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régime municipal servent jusqu'à un certain point de garantie contre les invasions du pouvoir, contre les désordres administratifs, contre les excès ou les empiétemens des hautes classes, contre les désordres populaires. En France où toutes les anciennes barrières sont renversées, où le chef de l'empire jouissait d'un pouvoir exorbitant, et l'on pourrait dire illimité ; une constitution claire et précise, qui trace régulièrement les droits et les devoirs, qui fixe les prétentions et modèle les différentes conditions de la société, pourra seule, si elle est loyalement exécutée, fonder un esprit public, prévenir les abus, étouffer le germe des troubles et rendre les révolutions impossibles. Puissent les desseins annoncés par le frère de Louis XVI ne pas succomber sous les intrigues des anciens courtisans et des aristocrates incorrigibles de 1789! Malheureusement ces intrigues ont déjà ébranlé les résolutions de Louis XVIII; l'on serait même fondé à craindre que Louis XVIII n'ait écouté les prétentions des anciens ordres de la monarchie qui ne songent qu'à reconstituer les priviléges et les abus de 1788! Le séjour du roi à Saint-Ouen fut déterminé par des considérations d'une grave importance: Louis XVIII se proposait (dit-on) de rentrer dans sa capitale en souverain absolu, en Louis XIV, sauf à faire ensuite à ses sujets les concessions qu'il trouverait convenables; mais l'empereur Alexandre avait jugé, à ses dépens, la force militaire des Français et l'esprit public de la nation; étonné lui-même de se trouver dans les murs de Paris, il sentait l'indispensable nécessité de calmer et de satisfaire l'opinion nationale; l'empereur Alexandre, qui avait visité Louis XVIII à Compiègne, le 29, insista fortement pour que le roi fît précéder son entrée dans la capitale, d'une proclamation promet

3 mai.

tant aux Français une constitution libérale. Il expédia successivement trois courriers à Saint-Ouen, avec injonction de se conformer à ses désirs; le dernier courrier annonçait : « Que si cette proclamation >> et cette promesse n'étaient pas faites, on n'entrerait » pas à Paris. » La proclamation fut rédigée (par M. de Talleyrand, dit-on), et envoyée en original à l'empereur Alexandre, qui corrigea deux ou trois passages, et répondit, après avoir donné son assentiment à la proclamation « Maintenant vous pouvez entrer. » Si ces particularités sont exactes, et on croit être fondé à les regarder comme telles, ce ne serait pas l'un des moindres phénomènes de la révolution française, que de voir la France redevable, en partie, de ses libertés publiques à un monarque dont les sujets sont esclaves, à un autocrate dont la volonté est érigée en loi, et dont le despotisme le plus absolu fait le droit public de l'empire le plus vaste de l'univers !!!

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Louis XVIII fait son entrée solennelle à Paris. Il est dans une calèche découverte; son regard est froid, même sévère; il a son chapeau sur la tête; on dirait un juge qui va au tribunal, plutôt qu'un père qui revient à ses enfans. A sa gauche est Madame, duchesse d'Angoulême, tenant une ombrelle pour se garantir des rayons du soleil; la vue de cette princesse, qui fut si infortunée et si grande dans ses infortunes, excite un attendrissement général; tous les cœurs sont à elle, tous les vœux se réunissent pour la consoler des irréparables calamités qu'elle a subies; il serait difficile d'exprimer l'émotion, l'attendrissement et l'enthousiasme qu'excite la petite-fille de Marie-Thérèse, la fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette : « Ah ! » mon Dieu! qu'elle soit heureuse! a-t-elle souffert ! » la voilà, la voilà! » Telles sont les paroles qu'on

entend prononcer, de toutes parts, sur le passage de la princesse; le peuple est avide de la voir, de la contempler. Sur le devant de la calèche royale, est M. le prince de Condé; son air est sérieux, froid; sa physionomie n'exprime ni satisfaction ni étonnement. L'immense population de Paris s'est portée hors de la capitale; Louis XVIII est reçu, à la barrière et dans la rue Saint-Denis, aux acclamations des habitans, favorablement disposés par sa déclaration de la veille. Ce retour inopiné de leurs anciens princes semble leur promettre le terme des calamités publiques; moins il fut attendu, plus ils se confient à l'avenir; aussi, l'air retentit des cris de vive le roi! La famille royale est reçue avec enthousiasme.

Les principaux fonctionnaires accourent et se précipitent pour rendre leurs hommages à ce prince, qui pourrait témoigner quelque surprise de trouver dans leurs harangues les mêmes expressions déjà consacrées à Napoléon. Ainsi cet orateur dont la parole est si délicatement ambidextre, Fontanes, avait dit le 25 décembre 1812 : « L'université se félicite de porter au » pied du trône impérial les hommages et les vœux » d'une génération entière, qu'elle instruit dans ses » écoles à vous servir et à vous aimer.. » Le même Fontanes, toujours grand-maître ( et non un autre ), s'empresse de dire au descendant d'Henri IV : « L'u»niversité vous parle au nom des enfans qui vont » croître pour vous servir et pour vous aimer. » Estimable fidélité, de transmettre sans hésitation et sans réserve, une entière obéissance à la puissance de fait ! Nous avons vu des hommes fameux par leurs excès de 1793, bénir le retour des Bourbons; nous avons entendu l'un des plùs forcenés régicides dire: « Le trône appartient aux Bourbons; c'est un droit incontes

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TOME VIII.

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4 mai.

>> table, et qui leur est acquis depuis des siècles; ils >> rentrent en France, rien de plus juste, et Louis XVIH » est bien légitimement roi. » L'ex-conventionnel qui s'exprimait de la sorte dans son intimité, avait été, après Robespierre, le plus atroce des assassins de Louis XVI !

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Ferdinand VII, roi d'Espagne (V. 24 mars), rejette absolument, et sans la moindre réserve, tout ce que contenait d'avantageux à la nation la constitution de Bayonne, qui reconnaissait Joseph Bonaparte; réprouvant aussi tout ce que renfermait de sage la constitution décrétée à Cadix par les cortès, ce prince veut régner despotiquement, d'après les maximes du droit divin. Il dissout les cortès; il menace de mort quiconque agira, parlera en leur faveur, ou tentera de maintenir leurs dispositions. Par-là, bien loin de terminer les malheurs de son pays, Ferdinand les aggrave et sème les germes d'une autre révolution. Un grand nombre de victimes gémiront dans les cachots, plus de dix mille familles espagnoles chercheront des asiles à l'étranger: tels sont les résultats qu'amènent et le fanatisme du moyen âge, et l'influence de la féodalité, et la corruption des courtisans. Ce prince, imbu des fausses doctrines dans lesquelles sont élevés les princes du Midi, auquel les événemens dont il fut le témoin et la victime n'ont rien appris, ne voit pas que le joug remis avec violence devient plus lourd et plus accablant; que, monarque rentré dans la plénitude du pouvoir par la dissolution des cortès, il s'expose à ne plus rencontrer de bornes à ses volontés, ni de moyens d'échapper aux conseils de ses flatteurs; il ne discerne pas que le peuple espagnol ayant conquis sa liberté, ne saurait retomber

dans la servitude sans conserver le désir de s'en affranchir.

Une ordonnance du roi porte défense d'obtempérer 5 mai. aux réquisitions faites par les commandans ou les intendans des armées alliées, conformément à l'art. 8 des conventions du 23 avril.

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Une proclamation du roi porte: « En remontant 9 mai. » sur le trône de nos ancêtres, nous avons retrouvé >> nos droits dans votre amour. Au milieu des >> acclamations unanimes et si touchantes pour notre » cœur dont nous avons été accompagné des fron» tières de notre royaume, jusqu'au sein de notre capitale, nous n'avons cessé de porter nos regards » sur la situation de nos provinces et de nos braves » armées. . . . . Déjà un armistice fait sentir ses avan>> tages.... Dans un court intervalle, l'olivier, gage » du repos de l'Europe, paraîtra aux yeux de tous » les peuples..... Français, vous entendez votre roi.... »

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La nomination des ministres du roi a lieu: Dam- 13 mai. bray, chancelier et ministre de la justice; le prince de Bénévent (Talleyrand), des affaires étrangères ; l'abbé de Montesquiou, de l'intérieur; le général Dupont, de la guerre; le baron Malouet, de la marine; le baron, Louis, des finances; le comte Blacasd'Aulps, de la maison du roi. Le département de la police est remis à un directeur général, le comte Beugnot. A l'occasion de cette dernière promotion,* on peut douter que le système que se propose de suivre le gouvernement soit dirigé suivant les vrais principes; car le régime constitutionnel ne permet pas d'investir le même fonctionnaire d'attributions éminentes dans l'ordre exécutif et d'attributions qui ressortissent de l'ordre judiciaire. En outre, M. Beu

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