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RAYMOND DE SEBONDE TRADUIT PAR MONTAIGNE.

Cet écrivain, médecin espagnol, vivait en l'an 1430. | Etant venu d'Espagne pour enseigner à l'université de Paris, il fut retenu par celle de Toulouse, où il mourut quelques temps après. Son Traité de la théologie naturelle parut à Strasbourg en 1490.

Cet ouvrage remarquable fut traduit en français par Montaigne, qui en parle ainsi dans ses Essais, livre XII: « Pierre Bunel, homme de grande réputation de savoir en son temps, s'étant arrêté quelques jours à Montaigne, en la compagnie de mon père, lui fit présent, en le quit- | tant, d'un livre intitulé Theologia naturalis sive liber creaturarum magister Raimondi de Sebonde, et le lui recommanda comme livre très utile et propre à la saison à laquelle il le lui donna. Ce fut lorsque les nouvelletés de Luther commençaient à entrer en crédit, et à ébranler en beaucoup de lieux notre ancienne créance, en quoi il avait un très bon avis, prévoyant bien que ce commencement de maladie déclinerait aisément en un exécrable athéisme; car le vulgaire, n'ayant pas la faculté de juger des choses par elles-mêmes, se laissant emporter à la force et aux apparences, après qu'on lui a mis en main la hardiesse de mépriser et contrôler les opinions qu'il avait eues en extrême révérence, comme sont celles où il va de son salut, et qu'on a mis aucun article de la religion en doute et à la balance, il jette tantôt après, en semant en pareille incertitude, toutes les pièces de sa

créance.

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Sebonde ce titre, c'était un très suffisant homme et ayant plusieurs belles portées.

<< Au reste, l'athéisme étant une proposition dénaturée et monstrueuse, difficile aussi et malaisée d'établir en l'esprit humain, quelque insolent et déréglé qu'il puisse être, il s'en est vu assez par vanité et par fierté de concevoir des opinions non vulgaires et réformatrices du monde, en affecter la profession par contenance, qui, s'ils sont assez fous, ne sont pas assez forts pour l'avoir plantée en leur conscience. Pourtant ils ne manqueront pas de joindre leurs mains vers le ciel, si vous leur attachez un bon coup d'épée en la poitrine; et quand la crainte en la maladie aura appesanti et abattu cette licencieuse ferveur d'humeur volage, ils ne manqueront pas de revenir et de se laisser tout discrètement manier aux créances et exemples publics. Autre chose est un dogme sérieusement examiné, autre chose ces impressions superficielles, lesquelles de la débauche d'un esprit démanché vont nagcant témérairement et incertainement en la fantaisie. Hommes bien misérables et bien écervelés qui tâchent d'être pires qu'ils ne peuvent!

« Il n'est pas croyable que toute cette machine n'ait quelques marques empreintes de la main de ce grand architecte, et qu'il n'y ait quelques images dans les choses du monde qui ne ressemble à l'ouvrier qui les a båties et formées. Il a laissé en ses hauts ouvrages le caractère de la divinité, et ne tient qu'à notre faiblesse que nous ne le puissions découvrir, c'est ce qu'il nous dit luimème, « que ses opérations invisibles, il nous les manifeste par ses visibles. » Scbonde a travaillé à cette digne étude, et nous montre comme il n'est pièce du monde qui démente son auteur. Ce serait faire tort à la bonté divine, si l'univers ne consentait à notre créance : le ciel, la terre, les élémens, notre corps et notre âme, toutes choses y conspirent; il n'est que de trouver le moyen de s'en servir. Elles nous instruisent, si nous sommes capables d'entendre, car ce monde est un temple très saint dans lequel l'homme est introduit pour y contempler des statues, non œuvres de mortelle main, mais que la divine pensée a faites sensibles pour nous représenter les intelligibles.

« Or, quelques jours avant sa mort, mon père ayant de fortune rencontré ce livre sous un tas d'autres papiers abandonnés, me commanda de le lui mettre en français. C'était une occupation bien nouvelle pour moi; mais étant pour lors de loisir et ne pouvant rien refuser au commandement du meilleur père qui fut oncques, j'en vins à bout comme je pus, à quoi il prit un singulier plaisir et donna charge qu'on le fit imprimer ce qui fut exécuté après sa mort. Je trouvai belles les idées de cet auteur, la contexture de son ouvrage bien suivie et son dessein plein de piété. Sa fin est hardie et courageuse, car il entreprend, par raison humaine et naturelle, établir et vérifier contre les athéistes tous les articles de la religion chrétienne; en quoi, à dire la vérité, je le trouve si ferme et si heureux, que je ne pense pas qu'il soit possible de mieux faire en cet argument-là, et crois que nul ne l'a égalé. Cet ouvrage me semblant trop riche et trop beau pour un auteur duquel le nom soit si peu connu, et duquel tout ce que nous savons, c'est qu'il était Espagnol, faisant profession de médecin à Toulouse, il y a environ deux cents ans, je m'enquis à Adrien Tornebu ce que pouvait être ce livre; il me répondit qu'il pensait que c'était quelque quintessence tirée de saint Thomas; de vrai, cet esprit-là, plein d'une érudition finie et d'une subtilité admirable, était seul capable de telles idées. Tant y a, quiconque en soit l'auteur et inventeur, et ce n'est pas raison d'òter sans plus grande occasion à | sont faibles. Il faut secouer ceux-ci. Il leur semble qu'on

car,

«La foi venant à illustrer les arguemens de Sebonde, elle les rend fermes et solides; ils peuvent servir d'acheminement à un apprenti pour le mettre dans la voie de cette connaissance; ils le façonnent et le rendent capable de la gràce de Dieu, par laquelle se perfectionne après notre créance. Je sais un homme d'autorité nourri aux lettres qui m'a confessé avoir été ramené des erreurs de la mécréance par l'entremise des argumens de Sebonde; et quand on les dépouillera du secours de la foi, ils se trouveront encore aussi solides et aussi fermes que nuls autres de même condition qu'on leur puisse opposer. <« Quelques-uns disent que les argumens de Sebonde

La cause de cette contradiction est dans l'exagération de la défense même de Montaigne.

leur donne beau jeu de les mettre en liberté de com- | s'est pourtant proposé d'autre but que de la défendre et battre notre religion par les armes purement humaines d'en prouver la vérité. » laquelle ils n'oseraient attaquer en sa majesté pleine d'autorité et de commandement. Le moyen que je prends pour rabattre cette frénésie, et qui me semble le plus propre, c'est de froisser et fouler aux pieds l'orgueil et l'humaine fierté, leur faire sentir l'inanité, la vanité de l'homme, leur arracher des poings les Chrétiens armés de leur raison, et leur faire baisser la tête et mordre la poussière sous l'autorité de la majesté divine. C'est à elle seule qu'appartient la science et la sapience. Abattons ce cuider (cet orgueil), premier fondement de la tyrannie du malin esprit. »

Voyons donc si l'homme a en sa puissance d'autres raisons plus fortes que celles de Sebonde.

(Ici Montaigne attaque avec violence la raison humaine dépourvue du secours de la foi, et tous les argumens que dans les derniers temps on a employés contre la raison: «Quelle bonté que je voyais hier en crédit, et demain plus, et que le trajet d'une rivière fait crime? Quelle vérité que ces montagnes bornent, qui est mensonge au monde qui se tient au-delà ! » se retrouvent dans près de trois cents pages qu'il a consacrées à examiner les opinions des hommes indépendamment de la révélation. ) Il finit par cette exclamation :

« O Dieu, quelle obligation n'avons-nous pas à la bénignité de notre souverain Créateur, pour avoir déniaisé notre créance de ces vagabondes et arbitraires dévotions, et l'avoir logée sur l'éternelle base de sa sainte parole!» M. Amaury Duval, dans les notes de son édition de Montaigne, en rejetant les réflexions anti-religieuses de Naigeon, commentateur de Montaigne, ajoute :

« Dans la conclusion de son plaidoyer, en faveur de Sebonde, Montaigne parait sentir que ses argumens peuvent être retournés contre la cause qu'il défend. Il est sûr que les adversaires de la religion pourraient puiser des objections dans ce chapitre où Montaigne ne

En voulant faire reposer la religion uniquement sur la foi, et en décriant la raison, Montaigne affaiblit les preuves qu'il veut établir. La religion repose entièrement sur des motifs raisonnables, et saint Paul a dit à tous les hommes: Que votre obéissance soit raisonnable.

Montaigne a prouvé dans ce chapitre la vérité de ce vers connu :

On affaiblit toujours, alors qu'on exagère. Raymond de Sebonde est le premier auteur, dit un apologiste de ce siècle, qui ait entrepris, depuis la renaissance des lettres, de défendre la religion chrétienne contre les athées, les déistes et les hérétiques; et le même apologiste cite le passage suivant de sa théologie naturelle:

<<< Par l'inclination naturelle des hommes, ils sont continuellement à la recherche de l'évidence, de la vérité et de la certitude, et ne se peuvent assouvir ni contenter qu'ils ne s'en soient approchés jusqu'au dernier point de leur puissance. Or, il y a des degrés en la certitude et la preuve qui font les unes preuves plus fortes, les autres plus faibles, quelque certitude plus grande, quelque autre moindre. L'autorité de la preuve et la force de la certitude s'engendrent de la force des témoins et des témoignages desquels la vérité dépend, et de là vient que d'autant que les témoins se trouvent plus véritables, apparens et indubitables, d'autant y a-t-il plus de certitude en ce qu'ils prouvent. Et s'ils sont tels que leurs témoignages, par leur évidence, ne puissent tomber en nul doute, tout ce qu'ils vérifieront nous sera très certain, très évident et très manifeste 1. »

MILTON.

Milton, l'un des plus grands poètes qu'ait eus l'An- | gleterre, naquit à Londres le 9 décembre 1608. Il était fils d'un notaire, hommes de lettres lui-même, qui lui fit donner une éducation brillante et lui fit suivre les cours de l'université de Cambridge. Dès l'âge de dix ans, Milton se fit remarquer par une grande aptitude au travail; et à douze ans il avait tellement pris le goût de l'étude, qu'il faillit en perdre la vue. Ces longues veilles consacrées aux études sérieuses, cet approfondissement éclairé de toutes les sciences et ce coup d'œil d'aigle jeté sur les choses d'ici-bas devaient nécessairement faire naitre en lui l'amour de la vraie science, et c'est ce qui arriva: la première et la plus saine impression qu'il reçut

de toutes ses études lui inspira la vocation ecclésiastique, et dès lors tous ses efforts se dirigèrent vers ce noble but de devenir un des plus savans et des plus zélés serviteurs de Jésus-Christ. Mais le feu de la discorde civile s'alluma en Angleterre, et les tempêtes politiques arrachèrent Milton à ses études pour le jeter sur la scène révolutionnaire, où il parut avec tout l'enthousiasme d'un jeune homme pour des innovations dont il ignorait sans doute les funestes et déplorables conséquences.

Milton renonça donc à sa première vocation; mais il n'oublia jamais les principes religieux qu'elle lui avait

1 Théologie naturelle, chapitre 1.

inspirés, et il fit un grand nombre d'écrits dans lesquels on remarque, parmi beaucoup d'erreurs excusables dans un moment de révolution, un constant et sincère attachement au Christianisme. On a de lui, outre le Para

dis perdu, un Traité de la vraie religion, de l'hérésie et de la tolérance, un Traité des Études, et un Traité de la Discipline de l'Église.

Milton mourut le 10 novembre 1674.

DE LA RÉFORMATION DANS LA DISCIPLINE ECCLÉSIASTIQUE EN ANGLETERRE,
ET DES CAUSES QUI L'ONT EMPÈCHÉE JUSQU'ICI .

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et des autres autorités sacrées. On voit que Milton en avait fait une étude exacte et approfondie.

Le poète immortel à qui nous devons le Paradis perdu ne consacrait pas, on le voit, tous ses momens aux inspirations de la pensée, il trouvait des loisirs pour « L'essence de la divine vérité, dit-il, est la simplila méditation des choses de piété et de pratique reli- cité et la clarté ; les ténèbres et les difficultés que nous gieuse. Le petit ouvrage que nous avons sous les yeux y trouvons sout notre ouvrage. La sagesse de Dieu a en offre un exemple intéressant; c'est un sujet dont l'im- | proportionné notre intelligence aux objets sur lesquels portance ne peut être séparée des lieux et de l'époque elle avait à s'exercer. Mais si nous couvrons cette intellioù il attira si vivement l'attention du célèbre poète:gence d'un bandeau, alors elle ne peut voir la vérité. aussi n'en parlons-nous que pour ajouter à la célébrité de Milton un titre plus sérieux et plus recommandable encore que ceux qui l'ont illustré dans les lettres, le titre d'un apologiste et d'un défenseur éminent des vérités du Christianisme. Sous ce rapport, le Traité de la réformation dans la discipline ecclésiastique d'Angleterre méritait une mention dans le recueil où nous enregistrons toutes les illustrations littéraires et scientifiques qui ont, si cette expression n'a pas ici un caractère trop profane, donné la sanction du genre humain à la révélation divine dont nous sommes redevables à JésusChrist.

Milton commence son traité par cette réflexion : « Au milieu des pensées profondes et recueillies qui doivent occuper le Chrétien, la magnificence et la bon1é de Dieu, ses œuvres et ses voies miraculeuses, nos devoirs d'adoration et d'obéissance envers lui, au milieu des souvenirs de la passion de Notre-Sauveur Jésus-Christ, qui a souffert, dans la chair, jusqu'au dernier excès de la faiblesse et de la douleur, et qui, maintenant rendu à sa nature divine, triomphe au degré le plus éclatant de la gloire des cieux; au milieu, dis-je, de ces souvenirs et de ces pensées, il est naturel an Chrétien de voir avec un vif sentiment de joie s'approcher les jours de cette réformation religieuse dont l'objet doit être de rétablir la doctrine évangélique dans son ancienne et sainte pureté. »

Ici Milton, s'abandonnaut à son génie de poète, voit l'Angleterre lever la première entre les nations l'étendard de la vérité perdue, sonner de la trompette évangélique aux oreilles des endurcis et des infidèles, puis encore, comme du haut d'une montagne, présenter de sa main à tous les peuples la lampe nouvelle de la lumière

du salut.

Il s'élève ensuite contre les erreurs des ariens et des pélagiens; il fait l'histoire des premiers temps de l'Église jusqu'au jour où il écrit. Cette partie de son livre est entremêlée de citations fréquentes des pères de l'Église

1 Lettres écrites à un ami. Londres, 1611.

«Purifions le rayon intellectuel que Dieu a mis en nous, et nous croirons aux Saintes-Ecritures, et nous reconnaîtrons le caractère de vie et de sanctification qui y est empreint. Non-seulement les sages et les savans, mais les simples, les pauvres et les enfans eux-mêmes sont appelés à y lire. La parole du Seigneur frappe toutes les oreilles et pénètre avec une facilité égale dans tous les entendemens. C'est ce qu'a dit saint Athanase:

« La connaissance de la vérité n'exige aucun effort humain; car la vérité porte en soi son évidence. Et maintenant que Jésus-Christ l'a prêchée, elle brille au-dessus des hommes avec plus de force encore et d'éclat que le soleil. »

Milton traite plus loin de l'alliance des gouvernemens avec le culte religieux. Cette longue digression, applicable à l'état des choses et des esprits au temps où il écrivait, manquerait aujourd'hui de ce genre de mérite. Nous ne ferons que la mentionner en passant.

Après avoir tracé les règles de modération et de simplicité où les ministres de la parole de Dieu doivent continuellement enfermer leur conduite, Milton s'écrie : « Toi qui siéges dans une lumière et dans une gloire dont ne peut même s'approcher la pensée de l'homme, père des anges et de nous faibles mortels;

« Toi, le second auprès de lui, roi tout-puissant, rédempteur de cette race dont tu as daigné revêtir la nature, Jésus-Christ, ineffable et éternel amour!

« Et toi, la troisième substance de l'infinité divine, esprit de lumière céleste, joie, espérance et soulagement de toutes les choses créées, troisième personne d'un seul et même Dieu;

« Jetez sur nous et sur votre Église des yeux de miséricorde et de pitié;

« Répandez en tous lieux sur les enfans du Christ la force et la lumière qu'ils avent attendre que de vous,

« Afin qu'ils arrivent en vous adorant à ce jour redoutable où le Saint des Saintş, entr'ouvant les nuages du ciel, viendra juger les royaumes de ce monde et distribuer à tous les hommes le châtiment ou la récompense qu'il leur a promis. »

BARNEVELT.

Jean Barnevelt, principal auteur de la trève de 1609, était fort estimé pour son habileté dans les négociations difficiles, pour son aptitude aux affaires de quelle nature qu'elles fussent, et pour son éloquence. C'est le plus grand magistrat qui ait gouverné les Provinces-Unies. Condamné par vingt-six commissaires, sur l'ordre de Maurice, prince d'Orange, à qui toutes les religions étaient indifférentes et qui favorisait les gomaristes, pour s'ètre attaché à la secte proscrite des arminiens, il fut exécuté à l'âge de soixante-dix ans. La sentence de sa mort portait qu'il avait voulu livrer traîtreusement sa patrie à la monarchie espagnole, lui qui avait employé quarante ans de sa vie à la soustraire à la domination de la cour de Madrid.

Sa sentence portait, en outre, qu'il avait contristé au possible l'Église de Dieu. Il en écouta la lecture avec sangfroid, et parla à ses juges avec une puissance de fermeté et de raison qui les étonna.

Par un raffinement de cruauté, on s'était abstenu de préparer ni chaise, ni coussin où il put se mettre à genoux, comme on avait alors coutume de le faire. Il se prosterna sur les planches de l'échafaud, dit à l'exécuteur de ne point le toucher, et se déshabilla lui-même.

Après quoi, se tournant vers le peuple: Messieurs, s'écria-t-il, ne croyez pas que je sois traitre; je me suis conduit en homme de bien et comme un bon citoyen, et je mourrai tel. En se mettant sur le sable préparé pour recevoir son sang, il dit: Mon Dieu, recevez mon esprit ; et sa tète roula de l'échafaud.

Le peuple se disputa le sable teint de son sang, pour le conserver précieusement. Si le prince Maurice d'Orange, aux desseins ambitieux duquel Barnevelt avait toujours opposé une vigoureuse résistance, vit de sa fenètre, comme on l'assure, tomber la tête de son ennemi, il dut être aussi témoin de l'hommage que le peuple s'empressait de lui rendre.

Les deux fils de Barnevelt, Henri et Guillaume, voulurent venger la mort de leur père et entrèrent dans une conspiration qui fut découverte. Henri fut pris et condamné à mort. Sa mère alla demander sa grâce. « Madame, dit Maurice, il me paraît étrange que vous fassiez pour votre fils ce que vous avez refusé de faire pour votre mari. — Mon mari était innocent, reprit cette femme vraiment romaine, je n'ai point demandé sa grâce; mon fils est coupable, je vous la demande. »>

WENWORTH.

Thomas Wenworth, comte de Straffort, et vice-roi | chafaud dressé sur la place voisine de la tour. « J'appréd'Irlande, céda peut-être trop à l'entraînement d'une ambition qui ne trouvait pas d'obstacles; nous nous servirons, pour le caractériser, des paroles mêmes de l'infortuné Charles Ier, dont il avait été ministre.

« C'est un esprit du premier ordre, dont l'admirable capacité peut donner à un souverain plus d'appréhension que de honte de l'employer dans les grandes affaires, ayant ces qualités supérieures qui font beaucoup oser et beaucoup faire à ceux dont le bonheur accompagne les projets et en qui la fortune favorise le mérite. »>

En butte à la jalousie, à l'inimitié du parlement, qu'il avait d'abord soutenu contre le roi, et puis contre lequel il s'était ensuite ligué avec le roi, quand il fut devenu ministre, ses ennemis, qui haïssaient autant son maître que lui, le firent arrêter avec l'archevêque de Cantorbéry. Son crime était d'être fidèle à son roi, qui par faiblesse l'abandonna à la vengeance du peuple et du parlement.

Le lieutenant lui proposait d'aller en carrosse à l'é

III.

hende, Milord, ajouta l'officier, que le peuple irrité ne se jette sur vous et ne vous déchire. M. le lieutenant, faites votre charge, répartit le comte; je ne crains ni la mort, ni le peuple; il m'importe peu qu'elle vienne de la main du bourreau ou de la fureur du peuple; si ce genre de supplice lui plaît davantage, il peut se contenter, cela m'est indifférent. »>

Il s'avança vers la mort, la tête haute, le visage serein et content. Passant sous les fenêtres de l'archevêque de Cantorbéry, « Milord, cria le comte en le saluant profondément, priez Dieu pour moi, s'il vous plaît, et donnez-moi votre bénédiction. » L'archevêque avance la tète, élève les mains, prononce quelques paroles et tombe évanoui. « Adieu, Milord, ajouta le comte en faisant un second salut, Dieu veuille protéger votre innocence! »

Le discours qu'il prononça au peuple, debout sur les degrés de l'échafaud, est plein de noblesse et de résignation'; puis, prenant la liturgie, il se mit à genoux, fit ses prières et termina par l'Oraison dominicale, embrassa

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tous ceux qui l'entouraient, s'ajusta par deux fois sur peuple au cri de: Vive le roi! Quelques années plus tard le billot en demandant au bourreau s'il était bien. Celui-c'était celle du roi lui-même qui tombait du même échaci d'un seul coup lui trancha la tête, et la montra au | faud!

LAUD.

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munes ne lui accordèrent pas sans d'orageuses discussions, en sa qualité d'évêque et de pair du royaume, la faveur de n'être que décapité suivant la manière ordinaire.

Guillaume Laud, l'ami du comte de Straffort, était né à Reading en Angleterre; on a dit de lui qu'il ne devait rien à la naissance et peu de chose à la fortune. Devenu archevêque de Cantorbéry, quelques innovations liturgiques revêtues de la sanction royale, et surtout les con- Laud se prépara à la mort par des actes de piété les seils de fermeté qu'il ne cessait de donner au roi Char-plus édifians; il s'avança vers le lieu du supplice avec un les ler, irritèrent les mécontentemens d'un parlement visage doux et traquille, avec un air vénérable que relefactieux, et, comme nous l'avons dit dans la notice pré-vait encore son front septuagénaire; ses ennemis euxcédente, il fut arrêté, conduit dans la tour, d'où il vit mêmes furent un instant saisis de respect. Il est imposStraffort aller au supplice. Accusé d'avoir voulu renverser sible de parler d'une manière plus belle et plus assurée les lois, sa fermeté et son éloquence embarrassèrent ses qu'il ne le fit sur l'échafaud; on l'eût dit sur son siége juges, qui n'osant le condamner, le renvoyèrent en métropolitain. prison. Il acheva par l'Oraison dominicale, et il s'offrit à l'exéCinq ans après, les communes le déclarèrent coupa-cuteur; rien n'altérait la sérénité, je dirais presque la ble par un acte d'attainder, désespérant de le convain-gaîté qui régnait sur son visage. Ses ennemis les plus cre par des preuves et une instruction juridique. Il était durs furent émus profondément. Il était âgé de soixantecondamné à mourir de la mort des traîtres, et les comdouze ans.

MACLAURIN.

Colin Maclaurin, Écossais, mort en 1720, fut l'un des hommes qui ont montré le plus de talent et de profondeur d'esprit chez tous les peuples et dans tous les siècles. Ayant trouvé, par hasard, les Élémens d'Euclide, à l'âge de seize ans, il inventa beaucoup de proportions de sa Geometrica organica, fut nommé professeur de mathématiques à Aberdeen, et devint l'ami de Newton et de Clarke et de plusieurs autres philosophes illustres. Dans toutes ses études mathématiques, il tendait à être utile aux hommes, et employa souvent son esprit profond et inventif à la construction ou au perfectionnement des machines pour améliorer les ouvrages de diverses manufactures, extraire les mines, conduire de l'eau, jauger des vaisseaux, etc. Il employa ses connaissances philosophiques à démontrer l'existence et les attributs de Dieu contre les matérialistes et les métaphysiciens, et il ne fut pas moins zélé pour défendre la religion révélée quand on l'attaquait, soit dans les écrits, soit en con

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versation... Un esprit plein de sagacité et un vaste savoir n'étaient pas le premier mérite de Maclaurin; il était encore plus noblement distingué du commun des mortels par les qualités de son cœur et le zèle qu'il avait pour propager la vérité, la religion et la vertu parmi les hommes. Il était pieux sans affectation, embrassait tout le monde dans sa bienveillance, et avait une chaleur et une constance rare en amitié. Nous pouvons juger de la foi qu'il avait, par rapport à la révélation, par la force qu'elle lui inspira lors de ses derniers momens, à cet instant terrible où tout homme se trouve seul avec tuimême, et que les seuls esprits armés de la vertu ainsi que de l'espérance chrétienne peuvent soutenir avec dignité. Pendant une maladie longue et cruelle, sa conduite fut celle qui convenait à un philosophe et à un Chrétien; il fut calme, gai et résigné. Il ne cessa de conserver toute la force de sa tête que peu d'heures avant sa mort.

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