartes mieux qu'il ne l'est; de le venger, pour ainsi dire, du discrédit où, au moins dans sa patrie, il ne méritoit point de tomber; de montrer que les sciences lui doivent beaucoup plus qu'on ne croit communément, et qu'il a au moins autant contribué à leur progrès que les grands hommes qui sont venus après lui, et à qui aujourd'hui on semble en attribuer exclusivement la gloire. Nous pouvons bien aussi, à l'exemple du sage et religieux éditeur, faire un moment abstraction du but principal de son ouvrage comme du nôtre, et consacrer le reste de cet article à quelques considérations qui tourneront à la gloire de Descartes, à celle de la nation dont il fut un des principaux ornemens dans la carrière des sciences et de la philosophie, et même par contre-coup à celle de la religion, qui le compte au nombre de ses enfans les plus dociles et les plus respectueux.

Quoiqu'on ait proposé l'éloge de Descartes pour prix académique, et que plus d'un écrivain ait rempli cette tâche d'une manière satisfaisante, il n'en est pas moins vrai que Descartes est mis bien au-dessous de Newton, et que non-seulement les Anglois, mais même les François, ne rendent pas au premier la justice qu'il mérite. On ne songe point assez à ce qu'étoit la science au moment où Descartes est entré dans la carrière. On ne fait point attention, dit M. Clairant, assez bon connoisseur dans le genre de mérite qui distingue le philosophe anglois, que Descartes ne

trouva ni encouragement, ni secours, ni modèle. Dénué à ce point, il sut pourtant s'ouvrir la route et la frayer à ceux qui lui ont succédé. « Il débuta dans la géométrie par la solution d'un problême qui avoit arrêté tous les philosophes anciens. L'algèbre prit tre ses mains des accroissemens étonnans; il est le premier qui ait imaginé de l'appliquer à la géometrie, idée, dit d'Alembert, des plus vastes et des plus heureuses que l'esprit humain ait jamais eues, et qui sera toujours la clef des plus profondes recherches, nonseulement dans la géométrie sublime, mais dans toutes les sciences physico-mathématiques ».. Bientôt Descartes fit beaucoup plus, à l'aide du doute méthodique qu'il imagina, et dont il se forma comme un creuset où il soumettoit à un essai rigoureux toutes les idées reçues. Il parvint à dissiper et à réduire à rien le péripatétisme, qui depuis long-temps régnoit impérieusement dans les écoles. Il inventa un systême, renversé il est vrai depuis, mais que personne n'accuse de pécher par le génie; systême qui donnoit des expli cations assez plausibles des principaux phénomènes de la nature, et qui eut d'illustres partisans. Si sa physique est défectueuse, et n'est point établie sur l'expérience, c'est la faute du temps où il vivoit. Trèspeu de faits alors étoient rassemblés; et occupé à démolir le vieux édifice des formes substantielles, il n'est pas étonnant qu'il n'ait point eu de momens à consacrer aux expériences. Il n'en sentoit pas moins leur utilité. Il est à peu près démontré que ce fut lui qui donna à Pascal l'idée de celle du Puy-de-Dôme ; et si l'on en croit M. de Luc, Descartes n'avoit point attendu l'expérience de Toricelli, pour attribuer à la pesanteur de l'air les effets que Galilée attribuoit à l'horreur du vide.

Les hommes les plus célèbres, au reste, ont rendu à Descartes la justice qui lui est due. Jacques Golius, professeur de Leyde, dit qu'il a surpassé en génie les anciens et les modernes; Desmarets, que dire qu'il a été l'Archimède de son siècle, n'est pas dire assez; Spanheim, qu'on ne peut lui disputer le premier rang dans la géométrie et la dioptrique : le père Boscowich lui attribue la première explication satisfaisante de l'arc-en-ciel, et trouve que Newton, à cet égard, ne rend point assez de justice au philosophe françois. M. Euler dit que Descartes, le premier, a remarqué que le flux et le reflux de la mer se régloit sur le mouvement de la lune; ce qui déjà, ajoute-t-il, étoit sans contredit une assez grande découverte. Enfin, d'Alembert convient « que le systême des tourbillons, devenu aujourd'hui presque ridicule, étoit ce qu'alors on pouvoit imaginer de mieux; que rien n'étoit plus naturel que de supposer un fluide qui transportât les planètes; que ce systême avoit l'avantage de rendre raison de la gravitation des corps, par la force centrifuge du tourbillon même ». Il regarde cette explication de la pesanteur «< comme une des plus belles et des plus ingénieuses hypothèses que la philosophie ait imaginées». Il croit « qu'il a fallu, pour ainsi dire, passer par ces tourbillons pour arriver au vrai systême du monde; que si Descartes s'est trompé sur les lois du mouvement, il a du moins deviné, le premier, qu'il devoit y en avoir »>.

C'est donc à juste titre que beaucoup de gens ont pensé que les travaux de Descartes avoient préparé ceux des philosophes plus heureux que lui, qui ont décou→ vert les grandes lois du mouvement, et expliqué d'une manière plus satisfaisante les phénomènes de la na

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